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28 novembre 2023

Morsures : les chiens, les victimes et le profilage du mordeur

par Karin De Lange

Temps de lecture  6 min

L'analyse des marques de morsure (ici une marque de morsure de chien datant de 3 jours) repose sur l'hypothèse que la denture est unique à chaque chien, et que cette unicité est reproduite sur la surface mordue. Cet article de synthèse examine les méthodes utilisées pour identifier l'auteur de la morsure, des marques de morsure à l'analyse génétique du matériel biologique (salive, etc.). Cliché Nicor/Wikimedia.
L'analyse des marques de morsure (ici une marque de morsure de chien datant de 3 jours) repose sur l'hypothèse que la denture est unique à chaque chien, et que cette unicité est reproduite sur la surface mordue. Cet article de synthèse examine les méthodes utilisées pour identifier l'auteur de la morsure, des marques de morsure à l'analyse génétique du matériel biologique (salive, etc.). Cliché Nicor/Wikimedia.
 

Les morsures de chien sont un problème de santé publique mondial important et représentent les blessures liées aux animaux les plus courantes : les chiens infligent des dizaines de millions de blessures par an. Aux seuls États-Unis, par exemple, environ 4,5 millions de personnes sont mordues annuellement, dont 885 000 nécessitent un traitement médical (20 décès). Cette observation a conduit une équipe italienne de médecins légistes et de vétérinaires à entreprendre une synthèse approfondie de la littérature disponible sur le sujet, recueillant 116 études pertinentes sur une période de plus de quarante ans (de janvier 1980 à mars 2023). Ils ont analysé les caractéristiques des chiens mordeurs, des victimes, des morsures, ainsi que les méthodes médico-légales pour déterminer si un chien — et si oui, quel type de chien — était responsable de la blessure ou du décès de la victime.

Attaques plus sévères par jeunes chiens mâles non socialisés

Sans surprise, les auteurs ont constaté que les chiens les plus fréquemment impliqués dans des attaques sont de race de grande taille, souvent formés pour la garde ou la défense personnelle. Parmi les autres facteurs censés favoriser les attaques de chiens contre les humains : une prédisposition génétique à l'agressivité, le fait d'être entier, une mauvaise santé, une éducation manquante et une socialisation tardive ou inadéquate. Ils notent que la plupart des attaques mortelles impliquent de jeunes chiens mâles qui ont déjà montré de l'agressivité ou mordu quelqu'un. Les attaques « en meute » sont rares, mais elles sont les plus dangereuses : l'instinct de meute prolongera ou intensifiera l'attaque jusqu'à ce que la victime soit tuée ou que les chiens soient chassés. Les auteurs identifient trois principaux types d'agression selon les circonstances :

  • l'agression protectrice, qui se produit lorsque la victime est perçue comme une menace pour la famille ;
  • l'agression territoriale, qui survient lorsque la victime envahit le territoire du chien ou tente de prendre quelque chose que le chien considère comme sien (nourriture, jouet…) ;
  • finalement, une agression redirigée peut se produire lorsqu'un combat de chiens est interrompu. Dans ce cas, le chien redirige son agressivité causée par l'excitation vers une cible à proximité.

Les auteurs notent également que, dans le cas des nourrissons, les attaques de chiens peuvent se produire sans provocation directe apparente, se manifestant souvent par des cas de prédation opportuniste plutôt que par une agression manifeste.

Victimes : le propriétaire dans 86 % des cas

La plupart des morsures canines se font par les chiens envers leurs propriétaires ou leurs proches, sur leur propre propriété en 86 % des cas. Les attaques de chiens impliquent généralement de jeunes enfants ou des personnes âgées. Concernant les enfants, les auteurs notent « un manque général de connaissances sur le comportement des chiens et les pratiques de sécurité pour les interactions chien-enfant ». Le deuxième groupe d'âge qui subit une incidence élevée de morsures de chiens sont les personnes âgées de plus de 70 ans. Ces personnes sont moins capables de se défendre que les plus jeunes, peuvent déjà souffrir de troubles de santé pouvant aggraver les conséquences de la morsure, et ont une plus grande prédisposition à perdre l'équilibre et à tomber. Enfin, une proportion importante des victimes adultes pourrait s'expliquer par des activités professionnelles « à risque » : vétérinaires, facteurs et livreurs à domicile. Pour limiter les dommages, il est recommandé de veiller à travailler en binôme dans les situations à haut risque (par ex. dans les chenils ou les cabinets vétérinaires) et à s'équiper d'alarmes de panique et de dispositifs de communication (talkies-walkies, téléphones portables) qui pourraient aider à alerter et demander de l'aide.

