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Elanco & Proplan

19 juin 2023

France : promenons-nous dans les bois, tant que Brucella

par Vincent Dedet

Temps de lecture  5 min

Lorsqu'ils comparent les deux souches de Brucella suis biovar 2 isolées d'un chien en 2020 (Landes) et d'un autre en 2022 (Gard) – ce qui n'avait jamais été décrit – à 140 souches du monde entier, les bactériologistes du laboratoire français de référence pour la brucellose ne retrouvent comme plus proches parents que des souches isolées en France, soit de porcs plein air, soit de faune sauvage (sanglier, lièvre). Girault et coll., 2023.
Lorsqu'ils comparent les deux souches de Brucella suis biovar 2 isolées d'un chien en 2020 (Landes) et d'un autre en 2022 (Gard) – ce qui n'avait jamais été décrit – à 140 souches du monde entier, les bactériologistes du laboratoire français de référence pour la brucellose ne retrouvent comme plus proches parents que des souches isolées en France, soit de porcs plein air, soit de faune sauvage (sanglier, lièvre). Girault et coll., 2023.
 

Quand un chien contracte une brucellose, et que ce n'est pas un chien de ferme, c'est Brucella canis qui est suspectée. C'est le raisonnement qu'ont tenu les microbiologistes vétérinaires du laboratoire de référence pour la brucellose, de l'Anses-Alfort. Et pourtant… Brucella leur a joué un tour de cochon.

Aucun signe évocateur de brucellose

Les deux cas cliniques sont indépendants. Le premier est un Border-Collie mâle de 13 ans, présenté en consultation chez son vétérinaire traitant en avril 2020. « Son urine était trouble et tous les autres signes cliniques étaient associés à une cystite et/ou une prostatite, suggérant une infection du tractus urogénital ». Une analyse cytobactériologique des urines a été réalisée par le praticien. Une présence élevée de leucocytes, et l'absence de lésions tumorales à l'échographie ont confirmé une infection du tractus urogénital, bien que la bactériologie ait été négative. Ne présentant ni orchite ni hyperthermie, il n'a pas été suspecté de brucellose. Une semaine plus tard, les signes cliniques persistant, un nouvel ECBU et une nouvelle échographie ont été réalisés : des colonies étaient présentes après trois jours de culture (104 UFC), « pouvant appartenir au genre Brucella ». Un traitement de 20 jours avec de la doxycycline n'ayant pas amélioré l'état de l'animal, il a été euthanasié « du fait de son mauvais état général et de son âge ».

Forêt landaise

L'animal avait été acheté sur internet à 4 ans, et provenait des Pyrénées-Atlantiques. Il vivait depuis dans les Landes, avait un suivi vétérinaire régulier. Il « avait l'habitude de faire de longues promenades dans les forêts environnantes, où il aurait pu être en contact avec d'autres animaux domestiques et/ou sauvages et leurs excréments ». La souche bactérienne a été transmise par le laboratoire de diagnostic au laboratoire de référence, qui a confirmé qu'il s'agissait d'une Brucella (PCR sur trois gènes), puis l'a testé pour une technique de PCR permettant de confirmer l'espèce. « De manière surprenante, les profils des courbes de fusion correspondaient aux Brucella suis biovar 2 classiques, au lieu de B. canis, qui était le premier diagnostic attendu, du fait de l'espèce hôte ».

Orchite bilatérale

En février 2022, un berger allemand mâle de 5 ans est présenté à son vétérinaire traitant, dans les environs de Beaucaire (Gard), avec « une fièvre élevée et des signes suggérant une orchite bilatérale ». Une prise de sang a révélé leucocytose et lymphopénie, confirmant une infection en cours. Le laboratoire d'analyses vétérinaires local a réalisé une sérologie indirecte, négative (elle ne ciblait que les phénotypes rugueux de Brucella). Comme le chien n'était pas utilisé pour la chasse et ne fréquentait aucune exploitation d'élevage, le praticien a décidé de traiter par l'association amoxicilline-acide clavulanique, et un AINS. Cela n'a pas été suivi d'amélioration. Une « détérioration des organes reproducteurs a [même] été détectée par échographie ». Suspectant cette fois la brucellose, le praticien a conseillé (et réalisé)  une castration, « pour éviter tout risque potentiel de propagation et pour identifier la cause de l'infection. Après l'opération, le traitement a été renforcé avec l'ajout d'enrofloxacine pendant 7 jours », ayant permis à l'animal de guérir. À partir de la pièce d'exérèse, le laboratoire de diagnostic vétérinaire a isolé des bactéries compatibles avec Brucella, et avec la même surprise que pour le premier cas, les experts du laboratoire de référence ont identifié Brucella suis biovar 2 (BSB2). L'animal était né dans le même département. Il était chez ses maîtres depuis son adoption comme chiot. Aucune exploitation d'élevage n'était à proximité de sa zone de résidence, mais « les sangliers sont prévalents » dans cette zone.

Sangliers, bovins, humains…

Les experts du laboratoire de référence ont réalisé une analyse phylogénétique des souches, pour tenter d'identifier l'origine de ces BSB2. Car la brucellose porcine à BSB2 « est réapparue en France dans les années 1990 à la suite du développement des élevages en plein air, entraînant des pertes économiques importantes pour le secteur » avec 94 foyers entre 1993 et 2014 (de 0 à 12 par an). Mais les réservoirs de la bactérie sont les sangliers et les lièvres bruns. Dans l'analyse phylogénétique, « les deux souches se retrouvent en compagnie uniquement d'isolats français. Il est intéressant de noter que la première souche se trouve dans une branche qui contient principalement des isolats de porcs et de sangliers, tandis que le second isolat se retrouve dans un sous-groupe qui comprend principalement des souches isolées de bovins et d'humains ». L'origine de sa contamination n'est donc pas claire, mais les auteurs retiennent que « l'hypothèse principale semble être une infection par contact avec des fluides corporels et/ou des tissus provenant de réservoirs sylvatiques, tels que les lièvres et les sangliers ».

Pas de dépistage standardisé

BSB2 n'avait jusqu'à présent jamais été isolée de chiens ni de canidés sauvages (étant une bactérie lisse, il est logique que la sérologie indirecte utilisée pour le premier cas ait été négative). Pour les auteurs, les praticiens devraient considérer Brucella sp. dans le diagnostic différentiel des chiens présentant des signes d'infection génito-urinaires, plus largement que la seule orchite. Il reste que « il n'existe pas de programme standardisé de dépistage de la brucellose, ni d'indemnisation financière, ni de mesures politiques obligatoires pour les chiens en France, tandis que le dépistage sérologique systématique tout au long de l'évolution des symptômes cliniques ne peut être imposé, [pas même] lorsqu'une souche isolée a déjà été identifiée ». Enfin, BSB2 « a une très faible pathogénicité pour l'humain », avec 12 cas identifiés en 12 ans (2004-2016).