titre_lefil
logo_elanco

6 décembre 2016

Chut ! Sileo… un gel buccal de dexmédétomidine contre la peur du bruit

par Eric Vandaële

Temps de lecture  9 min

Un tiers des chiens ont peur du bruit. Un gel buccal de dexmédétomidine en combat les effets à dose anxiolytique. (Source http://nays.skynetblogs.be).
Un tiers des chiens ont peur du bruit. Un gel buccal de dexmédétomidine en combat les effets à dose anxiolytique. (Source http://nays.skynetblogs.be).
 

En latin, Sileo (prononcez siléo) signifie « se taire », « taire » ou « devenir silencieux ». En Français courant, on peut aussi facilement le traduire par « chut ! », « silence ! » ou « tais-toi ! »… Sileo est d'ailleurs l'étymologie latine du mot silence.

Sans faire grand bruit, Zoetis commercialise depuis quelques jours Sileo° : un nouveau médicament assez original contre les peurs aiguës des chiens dues aux bruits : les coups de tonnerre, les feux d'artifice, les pétards. Il s'agit un gel buccal, et non pas oral, de chlorhydrate de dexmédétomidine (à 0,1 mg/ml) présenté dans une seringue graduée de 3 ml, soit 0,3 mg de cet alpha2agoniste par seringue. Cette forme galénique originale a été développée par le laboratoire finlandais Orion. Ce laboratoire élargit ainsi sa gamme princeps de sédatifs alpha2agonistes aujourd'hui distribuée par Vétoquinol en France : la médétomidine Domitor°, la dexmédétomidine Dexdomitor°, l'antagoniste atipamézole Antisedan°, la détomidine Domosedan° sous forme injectable et en gel buccal.

Un tiers des chiens ont peur des bruits

Pour le gel buccal Sileo°, le Finlandais Orion a donc préféré confier sa distribution à Zoetis pour la France, le Royaume-Uni, l'Irlande et aussi pour les États-Unis d'Amérique où ce gel est déjà lancé depuis le 16 mai 2016. Aux USA, une étude de marché estime qu'au moins un chien sur trois présente une anxiété aiguë face à des bruits, comme les coups de tonnerre ou les feux d'artifice.

Biodisponibilité de 28 % chez le chien

Sileo° est indiqué chez les chiens pour les « soulager de l'anxiété aiguë et de la peur associées aux bruits » : les feux d'artifice, les coups de tonnerre, les pétards, une musique trop forte, ou lors de teufs comme disent les jeunes… Avec ce gel buccal, la dexmédétomidine est employée à une dose de 125 mcg/m2 soit environ trois fois plus faible que les doses sédatives recommandées de Dexdomitor° (375 à 500 mcg/m2 sans butorphanol). La dose de 125 mcg/m2 est aussi la dose minimale recommandée en injectable de Dexdomitor° en prémédication. Mais la biodisponibilité de ce gel buccal n'est que de 28 % chez le chien (contre 100 % par la voie IV). Les concentrations maximales sont observées environ une demi-heure après l'administration (0,6 heure). La demi-vie d'élimination est de 0,5 à 3 heures. La dexmédétomidine est fortement métabolisée par le foie et éliminée sous forme de métabolites inactifs.

La durée des effets est évaluée entre deux à trois heures, d'où la nécessité de répéter les administrations si les bruits anxiogènes persistent au-delà de cette durée.

« Si le gel est avalé, il devient inefficace »

Pharmacocinétique comparée entre Sileo et une injection IM de dexmédétomidine

Chaque graduation de la seringue correspond à une dose de 0,25 ml, soit 25 mcg. Un tableau posologique permet d'ajuster le nombre de graduations au poids d'un chien peureux : une graduation (25 mcg) pour un chien de 2 à 5,5 kg, puis deux (50 mcg) jusqu'à 12 kg, trois (75 mcg) pour 20 kg et environ une graduation supplémentaire par tranche de 10 kg supplémentaire pour les chiens pesant plus de 20 kg.

En pratique, cela correspond à des doses un peu plus élevées pour les chiens les plus légers (de 5 à 12 mcg/kg pour ceux pesant entre 2 et 5 kg) que pour les chiens plus lourds (< 5 mcg/kg pour au dessus 20 kg).

Le gel buccal n'est pas administré par voie orale mais sur la muqueuse buccale entre la joue et les gencives. Si le chien pèse plus de 40 kg, le volume de la dose est de 1,5 ml ou plus. Pour éviter qu'une fraction ne soit avalée, il est recommandé d'en administrer la moitié de chaque côté de la bouche.

