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Elanco & Proplan

15 novembre 2023

Quand la rage revient en Europe (de l'Est)

par Vincent Dedet

Temps de lecture  5 min

Distribution spatiale et temporelle des cas de rage détectés dans l'UE27 en 2021-2022 (LeFil, d'après Robardet et coll., 2023).
Distribution spatiale et temporelle des cas de rage détectés dans l'UE27 en 2021-2022 (LeFil, d'après Robardet et coll., 2023).
 

L'Union européenne avait prévu l'éradication de la rage de son territoire en 2020, mais a échoué… Pourtant, en 2020, il ne restait que deux États membres de l'UE27 à recenser des cas de rage – sylvatique et domestique : la Roumanie et la Pologne. Et moins de 10 cas avaient été détectés en 2018 et 2019. Depuis, le virus est réapparu dans deux autres états européens : Hongrie et Slovaquie. La guerre en Ukraine est pour partie responsable de cette « réémergence ».

Deux cycles

« La situation est sans précédent sur les années récentes » titrent des virologistes et épidémiologistes européens dans une publication de la mi-novembre détaillant l'étendue et la nature de cette réapparition. Il s'agit à chaque fois d'une origine faune sauvage (cycles sylvatiques), mais avec deux variants :

  • Le premier se déroule dans le centre-est de la Pologne depuis 2020 (voir l'illustration principale), et il est lié au variant de la rage dit d'Europe centrale ;
  • Le second est enzootique en Roumanie (nord-est du pays, le long de la frontière ukrainienne) et a récemment débordé vers la Hongrie et la Slovaquie (cette dernière toute fin 2022), et au sud-est de la Pologne, ces pays ayant eux aussi une frontière commune avec l'Ukraine, au long desquelles se localisent justement ces cas. Ces cas sont tous liés au variant dit d'Europe du nord-est, qui, au vu du nombre total de cas, « semble prédominant dans l'UE ».

Du nord au sud, les cas de rage se répartissent pour l'essentiel au long de la frontière avec l'Ukraine.

Deux épisodes polonais

La rage est réapparue au centre-est de la Pologne en 2021 (voïvode de Mazovie), dont elle avait été absente depuis 2004. Il y a eu 113 cas sur l'année, à 85 % sur des renards roux, mais avec quelques espèces domestiques (dont des chiens et des chats). Le virus s'est progressivement déplacé vers le sud. Avec la reprise des campagnes de vaccination orale des renards (elle n'était plus en vigueur dans cette province considérée comme indemne), le nombre de cas s'est réduit (36 en 2022, dont 32 sur des renards roux). À la frontière ukrainienne, au sud-est de la Pologne, deux cas avaient été identifiés sur 2021 (faune sauvage), mais pas depuis ; ces cas appartiennent au variant d'Europe du nord-est (les précédents à celui d'Europe centrale). De 2012 à 2020, la campagne de vaccination s'étendait sur 100 km à l'intérieur de l'Ukraine, au long de la frontière polonaise, mais cela a été interrompu…

Transfert de refuge

En Slovaquie, le premier cas de 2022 (et le seul depuis 2015) a été un blaireau, abattu en septembre du fait d'un comportement anormal, dans le nord-est du pays (frontières avec la Pologne et l'Ukraine). Un renard trouvé mort dans la même zone fin décembre a également été confirmé infecté. Peu de temps avant, une chienne suitée avait été confirmé infectée. Elle avait été capturée dans le sud-est du pays, dans un village frontalier avec l'Ukraine, point de passage à pied entre les deux pays. Mais les refuges locaux étant saturés, elle avait été transférée dans un refuge à l'ouest du pays, dans lequel elle a commencé à manifester des signes neurologiques, dont elle est décédée. À la confirmation du diagnostic, ses trois chiots et les 5 autres chiens présent dans le refuge ont été euthanasiés (tous se sont révélés négatifs).

Chien de ferme

En Hongrie, les derniers cas de rage remontaient à 2017 (un renard et deux chèvres). En septembre 2022, à 5 km de la frontière ukrainienne, des chasseurs ont abattu un renard au comportement anormal… qui a été confirmé infecté. Sur le même site, un autre renard abattu (pas de signes cliniques) et, sur un site proche (< 15 km de la frontière ukrainienne), un troisième sujet, ont été confirmés positifs en novembre. Il s'agissait de juvéniles dont les dents ne présentaient pas de fluorescence (marqueur de la consommation du vaccin oral). Entre temps, à 5 km de là, un chien de ferme qui avait présenté des troubles neurologiques avait été confirmé infecté début novembre. Dans ces deux pays, la campagne de vaccination orale des renards n'avait été interrompue qu'au printemps 2020, mais un accord permettait aussi d'intervenir du côté ukrainien.

Bovins et chiens

En Roumanie, la mise en place de la vaccination orale des renards avait permis de maintenir le nombre annuel de cas en-dessous de 5. Cette campagne concernait l'ensemble du pays et une partie de la zone frontalière en Ukraine et en Moldavie. Mais elle a été interrompue de sur 2021 et le printemps de 2022. Un renard a été détecté positif en janvier 2021 dans le nord du pays (à 20 km de l'Ukraine), puis 4 bovins en fin d'année (proches de la frontière moldave). En 2022, les autorités ont détecté des cas sur renards roux (n=7), bovins (n=15) et chiens (n=6), presque tous dans l'est et en fin d'année. De nouveaux cas on été identifiés en 2023.

18 mois d'interruption

Ces deux résurgences sont liées à une conjonction d'événements, car les campagnes annuelles de vaccination orale des renards étaient correctement effectuées, jusqu'aux confinements de 2020. Puis, le conflit russo-ukrainien a limité ces possibilités, les campagnes ne se focalisant plus que sur le territoire de ces États membres. Ce qui ne permet pas d'empêcher la diffusion d'animaux provenant des pays frontalier chez lesquels la vaccination orale n'a plus lieu – sans compter la perturbation des habitats des animaux sauvages, pouvant participer à leur dispersion. Le point le plus critique est celui de la Roumanie, où « un an et demi d'interruption des programmes de vaccination orale des renards a dangereusement amené à une situation sanitaire dégradée pour la rage. Le territoire de l'UE n'avait pas connu une telle situation depuis une décennie ». Or le renard roux a une espérance de vie à l'état sauvage de 1 à 3 ans : cela « ne permet pas d'interrompre les campagnes de vaccination. Une telle interruption entraîne rapidement une proportion non négligeable d'individus juvéniles dans la population réservoir. Ces jeunes renards sont naïfs de toute exposition et, par conséquent, très susceptibles d'être infectés », et de diffuser la rage à l'automne.

Les auteurs espèrent que la coopération internationale va reprendre pour ces programmes de vaccination orale car elle seule permettra « d'atteindre et maintenir des zones indemnes de rage et de soutenir les pays enzootiques sur le chemin tortueux mais réalisable de l'élimination de la rage ».