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21 juin 2019

Pourquoi le cannabis est-il interdit en thérapeutique, même dans la cascade, mais permis dans les aliments

par Eric Vandaële

Temps de lecture  8 min

La start-up française Gour Médical, fondée en 2014, s'est spécialisée dans le développement en santé animale des dérivés du cannabis comme le cannabidiol avec le lancement de cette gamme Weedley. Ses deux sites, gour-medical.com et weedley.net (en anglais) en décrivent bien les propriétés pharmacologiques et thérapeutiques.
La start-up française Gour Médical, fondée en 2014, s'est spécialisée dans le développement en santé animale des dérivés du cannabis comme le cannabidiol avec le lancement de cette gamme Weedley. Ses deux sites, gour-medical.com et weedley.net (en anglais) en décrivent bien les propriétés pharmacologiques et thérapeutiques.
 

Le cannabis, et ses dérivés, l'huile de chanvre ou le cannabidiol (CBD), peuvent rendre les vétérinaires schizophrènes… à défaut de les rendre plus zen !

  • D'un côté, celui de la médecine vétérinaire, l'Agence du médicament (Anses-ANMV) rappelle que ces produits, le cannabis, le cannabidiol ou le 9-THC (la substance la plus active du chanvre), sont interdits pour un usage thérapeutique. Ils tombent même sous le coup de la réglementation des stupéfiants avec de lourdes sanctions pénales en cas d'infraction.
  • De l'autre, celui de l'alimentation animale, sous le statut d'aliments pour animaux, de nombreux produits à base de cannabidiol ou d'huile de chanvre sont proposés, le plus souvent en direct, aux propriétaires d'animaux de compagnie sur des sites de boutiques en ligne. Très souvent, pas toujours, ces sites vantent aussi les vertus thérapeutiques du cannabidiol auprès du grand public.

Comment ce paradoxe est-il possible ? Explications dans ce Fil.

Pourquoi le cannabis serait-il interdit en thérapeutique ?

Interrogée sur ce point par l'Ordre des vétérinaires, l'Agence du médicament (Anses-ANMV) indique que « les produits contenant des tétrahydrocannabinols (THC) ou du cannabidiol (CBD) [les substances actives du cannabis ou chanvre] pouvant revendiquer des allégations thérapeutiques comme analgésique chez les chiens et chats, relèvent du statut du médicament vétérinaire » avec AMM.

Pour l'agence, le recours dans le cadre de la cascade à des préparations extemporanées ou à des médicaments humains à base de cannabidiol (CBD) ou de 9-delta-tétrahydrocannabinol (ou 9-THC ou THC, la principale substance psychoactive du chanvre), ou, à l'avenir, du cannabis thérapeutique à usage humain est donc interdit. Car il existe de nombreux médicaments vétérinaires analgésiques avec AMM. Pour cette agence, le vétérinaire ne manque donc pas de médicaments disponibles au point qu'il serait nécessaire de recourir à du cannabis ou à ses dérivés dans un but thérapeutique.

Le cannabis et ses produits dérivés sont des stupéfiants

Le cannabis et sa résine sont classés parmi dans les stupéfiants, ainsi que les THC. Le cannabidiol n'est pas, à ce jour, explicitement classé dans les stupéfiants (ni dans les substances vénéneuses). Mais, le site drogue.gouv.fr considère que les interdictions qui s'appliquent au cannabis (interdiction de détention, d'achat ou de vente, d'usage, de production etc.) s'appliquent aussi au cannabidiol. Car il s'agit évidemment d'un « produit obtenu à partir du cannabis ».

