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22 mai 2023

En France, jardinage et tourisme sont les principaux facteurs de risque de morsure de vipère

par Vincent Dedet

Temps de lecture  4 min

Localisation des 703 cas de morsures de vipère enregistrés pour les quatre régions de l'ouest de la France entre 2012 et mi-2021. Chaque cercle correspond à une commune où au moins une morsure a été observée (la taille des cercles est proportionnelle au nombre d'envenimations). Le Roux et coll., 2023.
Localisation des 703 cas de morsures de vipère enregistrés pour les quatre régions de l'ouest de la France entre 2012 et mi-2021. Chaque cercle correspond à une commune où au moins une morsure a été observée (la taille des cercles est proportionnelle au nombre d'envenimations). Le Roux et coll., 2023.
 

Les descriptions des signes cliniques, de leur prise en charge thérapeutique et des conséquences des envenimations ophidiennes des humains en France ont déjà été effectuées. Mais les facteurs épidémiologiques associés à ces envenimations étaient jusqu'à présent peu éclairés. Un travail rassemblant épidémiologistes de l'école des hautes études en santé publique, toxicologues des centres antipoison, médecins hospitaliers et spécialistes de la conservation vient combler ce manque, mettant en avant deux facteurs de risque principaux pour l'ouest de la France : l'activité de jardinage et le tourisme, en particulier en zone littorale.

Quatre régions

Les auteurs n'ont travaillé que sur les envenimations qui se sont produites dans quatre régions du grand-ouest : Bretagne (qui n'héberge que la vipère péliade, Vipera berus), Pays-de-la-Loire, Normandie et Centre Val-de-Loire (où les vipères péliade et aspic – V. aspis – cohabitent). Ce choix est à la fois pratique (régions desservies par le centre antipoison de l'ouest) et pragmatique (régions qui « semblent les plus à risque d'envenimation ophidienne en France », hors serpents exotiques). Les populations des deux espèces (protégées) sont en déclin, du fait de la raréfaction de leur habitat. Une étude antérieure avait estimé la prévalence des morsures de vipère en Europe à 1,06 p. 100 000 habitants. Sur la période de janvier 2012 et mai 2021, les auteurs ont recensé 703 appels auprès des centres antipoison compétents pour ces régions, pour des envenimations attribuables de manière probable ou certaine à des vipères. Leur localisation (voir l'illustration principale) est majoritairement côtière. La Normandie est la région comprenant le plus faible nombre de morsures (7,1 % des cas), derrière la Bretagne (23 %) et le Centre Val-de-Loire (28 %). Un peu moins d'un cas sur deux (42 %, p<0,0001) est survenu en Pays-de-la-Loire. Une seule commune littorale de Vendée recense 18 morsures sur la période, alors que la moyenne est de moins de 2 morsures par commune concernée.

Jardinage et randonnée

Sans surprise, l'essentiel (94 %) des morsures se produit en saison chaude, avec un pic en juillet (23 % des cas) et de jour (93 % entre 8 h et 21 h). Plus d'un cas sur deux (51 %) survient à l'occasion d'une activité de jardinage, qu'il s'agisse d'espace vert (exposition professionnelle) ou non (activité de loisir). Vient ensuite l'activité « à la campagne » (45 %). Les trois quarts des cas sont liés à une « rencontre fortuite » avec une vipère. Seules 8 % des envenimations sont liées « à une interaction avec l'animal : tentative de capture, de manipulation, de le photographier » ou « de le tuer ». Il est difficile pour une personne sans formation naturaliste de distinguer les deux espèces de vipère. C'est pourquoi l'attribution de l'espèce a été réalisée à partir des densités locales connues Ainsi, les auteurs observent que « les morsures survenant lors d'activité campagnardes [randonnée, camping] sont plus souvent associées à la vipère péliade qu'à la vipère aspic (55 vs. 43 %, p=0,03) ». Toutefois, sur l'ensemble de la région étudiée, la probabilité d'être mordu par une vipère péliade est nettement plus faible que par une vipère aspic (0,02 et 0,075).

Parcelles dégradées, température et tourisme

L'un des facteurs importants associés au risque de morsure, dans les modèles construits par les auteurs, est la présence d'habitats favorables (les haies sont un refuge naturel pour les vipères) tout comme les habitats dégradés (importantes surfaces cultivées, anthropisées). La probabilité de morsure augmente linéairement avec la proportion d'habitat dégradé dans les communes (voir le graphique ci-dessous), mais aussi avec l'espace urbanisé (plus d'enrobé, de parkings, de chantiers, favorables à la thermorégulation, en particulier de l'aspic, et donc aux rencontres). L'inverse est vrai pour la densité de population des communes (la probabilité de morsure passe de 0,15 à 0,025 quand la densité humaine est divisée par 4). Logiquement, le risque d'être mordu augmente aussi avec la probabilité de présence d'une ou l'autre des espèces de vipères (ou des deux). Cet effet est plus important pour la vipère péliade que pour l'aspic. Toujours avec la vipère péliade, le risque de morsure augmente avec la température annuelle moyenne, alors qu'il est constant pour la vipère aspic (toujours active). Ce risque augmente aussi avec l'attractivité touristique (au-dessus de 50 lits par habitant dans la commune), mais seulement pour l'aspic.

Probabilité estimée de morsure par une vipère sur 10 ans, selon le niveau de dégradation (anthropisation) des surfaces dans une commune donnée (Le Roux et coll., 2023).

 

Effet sur le nombre de morsures

Les facteurs de risque du nombre de morsures sont du même ordre :

  • « le risque d'un plus grand nombre de morsures augmente significativement avec l'augmentation de la proportion de surfaces dégradées », à partir de 10 % dans un modèle, mais dès 1 % dans un autre ;
  • ce risque « diminue lorsque la densité de population de la commune diminue » ;
  • évidemment, ce risque augmente aussi avec la probabilité de présence de vipères sur la commune, mais surtout avec un « taux de fonction touristique au-delà de 100 lits/100 habitants ». D'où le “hotspot” dans la commune littorale vendéenne, riche en campings, mais aussi en haies bocagères…

En termes de prévention, « des mesures simples peuvent être appliquées pour minimiser le risque de morsure par les vipères, car ces animaux timides réagissent d'abord à une perturbation par des sensations ou un comportement de parade. La morsure n'est que la dernière option défensive, notamment lorsque la fuite n'est pas possible », soulignent les auteurs, qui recommandent aux décideurs publics des communes les plus à risque d'engager des campagnes de sensibilisation à ce risque.