Morsures : tête et cou chez les jeunes enfants, extrémités chez l'adulte

La répartition anatomique des sites de morsure est généralement liée à l'âge de la victime. Ainsi, les enfants sont principalement mordus dans la région de la tête, tandis que les adultes et les personnes âgées sont principalement blessés aux extrémités ; ces parties du corps sont au niveau de la gueule du chien. Ces dernières morsures sont probablement dues à l'utilisation des mains et des jambes pour éviter les attaques/séparer les chiens, et/ou à une préférence pour les extrémités, plus facile à mordre que le tronc. Les infections bactériennes suite aux morsures peuvent être liées à plusieurs espèces de bactéries du genre Pasteurella (par exemple, P. multocida, P. dagmatis, P. canis, P. stomatis), Actinomyces, Staphylococcus intermedius, Streptococcus, Proteus, Klebsiella, Enterobacter, Clostridium, Bartonella henselae, Capnopcytophaga canimorsus, Leptospira ou Bordetella bronchiseptica. Les chiens qui mordent peuvent également transmettre des infections virales, le virus de la rage étant le plus important (pronostic vital).

Profilage du mordeur…

Bien que les morsures de chiens ne puissent pas toujours être distinguées des morsures de loups, les attaques de loups sur les personnes sont beaucoup moins fréquentes. Actuellement, les méthodes les plus couramment utilisées pour identifier un chien responsable d'une morsure sont l'odontologie médico-légale (marques de morsure) et l'analyse génétique. L'analyse du contenu de l'estomac de l'animal peut également être utilisée, rajoutent les auteurs sèchement. L'analyse des marques de morsure repose sur l'hypothèse que la denture est unique à chaque chien, et que cette unicité est reproduite sur la surface mordue. L'un des principaux paramètres de l'investigation est la mesure de la distance inter-canine. Cependant, selon la race, les plages de largeur inter-canines des chiens chevauchent celles des petits canidés (renard roux, coyote), mais aussi des plus grands (loup). Par conséquent, des analyses supplémentaires pourraient être nécessaires afin d'identifier les espèces impliquées. Les tests génétiques sont efficaces pour révéler que de soi-disant attaques du loup sur les humains étaient liées à des chiens. Les preuves biologiques sont souvent présentes sur une victime ou sur les lieux d'une attaque (salive sur la peau mordue ou les vêtements, sang, poils ou fèces). Il existe même un panel génétique spécifique (bien nommé le LASSIE MPS Panel, voir l'illustration ci-dessous), qui permet de prédire les caractéristiques physiques des chiens. Il repose sur 44 marqueurs génétiques pour estimer la couleur de robe, le motif et la structure du pelage, ainsi que la morphologie de la queue, la forme de l'oreille, la forme du crâne, la couleur des yeux et la hauteur du corps. Fait intéressant, des concentrations élevées en ADN humain ne semblent pas interférer avec un typage réussi des courtes séquences spécifiques (short tandem repeat) de l'espèce canine utilisées pour ce profilage. Ainsi, les blessures graves offrent une meilleure chance d'obtenir un profil d'ADN canin spécifique. Un autre domaine de recherche en développement concerne la détection des marqueurs génétiques salivaires de Streptococcus oralis et de P. canis, dont les souches pourraient être spécifiques du microbiome oral d'un individu.

Le pannel MPS 'Lassie', dont les détails ont été publiés en septembre dernier permet, au-delà de l'identification de l'espèce canine, à partir de l'ADN retrouvé dans du matériel biologique prélevé sur les morsures ou dans leur environnement immédiat, de profiler le chien mordeur (Heinrich et coll., 2023).

 

… même en cas de décès du propriétaire

En cas de morsures trouvées lors de l'examen post-mortem, le moment des blessures peut être déterminé par la présence ou non de signes de réaction vitale, tels qu'une infiltration hémorragique ou une inflammation marginale. Les personnes décédées, en particulier les propriétaires trouvés dans des environnement fermés tels qu'un appartement, présentent souvent des morsures post-mortem et des griffures causées par leurs chiens. La déprédation post-mortem peut être un comportement de déplacement dans lequel le chien est confronté à un « comportement étrange » de sa personne de référence (décédée), et dont l'odeur peut être manquante ou modifiée. Dans cette situation, le chien tente d'attirer l'attention de son propriétaire en le poussant de la truffe et en léchant les zones du corps dénudées. Lorsque les réactions habituelles font défaut, le chien commence à mordre. Bien que la pénurie alimentaire ait été suggérée comme une raison potentielle, les chiens domestiques sont différents des animaux sauvages en ce sens que la faim semble rarement être leur motif d'ingérence post-mortem. De plus, la nourriture pour chiens reste souvent disponible sur les lieux.