Les médicaments humains sont inaccessibles aux vétérinaires

Actuellement, deux médicaments humains à base de cannabidiol ou de 9-THC bénéficient d'une ATU avec une prescription restreinte à l'usage hospitalier. Ils ne sont donc pas disponibles en officines ni pour les médecins de ville, ni a fortiori pour les vétérinaires. Ces deux médicaments sous ATU sont les suivants :

  • Une solution buvable de cannabidiol (Epidiolex°) indiquée dans des formes rares et graves d'épilepsie infantile,
  • Des gélules de drobaninol (Marinol°), le composé de synthèse identique au 9-THC naturel extrait du chanvre, indiqué contre les vomissements et les nausées induites par la chimiothérapie, lorsqu'il n'existe pas d'autre alternative.
  • L'Académie de pharmacie cite aussi deux autres médicaments humains qui ne sont pas référencés dans les bases de données officielles, ni, semble-t-il, commercialisés : Sativex°, un aérosol buccal avec un mélange de CBD et 9-THC, et Cetamex° sous ATU nominative.

Le canabis thérapeutique en 2020 pour un usage humain

Une expérimentation est aussi envisagée à partir de 2020 chez l'homme avec du cannabis dit « thérapeutique » pour lutter contre certaines douleurs neuropathiques réfractaires ou certaines formes d'épilepsie. L'Académie de pharmacie s'oppose d'ailleurs à l'emploi de ce terme de « cannabis thérapeutique » si les produits qui sont utilisés ne sont pas des médicaments avec AMM, mais des extraits de chanvre « composés de 200 principes actifs différents et variables en quantités et en proportion selon les modalités de culture, de récolte, de conservation ». Sans le statut de médicament, le terme de « thérapeutique » ou de « médical » ne devrait pas, selon l'Académie, être utilisé pour une forme de cannabis. Car cela serait « abusif et illicite ».

Il est en effet proposé que ce cannabis thérapeutique expérimental soit à base d'huile et fleurs séchées de chanvre, sous des formes orales (solutions buvables, ou capsules) sublinguales ou inhalées (en vaporisation mais pas sous des formes qui seraient fumées).

Comment le cannabis est-il alors permis dans les aliments pour animaux ?

Le cannabis étant un stupéfiant, le code de la santé publique (art. R. 5132-86) interdit sa culture, son transport, sa détention, ses ventes (ou cessions), son acquisition ou simplement son emploi. Mais, le même article de code de la santé prévoit aussi des dérogations à ces interdictions pour permettre la culture et l'exploitation de variétés de cannabis sans propriétés stupéfiantes, souvent appelé chanvre agricole ou industriel. Des aides européennes sont même accordées aux agriculteurs qui cultivent ce change dépourvu de propriétés stupéfiantes.

Ces variétés de chanvre ne contiennent donc pas ou très peu de substances psychoactives, notamment de 9-delta-tétrahydrocannabinol (ou 9-THC ou THC), le plus abondant des cannabinoïdes présent dans le cannabis. Le cannabidiol (CBD) est en revanche moins abondant dans le chanvre (de 0,1 à 3 % de la matière sèche) et considéré comme pas ou peu psychoactif.

Un arrêté d'application précise donc les modalités d'application de cette dérogation qui s'applique aussi au cannabidiol, extrait du chanvre agricole.

  • L'arrêté liste une vingtaine de variétés de Cannabis sativa L sans propriétés stupéfiantes qui sont les seules autorisées à la culture et à l'exploitation.
  • Seul l'usage des fibres et des graines est autorisé. Les fleurs et les feuilles de ce chanvre agricole ne peuvent pas être utilisées.
  • La teneur en THC dans les plantes (fibres et graines) ne doit pas dépasser 0,2 % (avec des dosages réglementés sur des extraits secs). Dans les produits finis qui incorporent ce cannabis légal, la présence de THC est interdite quel que soit son taux, même s'il est inférieur à 0,2 %. En d'autres termes, si des produits à base de cannabidiol contiennent du THC (même en dessous de 0,2 %), ils sont illicites.

Enfin, aucun des produits finis, même des aliments fabriqués à partir de ce chanvre légal (ou du cannabidiol qui en est extrait), ne peut revendiquer une allégation thérapeutique, sauf, évidemment, s'il s'agit d'un médicament avec AMM.

