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11 septembre 2019

Les femmes vétérinaires (britanniques) subissent une « discrimination manifeste » de la part de clients comme de collègues

par Vincent Dedet

Temps de lecture  5 min

Une étude britannique de sciences humaines sur les habitudes de travail des praticiens aboutit à un article rapportant de nombreux témoignages de discrimination sexuelle des femmes praticiennes, par les clients, voire leurs confrères - surtout en début de carrière (LeFil, d'après vectorstock).
Une étude britannique de sciences humaines sur les habitudes de travail des praticiens aboutit à un article rapportant de nombreux témoignages de discrimination sexuelle des femmes praticiennes, par les clients, voire leurs confrères - surtout en début de carrière (LeFil, d'après vectorstock).
 

« Bien que le sujet soit d'importance, les auteurs n'étaient pas partis pour étudier la discrimination sexuelle dans leur recherche sur les vétérinaires [au travail], mais les réponses fournies par les participants ont rendu le sujet impossible à passer sous silence » indiquent, en guise de motivation de leur article, ces deux spécialistes de sciences humaines britanniques. Ils avaient entamé une étude sur la perception par les vétérinaires de leurs conditions de travail selon les modalités d'exercice, dans le cadre du projet de la British Veterinary Association Vetfutures, mais ont été frappés par les récits des femmes vétérinaires recueillis dans le cadre de ces entretiens – et, précisent-ils par ailleurs, cela se passait « avant les scandales de harcèlement sexuel de Hollywood ».

Incidente

L'étude était initialement conçue comme « une investigation de la façon dont les participants percevaient leur travail en termes de culture et de développement de la profession, d'évolution par secteur d'activité et d'une manière générale de la vie de vétérinaire ». En particulier, ils souhaitaient recueillir « les joies, délices, défis et stress du travail vétérinaire ». Pour cela, ils ont construit une enquête qualitative avec 75 interviews de praticiens ayant différentes durées d'expérience : 39 hommes et 36 femmes, âgés de 25 à 63 ans, « du début de carrière au directeur » de chaîne. Ils exerçaient en canine (n=30), rurale (n=34) ou équine (n=12) et étaient pour l'essentiel « des associés au sein de structures indépendants ». « La question du genre n'était pas dans l'objet de ce travail, mais les participants ont fréquemment abordé le sujet, directement ou indirectement ». Une incidente… dont les auteurs ont rassemblé les mentions dans une publication, sous la forme d'une « petite étude qualitative observationnelle », publiée dans le Veterinary Record le 9 septembre.

Clients sexistes

L'étude rapporte de nombreux verbatim de praticiennes, « révélant un sexisme “hautement significatif” » de la part des clients, par exemple demandant « avec insistance à être consulté par un vétérinaire masculin » plutôt qu'elles, ou « une seconde opinion de la part d'un des gars » de l'équipe vétérinaire. De telles attitudes « étaient rarement rabattues par les praticiens séniors (masculins) ». Les auteurs suggèrent que ce soit « en partie parce qu'ils ne remarquent pas le problème, mais aussi, probablement, de peur de contrarier le client ». De telles attitudes étaient particulièrement rapportées par les jeunes diplômées, qui évoquaient des situations où clients « et même parfois leurs propres confrères, les traitaient comme ayant une compétence et une crédibilité limitées, menaçant ainsi leur identité professionnelle ». Les femmes « sont en situation de devoir en permanence faire leurs preuves ». Elles « ressentent plus fortement que leurs confrères masculins un environnement précaire et source de pressions ». Ce que les auteurs mettent en rapport avec le fait que « un vétérinaire sur 7 est victime de burn out dans les 5 années suivant son début d'activité, mais une femme vétérinaire sur 5 ». Daniella Dos Santos, future présidente de la British Veterinary Association, est intervenue sur ces résultats, indiquant que l'étude « fournit une preuve supplémentaire de ce que la discrimination sexuelle a bien lieu actuellement au sein de la profession vétérinaire. Ils résonnent avec nos propres éléments (…), selon lesquels la discrimination sexuelle est la forme de discrimination la plus signalée (44 % des incidents) et est particulièrement prévalente dans les secteurs académique, des productions animales, de l'équine et des pratiques mixtes ».

La “voie maternelle”

Le second point sur lequel insistent les auteurs est « qu'il est avéré qu'une fois qu'une femme vétérinaire a eu des enfants et/ou a choisi un temps partiel, elle est considérée [par ses collègues de travail] comme étant “sur la voie maternelle” et n'est plus prise au sérieux au sein de la clinique : les cas complexes ne lui sont plus confiés, elle n'est plus considérée comme candidate à une promotion, et son identité professionnelle est sapée ». De fait, « bien que 76 % des jeunes diplômés [britanniques] soient des femmes », leur « nombre à un niveau élevé de la hiérarchie [dans les structures vétérinaires] est disproportionnellement très faible ». Mais, soulignent les auteurs, l'effet pervers de l'explication voulant qu'à un moment de sa vie, il faut choisir entre vie familiale et vie professionnelle, c'est que « les deux sexes souscrivent à ce récit ». Et « ce choix présumé [d'une vie familiale au détriment d'une carrière] est alors confondu sans aucun problème avec l'impossibilité pure et simple, ou le manque d'aspiration des femmes à des postes de sénior, parfois même renforcée par une auto-dépréciation » féminine.

Stéréotypes

Les auteurs vont plus loin : « les vétérinaires hommes comme femmes reproduisent ce discours sétérotypé », voulant que « les femmes sont automatiquement supposées être des mères potentielles, et donc traitées comme étant problématiques pour l'avenir de leur carrière à long terme ». Ce qui aboutit à « avantager les vétérinaires masculins en termes de carrière », avantage « exacerbé lorsque les femmes vétérinaires acceptent le récit de la supériorité masculine » dans la réalisation d'une carrière sénior. Pour les auteurs, cet ensemble de faits « pourrait rendre le travail de vétérinaire au sein d'une structure non attirant pour les femmes », et expliquer « leur turn-over élevé ». Pour eux, ce turn-over, comme le choix d'un temps partiel (par défaut d'écoute sur les motivations de carrière), « sont au moins partiellement le résultat d'un mauvais management des sexes ». S'il n'y est pas remédié, ils préviennent que « ce turn-over soit encore accéléré ». Daniella Dos Santos juge « totalement inacceptable qu'autant de femmes au sein d'équipes vétérinaires continuent à éprouver de la discrimination non seulement de la part de clients mais aussi de membres de notre propre profession. L'équipe vétérinaire doit devenir un environnement sûr et solidaire pour tout un chacun ».