titre_lefil
logo_elanco

24 novembre 2021

Impact du covid. Les antibiotiques chutent de 18 % chez les médecins. À l'inverse des vétos canins à +5 %

par Eric Vandaële

Temps de lecture  6 min

Les mesures sanitaires prises pour lutter contre la pandémie ont fait brutalement chuter de 18 % les consommations d'antibiotiques en médecine humaine. Figure LeFil.
Les mesures sanitaires prises pour lutter contre la pandémie ont fait brutalement chuter de 18 % les consommations d'antibiotiques en médecine humaine. Figure LeFil.
 

18 novembre ? Cela vous dit quelque chose. Comme chaque année depuis 2008, le 18 novembre est « the antibiotic day » au niveau européen et même désormais au niveau mondial. Comme chaque année, c'est donc le 18 novembre que l'Anses dévoile ses bilans annuels sur les antibiotiques, le 18 novembre 2021 pour les bilans de 2020.

L'an dernier, le covid n'avait pas permis d'organiser en présentiel, mais seulement en visio, la traditionnelle réunion où sont révélés ses bilans. Cette année, covid ou pas, pour la première fois depuis 2008, aucune conférence officielle, pas même en visio, n'a marqué en France ce 18 novembre 2021. Il est vrai, que chaque année, cette grande messe annuelle voyait les vétérinaires se réjouir de leurs bons résultats et se moquer sous le manteau des médecins qui, plan après plan, échouaient à diminuer significativement leurs consommations d'antibiotiques en ville. « Les médecins devraient s'inspirer de ce que font les vétérinaires » avait même conclu le 18 novembre 2016 un ancien directeur général de la santé en constatant les bons résultats de la santé animale par rapport à la santé humaine.

Du jamais vu chez les médecins

En 2021 pas de grande messe avec les bilans annuels, mais une très grosse surprise. Pour la première fois depuis que ces suivis existent, les médecins ont très fortement baissé, de 17 %, les prescriptions d'antibiotiques, et de 18 % les consommations d'antibiotiques (voir ce lien). Certes, les anciennes campagnes de communication de 2001 à 2004, « les antibiotiques, c'est pas automatique » ont réussi à faire baisser les consommations par les médecins de 26,5 %, mais seulement en trois ans. Jamais une dégringolade aussi brutale n'avait été observée en une seule année.

Pourquoi une telle chute ? Évidemment, « grâce » ou plutôt « à cause » de la pandémie covid. Les gestes barrières et les confinements sont, nous n'en doutions pas, très efficaces, pour stopper les contaminations et le nombre d'infections, pas seulement de ce coronavirus, mais aussi de celui de la grippe et des infections bactériennes. L'année 2020 restera donc une année exceptionnelle à bien des égards.

Les médecins français toujours champions d'Europe de l'antibiothérapie

Carte de l'exposition aux antibiotiques en médecine humaine

Sur cette carte d'Europe, les pays les plus foncés, la France, la Grèce, la Roumanie, la Bulgarie… sont ceux qui consomment le plus d'antibiotique en nombre de jours de traitements pour 1000 habitants et par jour (DDJ/1000hab/jour). En 2020, la moyenne européenne à 16 DDJ/1000 hab.j a chuté de 15 % par rapport à 2019.

Source ECDC.

 

La chute des consommations d'antibiotiques en médecine humaine n'est d'ailleurs pas propre à la France. En Europe, la chute moyenne est de 15 %. Et la France reste un des champions de la consommation d'antibiotiques chez l'homme, au quatrième rang derrière la Grèce, la Roumanie et la Bulgarie… En tenant compte de la taille des populations, les médecins français ont toujours davantage prescrit d'antibiotiques que leurs voisins espagnols, italiens ou belges.

Les vétérinaires canins recourent de plus en plus aux antibiotiques

Du côté de la médecine vétérinaire, la pandémie covid n'a pas du tout les mêmes effets qu'en médecine humaine. Certes, toutes espèces animales confondues, le recours aux antibiotiques vétérinaires est en très léger déclin de 0,6 % 2020 par rapport à 2019 en se basant sur l'indice d'exposition habituel, l'Alea, qui reflète une sorte de « taux » de traitement des animaux. Cette baisse est même de presque 3 % en un an sur les tonnages (411 tonnes en 2020, versus 1400 tonnes en 2000) et de presque 4 % sur un autre indice (ADDkg) qui reflète mieux la durée d'exposition des animaux aux antibiotiques et pas seulement le taux de traitement comme l'Alea (voir ce lien). En d'autres termes, si le nombre de traitements prescrits est stable par rapport au nombre d'animaux (la biomasse animale), leur durée d'exposition semble, toutes espèces animales confondues, légèrement plus courte de 3 % par rapport à 2019.

