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10 mars 2023

Reposez-vous avant d'opérer !

par Agnès Faessel

Temps de lecture  4 min

Détail de la sculpture de Charles-Auguste Fraikin, « le Sommeil ou Morphée », 1857 (source Wikimedia Commons).
Détail de la sculpture de Charles-Auguste Fraikin, « le Sommeil ou Morphée », 1857 (source Wikimedia Commons).
 

Quel est l'impact du manque de repos sur les performances d'un chirurgien vétérinaire ? Et surtout les risques associés ?

Plusieurs membres de l'association américaine des femmes vétérinaires chirurgiennes (AWVS) ont recherché les données scientifiques disponibles pour l'évaluer.

Elles livrent les résultats de leur revue de la littérature, et leurs conclusions sur la conduite à tenir, dans une publication en libre accès (dans la revue Veterinary Surgery).

Manque de sommeil aigu et chronique

Les conséquences délétères de la fatigue sur le fonctionnement humain sont connues : altération de la régulation émotionnelle, de l'attention, de la mémoire, de l'acuité dans les prises de décision, etc. Elles posent problème dans le domaine médical et en particulier chirurgical au regard du fonctionnement de la structure et de la sécurité des patients. Les caractéristiques de la pratique vétérinaire favorisent le manque de repos (larges horaires de travail, urgences, manque de personnel, etc.), notamment un manque de sommeil. Ce dernier peut être aigu (un lendemain de garde par exemple) mais aussi chronique, découlant de nuits écourtées, d'un sommeil haché, ainsi que de l'irrégularité des plannings de travail (avec une grande variabilité des horaires d'un jour à l'autre et d'une semaine sur l'autre).

Les auteurs ont donc analysé les connaissances actuelles sur l'impact du manque de sommeil des chirurgiens vétérinaires sur leurs capacités de travail et les soins aux animaux.

Être fatigué équivaut à être alcoolisé

Il ressort ainsi qu'un manque de sommeil aigu a des conséquences sur les performances cognitives équivalentes à celles de la consommation d'alcool : les effets de 17 h sans dormir sont similaires à ceux d'avoir un taux d'alcoolémie de 0,05 %, et passées 28 heures, l'altération de la coordination des gestes équivaux à avoir un taux d'alcool dans le sang de 0,10 %.

Dormir moins de 6 h par nuit ou travailler plus de 70 h par semaine est associé à un risque d'erreurs médicales significativement augmenté (+27 % par heure de sommeil en moins). Les temps opératoires et les complications sont significativement augmentés aussi. Et les troubles sont d'autant plus marqués que la personne vient de se réveiller.

Des études montrent également l'impact négatif d'un manque de sommeil moins important mais chronique, avec une altération des fonctions neurocomportementales. À mesure du temps, les altérations deviennent similaires à celles d'une fatigue aiguë. Et la récupération est lente après le retour à une bonne qualité et durée de sommeil. En outre, la fatigue chronique est moins auto-perçue par la personne concernée.

La superposition d'un manque de sommeil aigu sur une fatigue déjà chronique exacerbe les défauts de performance.

L'astreinte même non dérangée n'est pas reposante

L'astreinte ne permet pas un repos d'aussi bonne qualité qu'une véritable coupure, qu'elle soit dérangée ou non. Et les conséquences physiologiques sont les mêmes que celles d'un manque de sommeil : déficit de l'attention, erreurs, etc.

En outre, une nuit ou un week-end d'astreinte est généralement suivi d'une journée de travail normale, aboutissant ainsi à un stress et une fatigue chronique.

D'autres paramètres, notamment l'âge, le sexe, le tempérament, les comorbidités, influencent la réponse individuelle au manque de sommeil, en particulier d'un sommeil haché, que tolèrent mieux les jeunes par exemple.

« Tout va bien »

Les auteurs observent aussi que d'après plusieurs études, les premiers concernés sous-estiment les effets que la fatigue a ou peut avoir sur les soins qu'ils prodiguent. Ils reconnaissent tout de même qu'ils peuvent dévier des bonnes pratiques lorsqu'ils sont fatigués.

En outre, de manière culturelle, le soignant est « infatigable », sa motivation suffit à sa résistance à la fatigue, celle-ci étant même la marque honorifique et louable d'un travail éprouvant. Le manque de sommeil est apprécié comme un signe de dévouement, d'ambition, d'endurance…

Aujourd'hui toutefois, la charge excessive de travail est identifiée comme un facteur de burn-out et d'idéations suicidaires chez les vétérinaires et plus largement les soignants, et être soulagé de cette surcharge ressort comme un souhait exprimé. Le dilemme est ainsi de préserver la santé mentale et physique des praticiens, et garantir une bonne qualité de soins aux animaux, tout en apportant la disponibilité nécessaire pour offrir ces soins.

Exploiter son temps personnel à bon escient

Selon les auteurs, il convient d'accorder du temps libre (privé) aux vétérinaires praticiens, sous réserve toutefois qu'ils le mettent à profit pour se reposer (et non pour étudier par exemple, s'agissant des résidents visant une spécialisation).

Il n'existe pas de recommandations précises concernant l'organisation du temps de travail des vétérinaires. Partant de leurs observations, notamment sur ce qui se pratique dans d'autres professions où les erreurs humaines sont à haut risque comme les pilotes d'avion, les auteurs proposent une organisation du travail qui préserve au mieux la qualité de sommeil : employer une équipe de nuit ou des urgentistes, considérer l'astreinte comme du temps de travail dans l'élaboration des plannings, limiter les astreintes à 3 nuits de suite, ne pas prévoir une chirurgie lourde après une nuit de garde… Les mesures prises sont évidemment adaptées au cas particulier et aux contraintes propres de la clinique et de ses équipes, y compris en termes de rentabilité et de possibilité de mutualiser les ressources entre cliniques voisines.

Selon le rapport de l'Institut de médecine américain, il est recommandé, entre autres, de :

  • Limiter la durée de travail à 12 à 16 h consécutives au maximum,
  • Accorder un temps de repos de 10 h au minimum entre deux journées,
  • Anticiper que les urgences, fréquentes, prolongent la journée de travail,
  • Fournir un moyen de transport si le clinicien est trop fatigué pour conduire.