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Elanco & Proplan

3 janvier 2023

La fréquence des césariennes en augmentation chez les bouviers bernois de Suisse

par Vincent Dedet

Temps de lecture  5 min

Distribution annuelle de l'incidence des césariennes (% des naissances), de 2001 à 2020, chez les femelles bouvier bernois inscrites au club suisse de la race (Schrank et coll., 2022).
Distribution annuelle de l'incidence des césariennes (% des naissances), de 2001 à 2020, chez les femelles bouvier bernois inscrites au club suisse de la race (Schrank et coll., 2022).
 

C'est parce que les membres du comité suisse de la race bouvier bernois ont rapporté « une augmentation de l'incidence des césarienne dans la race » que l'étude a été lancée. Ce sont des épidémiologistes de la faculté vétérinaire de l'université de Padoue (Italie) qui l'ont conduite, à partir de 20 ans de données. Leur analyse confirme du bout des lèvres cette augmentation d'incidence, et constate qu'elle est supérieure à celle mentionnée dans la littérature scientifique.

1 000+ portées en 20 ans

La base de données utilisée comprend les données de reproduction pour tous les accouplements, en race pure. Cela comprend « la date de naissance, le coefficient de consanguinité, les résultats des examens de santé obligatoires, le pedigree ainsi que des informations sur la progéniture » des chiens et des chiennes inscrits. Le fait d'avoir ou non eu un part dystocique (césarienne ou pas) y est également indiqué. Les auteurs ont utilisé les données pour toutes les chiennes nées à partir de janvier 2000, et jusqu'en 2020. Ils ont ainsi analysé 1127 portées pour 401 chiennes sur la période (mises bas entre novembre 2001 et décembre 2020), pour un total de 8 106 chiots. Ils préviennent que ce dispositif ne prend pas en compte les naissances après 8 ans d'âge pour la chienne (portées exclues du pedigree) et que l'indice de consanguinité d'une portée (calculé sur les 5 dernières générations) ne peut pas dépasser 6,25 %.

Une césarienne pour trois mises bas

Plus des deux tiers (69,6 %) de ces naissances ont été eutociques, mais sur les 401 chiennes suivies, plus de la moitié ont eu au moins une césarienne (4 au plus). Cette proportion de césariennes (30,4 %) est supérieure à celle décrite dans la littérature pour le bouvier bernois. Une minorité (23/343) de ces césariennes étaient programmées (58 % des césariennes ont même été engagées après la naissance du premier chiot), ce qui paraît cohérent aux membres du comité en charge de la race, les éleveurs n'étant pas professionnels, tendent à repousser la décision d'intervention. Sur la période, les chiennes ont ainsi pu avoir de 1 à 8 mises bas renseignées dans la base de données ; les naissances par césarienne concernent 1 108 chiots. Il n'y avait pas de différence significative pour la proportion de primipares parmi les naissances par césarienne ou sans intervention (environ un tiers). « Les chiennes ayant subi une ou plusieurs césariennes antérieures ont eu des portées significativement plus petites (5,8 ± 3,0 chiots) que celles n'en ayant pas subi (7,5 ± 3,0 chiots, p<0,001) » ; elles sont aussi plus représentées parmi les naissances par césarienne (p=0,029). Mais il n'y avait pas de différence significative pour la proportion de mort-nés dans les deux groupes. Pour deux étalons, les auteurs identifient aussi « une incidence particulièrement élevée de césariennes dans “leurs” portées, avec 43,8 % des 32 portées de l'un et 52 % des 25 portées de l'autre ».

Augmentation non commentée

L'observation la plus surprenante de ce travail n'est pas commentée par les auteurs : ils présentent sous forme de tableau l'évolution de la proportion des césariennes parmi les naissances de chaque année, mais ne détaillent pas ce résultat dans l'article. Lorsque ces données sont compilées sous forme de courbe, une tendance apparaît pourtant clairement (voir l'illustration principale). Il est possible que leurs commanditaires aient souhaité la discrétion sur cet aspect. Tout au plus, les auteurs signalent-ils dans la discussion que « bien que le bouvier bernois ne soit généralement pas considéré comme une race à risque de dystocie, des recherches supplémentaires sont nécessaires pour déterminer si des différences dans l'apparence phénotypique suite à des changements dans les processus de sélection peuvent avoir contribué à une augmentation de la dystocie et des césariennes d'urgence ». Ce qui « soulèverait des préoccupations éthiques ».

Mort-nés : césar' trop tard

Pris dans leur ensemble, les mort-nés se répartissent de manière homogène selon le part euto/dystocique (12 % des chiots au total, ce qui est supérieur aux chiffres décrits dans la littérature pour les bouviers bernois). Toutefois, lorsque les auteurs distinguent le moment auquel la césarienne est réalisée, l'effet retard est délétère. Lorsque la césarienne est réalisée avant la naissance du premier chiot (y compris lorsqu'elle est programmée), il y a en moyenne 0,3 ± 0,7 mort-né ; lorsque l'intervention se fait après la naissance du premier chiot, cette fréquence passe à 1,2 ± 1,2 (p<0,001). Lorsque la césarienne est réalisée avant la naissance du premier chiot, la taille de portée moyenne était de 3,1 ± 2,7, contre 7,0 ± 2,8 chiots pour les césariennes plus tardives. Les chiennes qui ont subi une césarienne après la naissance du premier chiot étaient significativement plus âgées (p=0,014), et plus souvent des chiennes sans historique de césarienne.

Facteurs additifs ?

Ainsi, les facteurs de risque d'une césarienne tardive sont une première césarienne, sur une chienne âgée avec une taille de portée importante… Lorsqu'ils analysent les facteurs de risque de dystocie, les auteurs n'identifient pas l'âge du mâle, la parité de la femelle, le coefficient de consanguinité de l'un ou l'autre des reproducteurs) comme prédisposants. En revanche, ils mettent en évidence « une augmentation significative du nombre de césariennes chez les chiennes ayant préalablement subi au moins une césarienne antérieure (p<0,001) ». Celles qui avaient déjà subi au moins une césarienne :

  • « avaient également un indice de consanguinité significativement plus élevé (1,5 ± 1,3) par rapport aux chiennes qui n'en avaient pas subi (1,2 ± 1,2, p=0,009) ». Pour les auteurs, ce facteur est probablement multifactoriel et « nécessite des explorations complémentaires » ;
  • « étaient significativement plus âgées (p<0,014) » que les autres ;
  • avaient une portée « significativement plus petites que les portées nées d'un part eutocique, avec des tailles moyennes de 5,9 ± 3,3 et 7,8 ± 2,8 chiots, respectivement (p<0,001) ». Les auteurs n'excluent pas que ces deux derniers facteurs puissent être additifs.

De l'ensemble de ces données, les auteurs retirent trois recommandations :

  • la présence d'un seul ou de deux chiots chez une femelle gestante « devrait être une raison de conseiller au propriétaire de demander une césarienne programmée » ;
  • « il serait utile de limiter le nombre de césariennes qu'une chienne peut subir », pour limiter des dérives de sélection ;
  • et il « est très important d'étudier les conditions ou les raisons sous-jacentes de l'incidence accrue des césariennes ou de l'incapacité à mettre bas naturellement afin de mettre en œuvre des stratégies d'élevage efficaces ».