Seuls les porcs et volailles ont encore baissé en 2020

La relative stagnation de 0,6 % observée en 2020 par rapport 2019 n'est qu'apparente. En 2020, les deux filières dites « indus », porcs et volailles, sont les seules qui continuent à faire diminuer assez fortement et sans interruption depuis plusieurs années le recours aux antibiotiques : -3,2 % en 2020 en filière porcine, -9,7 % en filières avicoles. Toutes les autres espèces animales sont en hausse.

L'indice d'exposition (Alea) des porcs (0,508) et des volailles (0,396) est bien plus faible que celui des chiens ou des chats (0,642). Ce qui signifie qu'un chien ou un chat serait 1,6 fois plus traité aux antibiotiques qu'un poulet ou une dinde, et 1,3 fois plus qu'un porcin. En revanche, la filière cunicole augmente légèrement son exposition aux antibiotiques de 2,5 %. Les lapins de chair restent de loin les animaux les plus traités par des antibiotiques avec un Alea à presque 2. Le lapin de chair est donc trois fois plus traité par des antibiotiques que les chiens et les chats.

Ces trois filières porcs-volailles-lapins sont aussi les seules pour lesquelles l'objectif de -25 % fixé depuis 2011 par le plan EcoAntibio1 pour 2016 demeure largement dépassé : -64 % chez les volailles, -55 % chez les porcs, -40 % chez les lapins.

Chez les bovins : une hausse de 3,5 % de l'antibiothérapie injectable

Chez les bovins (veaux inclus), l'exposition aux antibiotiques est en légère augmentation de 2,9 % en 2020 par rapport à 2019. Les traitements oraux destinés aux veaux sont toutefois restés stables. Cette augmentation est donc seulement imputable aux antibiotiques injectables en hausse de 3,5 %.

Cette légère hausse fait repasser cette filière en deçà de l'objectif de -25 % du plan EcoAntibio1 (2012-2016) à -22,5 % par rapport à 2011. Le taux de traitement par un antibiotique intramammaire a aussi bondi de 8,8 % en un an.

Des ruptures en vaccins (et en pénicilline G) et des mauvaises conditions météorologiques pourraient expliquer ce léger rebond des traitements antibiotiques en filière bovine.

Le bonnet d'âne pour les chiens et chats à +5,1 %

Chez les chiens et les chats, le recours aux antibiotiques affiche une nouvelle fois une hausse de 5,1 % en 2020, particulièrement pour l'amoxicilline (+9 %) et la clindamycine (+10,5 %). En quatre ans, depuis 2016 (la dernière année du plan EcoAntibio1), les consommations d'antibiotiques ont grimpé de 9,6 %. Les chiens et les chats étaient les deux seules espèces pour lesquelles l'objectif de -25 % depuis 2011 du plan EcoAntibio1 était assez loin d'être atteint. Cet objectif s'est encore davantage éloigné en 2020. Le recours aux antibiotiques n'a décru que de 12 % entre 2011 et 2020.

Plus inquiétant, les chiens et les chats sont aussi les seules espèces pour lesquelles l'utilisation d'antibiotiques critiques, surtout injectables, continue de croître de près de 2 % entre 2019 et 2020 :

  • +1,8 % en fluoroquinolones (+2,5 en injectable) versus -9,3 % toutes espèces animales confondues et,
  • +1,9 % en céfovécine, la seule céphalosporine de dernière génération (C3G) pour chiens et chats, versus – 4,1 % chez les bovins et -26 % en porcs pour l'ensemble des C3G/C4G.

Cette hausse du recours aux antibiotiques chez les chiens et les chats s'explique par la médicalisation accrue des animaux de compagnie qui est bien mise en évidence par l'Insee avec la forte hausse de 6,6 % de l'activité des vétérinaires en 2020 par rapport à 2019.

Vigilance sur les résistances chez les chiens et les chats

Le lien de causalité n'est pas si facile à établir entre les consommations d'antibiotiques et les résistances des pathogènes observés dans les antibiogrammes. Le bilan du Resapath pour l'année 2020 appelle à la vigilance chez les chiens, les chats et les équidés. Une tendance à l'augmentation des résistances est observée depuis deux ans vis-à-vis des antibiotiques les plus couramment prescrits chez les chiens et les chats : l'amoxicilline et sa combinaison avec l'acide clavulanique (voir ce lien).

De même, même si les taux de résistance vis-à-vis des antibiotiques critiques restent assez faibles (< 10 %), elles ont désormais tendance à augmenter depuis deux ans chez les chiens, les chats et les équidés. Ce sont d'ailleurs dans ces trois espèces animales que ces résistances aux antibiotiques critiques sont les plus élevées.

À l'inverse, dans les productions animales, les taux de résistances des pathogènes sur la base des antibiogrammes enregistrés en 2020 restent orientés à la baisse, notamment vis-à-vis des antibiotiques critiques, qui sont aussi de moins en moins utilisés.