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Elanco & Proplan

1er octobre 2021

Placer les espèces d'Angiostrongylus sur la carte d'Europe

par Vincent Dedet

Temps de lecture  5 min

Répartition européenne des deux espèces d'Angiostrongylus pouvant présenter un risque clinique (A. vasorum chez le chien) ou zoonotique (A. cantonensis chez l'humain) ; la coloration concerne le pays (l'île) de signalement et non une répartition au sein de ces pays (LeFil, d'après Morgan et coll., 2021).
Répartition européenne des deux espèces d'Angiostrongylus pouvant présenter un risque clinique (A. vasorum chez le chien) ou zoonotique (A. cantonensis chez l'humain) ; la coloration concerne le pays (l'île) de signalement et non une répartition au sein de ces pays (LeFil, d'après Morgan et coll., 2021).
 

Une mise au point sur la situation européenne vis-à-vis des différentes espèces d'Angiostrongylus, réalisée par des parasitologues universitaires du continent, vient d'être publiée. Elle compile l'ensemble des pays ayant enregistré la présence de chaque espèce, y compris les cas humains (importés) du redouté Angiostrongylus cantonensis et son installation ; elle signale aussi la diffusion d'A. vasorum.

La “vieille” Europe

Il y a des espèces d'Angiostrongylus natives de l'Europe, rappellent ces parasitologues. Ce sont A. chabaudi, A. daskalovi et A. dujardini. Elles infectent essentiellement la faune sauvage, et peuvent ponctuellement passer à des carnivores domestiques ou à des animaux de parcs zoologiques. A. chabaudi est décrit chez le chat sauvage, avec un cycle sylvatique et « d'occasionnelles transmissions au chat domestique », essentiellement signalées en Italie du sud. Mais « pratiquement rien n'est connu de l'impact d'A. chabaudi sur la santé et le bien-être du chat domestique » et son importance pour cet animal de compagnie est « négligeable ». L'hôte définitif d'A. daskalovi est le blaireau, et aucun cas de transmission à des carnivores domestiques n'est renseigné. Contrairement aux deux espèces précédentes, A. dujardini a un rongeur comme hôte définitif et peut occasionnellement passer aux primates ou aux suricates en jardins zoologiques. Là non plus, il n'a pas été rapporté de cas sur des animaux domestiques.

Répartition des trois espèces autochtones d'Angiostrongylus considérées comme ne s'étendant pas ; la coloration concerne le pays de signalement et non une répartition au sein de ces pays (LeFil, d'après Morgan et coll., 2021).

 

Pneumonie vermineuse

Autre espèce autochtone, A. vasorum, dont la revue de synthèse met en avant « l'expansion, depuis des poches localisées vers une large distribution à travers le continent [qui] a été confirmée par une prévalence croissante chez le renard roux et une nombre croissant de signalements d'infection et de maladie chez les chiens, alors que la liste [d'espèces] de carnivores et de mustélidés hôtes définitifs continue de s'allonger ». Jusqu'aux années 1990, ces poches étaient limitées à des « petites zones du Royaume-Uni, du Danemark » et « localement en France, Italie et Espagne ». L'écologie de ce parasite dans la faune sauvage « reste largement inconnue », mais la recherche, mue par la sévérité de l'infection des chiens (le ver adulte réside dans le cœur droit et l'artère pulmonaire, la migration des L1 provoque une pneumonie vermineuse), « a produit de nouveaux outils de diagnostic et de traitement ».

De 0,5 à 3 % chez les chiens

De fait, A. vasorum a été identifié plus largement dans ces pays, mais aussi en Suisse, « possiblement en lien avec une sensibilisation accrue » des acteurs. Le recours à l'immunodiagnostic « ces 10 dernières années a conduit à de nouvelles détections dans un grand nombre de pays européens [voir l'illustration principale], avec des prévalences dans les populations canines régulièrement entre 0,5 et 3 % ». Il n'est pas possible d'affirmer qu'il ne s'agit pas de découvertes d'une situation jusque-là passée inaperçue. Toutefois, les auteurs citent les suivis sur le long terme de populations de renards où la prévalence « a doublé en 8 ans au Royaume-Uni et est passée de 20 à 80 % en 5 ans en Suisse ». Ils en concluent qu'il « est hautement probable que cette espèce augmente actuellement sa distribution et son abondance en Europe ». Quant à en identifier les facteurs favorisants, les auteurs restent prudents : « l'urbanisation des renards, la diffusion d'espèces invasives de gastéropodes et le changement climatiques ont été évoqués, en l'absence de preuves ».

Chiens et hérissons

Les cas humains détectés en Europe liés au ver des poumons du rat, A. cantonensis, sont quasiment tous importés (retour de voyage) : le ver est d'origine tropicale et présent en Asie, Afrique, Pacifique et jusqu'aux USA. Des cas importés ont été identifiés dans un grand nombre de pays d'Europe continentale (voir la carte ci-dessous). Depuis une décennie, il faut y ajouter une présence autochtone en Europe (voir l'illustration principale), « signalée dans des îles du sud de l'Europe, d'abord aux Canaries [à Ténériffe dès 2010], et à présent aux Baléares [chez des hérissons en 2018], bien que jusqu'à présent, les preuves d'infection zoonotique soient limitées » dans ces zones. Aux Canaries, le parasite a été détecté chez des chiens, des oiseaux et des primates/marsupiaux en captivité ; un seul cas humain a été détecté.

Répartition des cas humains importés d'infection à Angiostrongylus cantonensis détectés en Europe. Un signalement suffit à "colorer" un pays (Morgan et coll., 2021).

 

Des salades

A. cantonensis est une vraie machine de guerre parasitologique : il est capable de se développer dans un très grand nombre d'espèces de gastéropodes (hôtes intermédiaires), y compris aquatiques, et les L3 qui en éclosent sont capables de survivre un mois dans le milieu extérieur. Celles-ci peuvent infester un très grand éventail d'hôtes paraténiques (en plus des trois espèces de Rattus) : « poissons, amphibiens, reptiles, planaires, crustacés, insectes et myriapodes », l'humain, ou alors un nouvel hôte intermédiaire gastéropode. Les L3 gagnent les méninges des vertébrés en 2 semaines et, à part chez le rat, y provoquent une méningite sévère (létalité de 10 % chez les enfants). La contamination humaine n'est pas toujours volontaire : les auteurs citent l'ingestion de limaces crues lors de consommation de salade verte ou de légumes mal lavés… Ils citent aussi le cas d'une Parisienne sans commémoratifs de voyages et ayant présenté une méningite éosinophilique à A. cantonensis en 2016. « Il est possible que des cas endémiques non diagnostiqués se soient déjà produits en Europe, et qu'A. cantonensis y soit plus largement présent que ce qui est actuellement connu ». Quant au risque de sa diffusion, « il y a 190 îles méditerranéennes présentant des conditions écologiques comparables à celles de Majorque », sans parler du « littoral méditerranéen »… Mais l'écologie du parasite des facteurs de risque alimentaires sont trop peu connus pour « prédire la future trajectoire [du parasite] sur le continent ».

Les auteurs appellent donc à une accentuation des recherches sur « la biologie, l'écologie et l'épidémiologie de ce genre, afin d'évaluer et de gérer leur possible diffusion en Europe », sous une bannière One Health pour A. cantonensis.