Car « si le gel est avalé, il devient inefficace », du fait d'un effet premier passage hépatique. Chez le chien, la biodisponibilité orale est donc très faible voire nulle : aucune concentration plasmatique n'a été décelée.

Doses répétées jusqu'à 5 fois toutes les deux heures

Si la dose a été avalée ou si les bruits anxiogènes persistent, une nouvelle dose peut être administrée « mais pas avant un délai minimum de deux heures » après la précédente. Si les bruits anxiogènes persistent encore plus longtemps et que le chien montre toujours des signes d'anxiété, ces administrations peuvent être répétées toutes les deux heures à cinq reprises au maximum.

Une seule seringue de 3 ml permet de répéter ces administrations. En outre, une fois entamée, sa durée de conservation est de deux semaines.

Deux fois plus efficace qu'un placebo

Les trois-quarts (72 %) des chiens peureux répondent bien à la dexmédétomidine, versus un tiers (36 %) pour le placebo. Source EMA.

La première dose est administrée dès les premiers bruits anxiogènes ou les premiers signes d'anxiété chez le chien. En l'absence de modèle expérimental de l'anxiété chez le chien, les études cliniques ont été réalisées sur le terrain lors de feux d'artifice.

Dans un essai préliminaire sur 36 chiens, deux doses ont été testées, 125 mcg/m2 et 250 mcg/m2, contre placebo. À 125 mcg/m2, une bonne efficacité est observée sur neuf chiens (9/12 = 75 %) contre huit à 250 mcg/m2 (67 %). En outre, les effets secondaires de sédation sont deux fois moins nombreux à 125 mcg/m2 (2/12 soit 17 %) qu'à la dose double (4/12 soit 33 %). Aucune sédation n'est notée avec le placebo.

Dans l'essai terrain comparatif (89 chiens traités, 93 placebo) avec le protocole recommandé (une dose répétée si nécessaire toutes les deux heures jusqu'à cinq fois), l'efficacité, appréciée par le propriétaire, est environ le double de celle du placebo.

  • Les résultats sont jugés par les propriétaires dans 72 % des cas « bons » (55 %) ou « excellents » (17 %) pour Sileo, versus 37 % pour le placebo (« excellents » à 10 % et « bons » à 27 %) (voir figure).
  • De même, sur la base d'un scoring sur 12 signes cliniques de peur ou d'anxiété (noté chacun de 0 à 4 soit un score maximal de 48), Sileo obtient, une heure après une seconde dose, une note moyenne de 4,5 (± 5,2) versus 8,8 (± 8) pour le placebo.
  • Les écarts sont statistiquement significatifs, même si le placebo n'est, à l'évidence, pas dénué d'efficacité.

Contre-indiqué chez les chiens cardiaques

Dans ces essais terrain, les effets indésirables les plus souvent rapportés sont « le manque d'efficacité, les vomissements (4,5 %) et la sédation ». Selon le résumé officiel des caractéristiques du produit (RCP), ces effets sont les suivants :

  • Effets indésirables fréquents (1 à 10 %), vasoconstriction périphérique (muqueuses pâles), sédation, vomissements et incontinence urinaire ;
  • Effets indésirables peu fréquents (0,1 à 1 %) : anxiété (manque d'efficacité ?), œdème péri-orbital, somnolence, gastroentérite.

En outre, les effets cardiovasculaires de cet alpha2agoniste sont bien connus en cas de fort surdosage : bradycardie, hypotension, fréquence respiratoire diminuée, mydriase… L'antidote reste l'atipamézole (Antisedan° ou ses génériques). Le gel buccal est donc contre-indiqué chez les chiens cardiaques (« avec des troubles cardiovasculaires sévères »), insuffisants réaux ou hépatiques (classés ASA 3 ou ASA 4 pour le risque anesthésique) ou, évidemment, déjà sédatés.

L'accident de 2006 avec la romifidine

Concernant le risque pour les utilisateurs, les alpha2agonistes injectables n'ont pas bonne réputation. En 2006, un vétérinaire néerlandais s'est accidentellement injecté une dose de romifidine (Sedivet°) estimé à 0,3 ml soit 3 mg. Ses effets cardiovasculaires ont conduit à la perte de conscience de ce confrère, qui, heureusement, a pu être réanimé. À la suite de ce cas très grave, l'Agence européenne du médicament (EMA) a estimé les doses dangereuses pour l'homme. Ainsi, une hypotension, une bradycardie ou une sédation légère sont observées à partir des doses suivantes par personne (souvent des volontaires sains) :

  • Xylazine : 10 à 20 mg, soit 0,5 à 1 ml de la solution injectable à 20 mg/ml (Rompun° 2 %),
  • Détomidine : 0,01 mg, soit 0,001 ml pour la solution injectable Domosedan° à 10 mg/ml,
  • Romifidine : 0,2 à 0,3 mg, soit 0,02 à 0,03 ml de la solution injectable Sedivet° à 10 mg/ml.

