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25 mai 2022

21 ans de littérature scientifique sur Dipylidium caninum : 16 cas humains dans le monde

par Vincent Dedet

Temps de lecture  5 min

Distribution mondiale de Dipylidium caninum selon la littérature scientifique du XXI siècle (Rousseau et coll., 2022).
Distribution mondiale de Dipylidium caninum selon la littérature scientifique du XXI siècle (Rousseau et coll., 2022).
 

En ces temps post-Covid et per-monkeypox, il peut être rafraîchissant de trouver une zoonose qui ne fait pas de bruit… C'est le cas de « la dipylidiose, ou infection par Dipylidium caninum », à laquelle quatre parasitologistes portugais viennent de consacrer une revue de la littérature scientifique « du XXI siècle ».

Quels changements ?

Sachant que, pour être infesté par le stade adulte de D. caninum, il faut en ingérer l'hôte intermédiaire (puce ou pou) parasité, il semble assez logique que le nombre de cas humains référencés soit si faible : 16 descriptions entre 2000 et 2021. Leur motivation était double. D'une part, évaluer si le changement climatique et l'urbanisation croissante, avec l'augmentation de la fréquence et de l'étroitesse des contacts entre humains et animaux de compagnie avaient modifié l'épidémiologie de l'infection. D'autre part, « afin de sensibiliser les communautés médicale et vétérinaire aux défis liés à la gestion de ce parasite ». Ils ont donc passé en revue la base de publications scientifiques de Medline®, à la recherches d'articles descriptifs en lien avec ce parasite. Seuls les articles liés aux chiens, chats et humains étaient retenus, ainsi que ceux en anglais, espagnol et portugais.

Pas l'Antarctique

Des 280 références obtenues sur la période voulue, les auteurs en ont écarté 119. Les études restantes se classent en 20 descriptions de cas et 141 études épidémiologiques. Ce qui leur permet d'établir une carte du monde de la présence confirmée de D. caninum au XXI siècle : il est décrit dans 50 pays sur la période d'intérêt (voir l'illustration principale), mais est plus largement présent sur les 5 continents. Seul l'Antarctique en est a priori exempt…

Deux espèces… deux génogroupes

Une étude sur les chats errants de Majorque a identifié une seconde espèce, D. carracidoi, qui y est plus prévalente que D. caninum. Ce parasite, présentant des différences morphologiques avec D. caninum, n'a pas été signalé ailleurs sur ces 21 ans. En revanche, une étude franco-sudafricaine, publiée en deux volets en 2018, a identifié deux groupes génétiques différents pour D. caninum. Il y a un génogroupe canin et un génogroupe félin, « quelle que soit l'origine géographique du prélèvement ». Ces différences génétiques se soldent par des différences biologiques (chaque espèce hôte est parasitée plus fréquemment par “son” génogroupe et il n'y a pas d'hybridation lors d'inoculation expérimentale avec les deux génogroupes). Ces auteurs estiment que ce sont des arguments suffisants pour considérer qu'il y a en fait deux espèces derrière D. caninum, mais le jury des taxonomistes semble ne pas s'être encore réuni pour trancher – et baptiser – ces espèces.

Surtout les enfants

Chez les humains, les enfants semblent particulièrement vulnérables, en particulier au travers de la géophagie et de l'étroitesse de leurs contacts avec les chiens et/ou chats. Mais cela ne concerne que 16 cas publiés en 21 ans… L'infection est en général asymptomatique, « des symptômes non spécifiques peuvent être observés, tels que des douleurs et une gêne abdominales, des ballonnements, des diarrhées, des difficultés à déféquer, des démangeaisons anales pouvant conduire au grattage de la zone périanale et au développement d'abrasions et de dermatites, une perte d'appétit et une moindre prise de poids, ainsi que des vomissements et de la fièvre occasionnels. Des troubles du sommeil, de la tristesse, de l'hyperactivité et de l'irritabilité sont également décrits ». Le diagnostic est souvent réalisé lors de l'inspection des selles ou de la zone anale des enfants et certains auteurs évoquent une guérison spontanée de l'infection. Lorsque le diagnostic est visuel, les auteurs évoquent la confusion avec une oxyurose, ayant comme conséquence l'administration d'un vermifuge contre les nématodes et non les cestodes… et donc l'absence d'efficacité. Des cas sont cependant décrits pour des adultes.

Résistance

En médecine vétérinaire, « la molécule de choix est le praziquantel (…) ou l'epsiprantel (…) tous deux très efficaces », soulignent les auteurs, qui préviennent toutefois que « des cas de résistance ont été décrits aux USA », chez des chiens de plusieurs États, entre 2016 et 2018 et vis-à-vis de ces deux molécules. Ces cas n'ont pu être guéris avec les doses AMM, ni des doses supérieures de l'une ou l'autre des molécules, administrées par le praticien, de manière répétée. « Une des infections a été traitée avec succès par le nitroscanate, deux ont été traitées avec succès par un produit composé à base de pyrantel/praziquantel/oxantel [sans que les auteurs n'expliquent la raison de ce succès], une a cessé spontanément d'excréter des proglottis après plusieurs mois de traitement, et une dernière a été perdue de vue ».

Prévention… et dialogue médical

La prévention, par l'action sur les puces, est évidemment « nécessaire », tout comme l'hygiène des animaux et des espaces dédiés à leur défécation et « le recours à des ectoparasiticides et des anthelminthiques tout au long de l'année ». Quant au diagnostic chez l'humain, il peut être entravé par « le manque de communication entre médecins et vétérinaires, ou l'omission de parties importantes de l'histoire clinique et du mode de vie, pouvant conduire à un diagnostic manqué ou retardé ». Les auteurs mettent en avant certaines des descriptions de (rares) cas humains où « les animaux domestiques ont été correctement diagnostiqués et traités pour D. caninum 2 à 3 mois avant l'apparition des symptômes chez l'enfant », en raison « d'un manque de communication ou de connaissance de la capacité zoonotique de ce parasite ».

Revenant sur les second objectif de leur étude, les auteurs estiment que « il est donc essentiel d'alerter les communautés médicale et vétérinaire sur ce parasite zoonotique, qui a été sous-estimé, mais qui pourrait devenir plus fréquent à l'avenir ».