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28 février 2017
À quoi sert la népétalactone, composé actif de l'herbe aux chats ?
L'herbe aux chats ne fait pas exprès d'attirer les félins : elle vise plutôt un animal à six pattes… La société américaine de chimie (ACS) a créé une chaîne Youtube, où elle vulgarise dans des vidéos de 3 à 4 minutes l'importance de la chimie dans notre vie quotidienne. La vidéo publiée le 23 février dernier est consacrée au principe actif de l'herbe aux chats (Nepeta cataria ou cataire, ou chataire, ou menthe des chats) : la népétalactone, un terpénoïde.
Son effet chémoattractif sur les chats est plus que connu – il lui a donné son nom courant, y compris en anglais (catmint ou catnip), italien (erba dei gatti), allemand (Echte Katzenminze), Espagne (hierba gattera), etc. La première publication identifiant les composés chimiques contenus dans l'huile essentielle de cataire date de 1941. Dès l'année suivante, l'effet de la népétalactone sur un félin est confirmé, sur le lion et non le chat. L'auteur, américain, avait obtenu du directeur du zoo de Madison (Wisconsin), sa ville de résidence, la possibilité de tester les composés isolés par distillation de l'huile essentielle de cataire sur ses pensionnaires. « De petites boules de coton trempées dans une solution alcoolique diluée de chacun des [trois] composés obtenus [dont deux inodores] ont été placées, après évaporation de l'alcool, dans des cages différentes des lions d'Afrique ». « Il y avait 10 animaux disponibles pour ce test. Les deux sexes étaient représentés, avec des âges variés, du lionceau de quelques mois, à une lionne si âgée (de 25 à 30 ans) qu'elle était partiellement aveugle ». Les lionceaux n'ont pas paru réagir (selon d'autres auteurs, la réponse à la cataire n'est pas présente chez les chatons avant 2-3 mois). En revanche, « tous les [adultes] ont répondu immédiatement à la népatalactone de la même manière qu'ils répondaient à la cataire sous forme fraîche ou d'huile essentielle », et ce « de manière assez comparable à celle des chats domestiques ». Les deux autres composés testés n'ont pas fourni cette réponse.
L'année suivante, il a été déterminé que c'est la forme trans-cis de la népétalactone qui est active sur les chats, mais pas son isomère cis-trans. C'est donc bien la népétalactone qui stimule le comportement félin, selon une chronologie dont la description rigoureuse n'a été publiée qu'en 1972. Dans cette publication, américaine elle aussi, la réponse à un « jouet pulvérisé avec un extrait de cataire » est cliniquement détaillée par un vétérinaire. Cette « réponse normale » comporte six phases :
Pendant ces phases, des « signes d'hallucinations visuelles », ou de « stimulations sexuelles » peuvent être observés chez les mâles comme les femelles, « pendant les phases 4 ou 5 ». Mais cette description admet « de nombreuses variations individuelles », même si le comportement induit est « hautement reproductible » et dure 10 minutes en moyenne.
L'auteur avait aussi testé l'effet de l'injection préalable (par voie intrapéritonéale) de différents composés sur le comportement induit par la népétalactone : l'atropine l'inhibe partiellement, et totalement lorsqu'elle est associée à la méthysergide. Fort d'avoir testé plusieurs molécules à activité neurologique centrale ou périphérique, il conclut que la réponse à la cataire est une activation nicotinique périphérique, et muscarinique cholinergique centrale, « avec facilitation sérotonergique ». Ce qui correspond « aux données connues [à l'époque] des voies nerveuses du comportement de plaisir ». L'auteur ne peut s'empêcher de noter que « l'Homme aussi ressent des sensations de plaisir avec la cataire. Ses feuilles séchées ou son extrait, lorsqu'il est fumé, produit des symptômes similaires à ceux de la marijuana et du LSD », référence à l'appui. Il proposait donc d'utiliser la réponse à la cataire chez le chat comme « modèle d'étude des réactions humaines à marijuana et au LSD ». Comme il n'a rien publié sur le sujet par la suite, il est probable que ce projet n'a pas reçu de financements. Tout de même, il a encore publié quelques articles consacrés à la kétamine, avant de bifurquer vers les aflatoxines… Quant aux travaux sur la cataire, ils ont été très limités par la suite, la seule nouveauté datant de 1985, avec la confirmation qu'il s'agit bien d'un signal olfactif, et non d'une stimulation via l'organe voméronasal.