Le chanvre est inscrit au catalogue officiel des aliments pour animaux

Dans le cas des aliments pour animaux, les graines de chanvre agricole (ou chènevis), l'huile de chanvre et le tourteau de pression de chanvre et de chènevis sont inscrits au catalogue officiel des matières premières des aliments pour animaux publié dans le règlement européen 2017/1017 (JOUE 21/6/17). Ce catalogue officiel harmonise les dénominations et les caractéristiques des matières premières des aliments pour animaux. Un contrôle de la teneur en THC (< 0,2 %) est exigé dans les graines de chanvre.

Des aliments pour animaux (chiens et chats) peuvent donc, à l'évidence, être préparés à partir de ce chanvre agricole légal, avec toutefois un taux de THC indétectable dans l'aliment (produit fini), dans l'huile de chanvre, et < 0,2 % dans les graines de chanvre.

Le taux de cannabidiol n'est pas plafonné par cette réglementation européenne sur l'alimentation animale.

De multiples huiles de cannabidiol sont vendues sur internet

Une recherche google montre que de très nombreuses gammes de produits pour chiens (et chats) sont présentées comme contenant du chanvre et/ou de cannabidiol (surtout l'huile de CBD), pour la plupart avec le statut d'aliments pour animaux en s'appuyant sur les inscriptions du chanvre (graines, huile, tourteau) dans le catalogue officiel.

En voici quelques exemples vendus, pour la plupart, en direct au propriétaire d'animaux. La liste est loin d'être exhaustive.

  • Gour Medical. Gamme Weedley comprenant trois huiles de CBD à 5 %, 6,6 % ou 10 % (de 55 € à 119 € le flacon de 10 ml), une pommade dosée à 600 mg de CBD et, prochainement, des friandises de CBD. Voir ce communiqué de presse et ce lien.
  • Beaphar. Huile de CBD 2,75 % pour chiens et chat [24,50 € le flacon de 10 ml], voir ce lien.
  • Cibdol. Gamme Cibapet. Huile de CBD 4 % pour chiens et chats [37,50 € le flacon 10 ml], Pastilles de CBD 4 % pour chiens et chats [27,50 € la boîte de 100 pastilles], voir ce lien.
  • Cannadorra. Huile de CBD 5 ou 10 % pour animaux (32 € à 63 € le flacon de 10 ml), friandises de CBD, saveur bœuf (5,50 € les 100 g), voir ce lien.
  • Des huiles de CBD sont aussi disponibles chez Holland Animal Care pour chevaux ou poneys en flacons de 500 ml ou 1 litre (voir ce lien).

Souvent, pas toujours, des allégations thérapeutiques sont assez clairement citées : douleur, anxiété, stress, arthrose, tumeurs, épilepsie, tremblements, spasmes… voire des troubles cutanés. Le risque est alors élevé d'une requalification de ces produits en médicament vétérinaire, ce qui reviendrait alors à les interdire.

Virbac lance Anibidiol° Plus dans le circuit vétérinaire

Dans le circuit vétérinaire, Virbac lance aussi actuellement un aliment complémentaire pour chiens et chats, Anibidiol° Plus à base d'huile de chanvre et de vitamines B3 et B6. Les granulés sont présentés en boîte de 30 sachets de 5 g avec par sachet la composition suivante : 38 mg d'huile de chanvre, 16 mg de vitamine B3 (niacine) et 2,5 mg de vitamine B6 (pyridoxine). Le tarif d'achat centrale pour les vétérinaires est aux alentours de 30 € HT.

Dans sa présentation (voir ce lien), Virbac se garde bien de citer, même implicitement, une allégation thérapeutique. Il est juste mentionné qu'il s'agit « d'un aliment complémentaire pour animaux qui contient de l'huile de chanvre ». Seule la dénomination commerciale, Anibidiol°, évoque le cannabidiol et donc le cannabis.