titre_lefil
logo_elanco

26 avril 2024

Ixodes ricinus, tique la plus fréquente en France, a une abondance pilotée par le climat et la nature des sols

par Vincent Dedet

Temps de lecture  5 min

Carte des différents climats rencontrés en France, avec les lieux d'échantillonnage mensuel des tiques sur 7 ans. Les indications pour chaque site (couleur conforme à celle de la légende du climat) reflètent les courbes d'abondance annuelles prédites des nymphes d'Ixodes ricinus en recherche active d'hôte (LeFil, d'après Hoch et coll., 2024).
Carte des différents climats rencontrés en France, avec les lieux d'échantillonnage mensuel des tiques sur 7 ans. Les indications pour chaque site (couleur conforme à celle de la légende du climat) reflètent les courbes d'abondance annuelles prédites des nymphes d'Ixodes ricinus en recherche active d'hôte (LeFil, d'après Hoch et coll., 2024).
 

Non seulement Ixodes ricinus est la tique la plus fréquente en France (comme en Europe), mais elle y est présente (presque) partout. C'est ce qui ressort d'une revue de la littérature publiée jusqu'en 2020, réalisée par de nombreux chercheurs français (ENV, Anses, Inrae, centre national de référence des Borrelia…). Cette espèce, qui est aussi celle vectrice du plus grand nombre de pathogènes, est présente dans 87 des départements métropolitains (son absence n'est documentée que pour trois autres, voir la carte ci-dessous). Elle est toutefois plutôt rare (bien que présente) dans les départements associés à un climat méditerranéen (au-dessus de 450 m dans les Alpes-Maritimes). Elle a également été collectée à 1 800 m d'altitude dans l'est des Pyrénées.

Carte de répartition d'Ixodes ricinus en France métropolitaine par département selon les 187 références analysées, et selon le contexte de leur collecte (Pérez et coll., 2023).

 

Facteurs climatiques

L'activité de la tique est optimale à 16° C, mais celles fixées sur un hôte (reptiles, oiseaux, mammifères) ne sont pas gênées par des températures négatives. C'est au-dessus de 30° C que son activité est inhibée. Il y a des variations d'activité quotidienne (température et humidité), et une évolution temporelle des populations, pas toujours favorisée par le changement climatique (sécheresse, événements extrêmes…). Les facteurs climatiques ont fait l'objet d'une étude longitudinale, sur 7 ans et sur 6 parcelles et aux quatre coins de la France, publiée ce printemps par une autre équipe. Les parcelles sur lesquelles la collecte des nymphes a été réalisée ont été choisies pour représenter différents climats (voir l'illustration principale), et avaient en commun d'être des habitats boisés. Elles ont donné lieu à une collecte mensuelle de tiques (méthode du drapeau) d'avril 2014 à juin 2021 : au total, 520 « campagnes » ont ainsi été réalisées. Les auteurs n'ont retenu pour leur analyse que les nymphes d'I. ricinus (plus abondantes que les adultes et présentant un rôle épidémiologique plus important que leurs larves). Ils ont modélisé les données météo collectées sur place et les résultats d'abondance des tiques pour produire « des variations saisonnières pour une année typique » de chaque localisation et donc chaque type de climat.

Pics d'abondances en degrés cumulés

Ils obtiennent un pic de printemps pour tous les sites étudiés - à l'exception de Saint-Genès-Champanelle (climat continental), pour lequel le pic est à l'été (seconde quinzaine de juillet). Le pic de printemps est plus précoce (début mai) pour les localisations proches de la façade Atlantique que celles plus continentales (mi-mai). Leur modèle leur permet de calculer que ce pic d'abondance des nymphes survient lorsque la somme des températures moyennes quotidiennes depuis le 1er janvier atteint 1 000° C pour la zone Atlantique, moins en zone continentale de plaine (782° C) et plus en zone continentale d'altitude (1 600° C). « Un gradient dans la date du pic printanier entre les sites occidentaux situés dans des zones tempérées et les sites plus orientaux (climat semi-continental) est observé. Les zones montagneuses peuvent être assimilées à des zones encore plus continentales, avec cependant un déficit thermique en été ».

Des tiques en hiver

En hiver, il y a une disparition des nymphes sous climat continental, mais pas pour les autres localisations (bien sûr moindre abondance). De plus, deux sites (en climats océanique et bassin du Sud-Ouest, respectivement) présentent un abondance bimodale des nymphes : recul en fin d'été (nadir début septembre) et remontée hivernale (plateau, moindre qu'au pic printanier). Les auteurs préviennent que d'autres publications identifient aussi des distributions uni-ou bimodales d'abondance de tiques, pas forcément répétables d'une année sur l'autre du fait des variations météorologiques. Enfin, « le changement climatique est susceptible d'augmenter la durée de recherche active d'hôtes par les tiques, ce qui souligne la nécessité de procéder à des collectes de tiques en hiver, pour surveiller le risque de piqûres de tiques » à cette saison.

4 campagnes sur 40 emplacements

Une troisième publication, de ce mois d'avril, a exploré les autres facteurs environnementaux à l'origine des variations locales de l'abondance des nymphes d'I. ricinus, mais seulement dans le nord-est. Plus précisément, les biologistes des universités de Strasbourg et de Lorraine ont choisi deux sites du pays de Bitche (Moselle) : l'un, sur la commune d'Eguelshardt, se caractérise par un sol gréseux, acide, et l'autre, sur la commune d'Achen, est sur un sol argilo-calcaire, moins acide. Sur chacun de ces sites, les auteurs ont collecté des tiques dans 20 emplacements, représentant des écosystèmes différents : vergers, prairies, zones humides anciennes ou récentes, forêts récentes ou stables et de différents peuplements (conifères, déciduales ou mixtes). Les captures ont été réalisées en juin 2020, avril, mai et juin 2021.

Sols argilo-calcaires propices

L'abondance des nymphes était significativement différente pour chaque mois où la collecte avait été réalisée (de 19 à 55/200 m2), et diminuait d'avril à juin (2 à 5 fois moins), conformément aux résultats de l'étude précédente. Et les nymphes étaient jusque 16 fois plus abondantes sur les sols argilo-calcaires que sur les sols gréseux (67,5 et 6,3 nymphes/200 m2 en moyenne, respectivement). « Dans chaque type de sol, les habitats les plus favorables aux tiques étaient les zones humides actuelles (21,6) et les forêts (56,5) ». L'abondance la plus faible était dans les vergers, puis les prairies. Les nymphes étaient plus abondantes si les forêts étaient récentes (79,8) par rapport à stables (c'est-à-dire remontant au XVII ou XIX siècle), et si elles étaient constituées de conifères (+67 % de nymphes), par rapport à un peuplement décidual. Les auteurs expliquent dans la discussion que les forêts récentes ne sont pas gérées (pas de coupes claires) et probablement un refuge de faune, propice à l'alimentation des tiques. Pour évaluer le rôle des plus de 30 facteurs pouvant jouer sur l'abondance des tiques, les auteurs ont utilisé des outils d'apprentissage automatique, qui permettent de confirmer que le principal facteur influençant l'abondance des nymphes est la nature du sol, en particulier s'il est limoneux en surface (plus le sol est limoneux, plus il y a de nymphes). Les sols sablonneux ont l'effet inverse, et l'humidité des sols importe aussi (plus elle est élevée, plus les tiques sont abondantes, d'où l'importance de la litière en forêt). Pour la faune, c'est la présence d'écureuils qui est le meilleur prédicteur de l'abondance des tiques, avec celle de chevreuils et d'oiseaux.