Cette parenthèse neurologique ne figure pas dans la vidéo en ligne de l'ACS. Ce qu'elle met en avant, ce sont des données récentes sur la fonction de la népétalactone pour la cataire elle-même. Car la plante ne produit pas ce composé à destination des félins. La structure moléculaire de ce terpénoïde est un analogue de phéromone sexuelle des pucerons ! Or, à la saison de la pousse de l'herbe aux chats, et de la fabrication de népétalactone, les pucerons se reproduisent par parthénogénèse. Alors quel bénéfice adaptatif en retire la plante ? Et bien elle produit cette molécule justement pour son pouvoir attractif, mais pas vis-à-vis des chats… Elle “vise” plutôt une guêpe, Aphidius colmani. Cette espèce est dite parasitoïde : elle pond ses œufs à l'intérieur des pucerons. En éclosant, les larves de l'hyménoptère vont se développer à l'intérieur de l'aphidien… et en débarrasser la plante. En émettant la substance volatile chémo-attractive, l'herbe à chat vise donc un prédateur de ses propres parasites, ce qui n'a été démontré scientifiquement qu'en 2015. Les effets félins sont collatéraux. Or l'utilisation de la népétalactone comme alternative aux pesticides est prudemment envisagée dans cet article. Si c'était le cas, comme le souligne la vidéo de l'ACS, il sera intéressant de voir si l'effet collatéral félin s'exprime aussi en plein champ…
Le métabolisme de la népétalactone a été déterminé par voie orale chez le chat dès 1969, pour de faibles quantités (20 à 80 mg d'huile essentielle encapsulée). Elle est transformée en acide, essentiellement éliminé par voie urinaire… Et cette administration orale ne s'accompagne « d'aucune modification physiologique ni histologique ». Mais, soulignent les auteurs de l'époque, « le métabolisme de quelques milligrammes du composé attractif peut n'avoir aucune relation avec l'effet des quelques molécules nécessaires à stimuler les récepteurs olfactifs qui produisent des effets psychopharmacologiques » chez le chat (celui-ci répond à des concentrations de 1 à 100 ppb de népétalactone dans l'air). Surtout, ces travaux ont été réalisés avec la forme cis-trans de la molécule qui, de toutes façons, n'est pas active chez les chats…
Enfin, autre donnée largement reprise dans les articles de vulgarisation sur la cataire : la sensibilité des chats à ce composé est héritable, et de l'ordre de 70 % des chats européens seraient dans ce cas. Mais ce chiffre provient en fait d'une seule publication, de 1962. Et n'a pas été revérifié depuis. Or il repose sur l'analyse mendélienne de la réponse de chats siamois d'une même colonie dont la parenté était « garantie par la rigueur de l'observation de leur propriétaire »… et sans contrôle par analyse sanguine (probablement inexistante à l'époque). La seule conclusion qui peut en être retenue est que le caractère de réponse à la népétalactone est probablement autosomal dominant, s'il n'est pas multigénique. Dans cette population, 69 % des chats étaient porteurs de cet allèle (réponse) et 31 % homozygotes pour l'allèle de non-réponse. L'auteur a ensuite publié 16 autres travaux de génétique féline jusqu'en 1985, mais n'est jamais revenu sur la sensibilité à la cataire… Le chiffre de 69-70 % est donc à prendre avec de longue pincettes.
La cataire n'est pas la seule plante à avoir un effet euphorisant chez les chats. La page wikipedia consacrée à ce sujet en recense plusieurs autres :
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