Le risque pour les utilisateurs varie donc d'un facteur 100 à 1000 d'une spécialité injectable à l'autre, avec un avantage ici pour la xylazine. Cela justifie probablement que sa délivrance et son usage restent permis aux éleveurs. Alors que l'agence française du médicament vétérinaire (Anses-ANMV) a restreint l'usage des autres alpha2agonistes injectables à une administration vétérinaires exclusive et donc interdit par conséquent leur délivrance au public (classification « Vet-Only »). Par précaution, la même agence a aussi classé le gel buccal pour chevaux de détomidine (à 7,6 mg/ml) comme à « administration vétérinaire exclusive ». Dans d'autres pays européens, ce gel est pourtant utilisé par les maréchaux-ferrants ou d'autres professionnels équins pour tranquilliser les chevaux, par exemple pour faciliter la tonte.

La dexmédétomidine chez l'homme

Pour la dexmédétomidine (les solutions injectables Dexdomitor° ou le gel buccal Sileo°), les AMM centralisées, valables dans toute l'Union européenne, ne sont pas gérées par l'agence française mais par l'Agence européenne du médicament (EMA). Cette dernière n'a pas souhaité restreindre aux seuls vétérinaires l'usage de cette molécule, aussi bien par voie injectable que pour ce gel buccal. Mais le risque pour les utilisateurs est néanmoins bien évalué et pris en compte dans les précautions d'emploi.

  • Chez l'homme, la biodisponibilité de la dexmédétomidine est en effet plus élevée que chez le chien. Le rapport de l'Agence l'estime à 82 % par voie buccale et à 16 % par voie orale.
  • La dexmédétomidine injectable est aussi utilisée chez l'homme comme sédatif depuis 1999 et, en France, dans les hôpitaux depuis 2012 (Dexdor°). Les doses recommandées en perfusion s'échelonnent de 0,2 à 1,4 mcg/kg/heure. Des effets cardiovasculaires (hypotension, bradycardie) sont notés après injection IV. Ils peuvent devenir graves lors de surdosage.
  • Par voie orale, une dose de 2,5 mcg/kg provoque une sédation légère chez les enfants de 6 à 8 ans. Chez les adultes, les effets pharmacologiques (sédation) sont observés à partir de 3 mcg/kg, soit à partir 150 mcg par personne. La dose orale sans effet est estimée à 1 mcg/kg chez l'homme.

Packaging résistant aux enfants

Si un adulte ou, a fortiori, un enfant venait à ingérer accidentellement la totalité du contenu de la seringue (soit 300 mcg dans 3 ml), les doses orales sans effet chez l'homme seraient donc largement dépassées. L'ingestion par un jeune enfant de 10 kg du contenu d'une seule graduation (0,25 ml soit 25 mcg) pourrait même suffire à provoquer une légère sédation. Ces scénarios sont évidemment très improbables. Mais, pour réduire ce risque, l'ouverture du packaging est assez complexe afin d'éviter qu'un enfant ne l'ouvre accidentellement (voir photo).

Le packaging de Sileo est résistant à l'ouverture accidentelle par des enfants. Il nécessite d'appuyer sur trois points différents de l'étui cartonné.

Port des gants recommandé

« Il est peu probable que la voie dermique expose les utilisateurs à un effet pharmacologique », même si le passage transcutané n'est pas nul si la peau est lésée ou sur des muqueuses comme, évidemment la muqueuse buccale. Le port des gants est donc recommandé pour les utilisateurs de ce produit. Et, même avec des gants, il est conseillé de bien se laver les mains après, autant pour éliminer la bave du chien en stress que la dexmédétomidine résiduelle sur les mains.

Enfin, en France, la dexmédétomidine est classée en liste I des substances vénéneuses depuis avril 2012, date de ses premières utilisations en médecine humaine. La boîte d'une seringue ne peut donc être délivrée au propriétaire d'un chien peureux que sur prescription d'un vétérinaire.

La boîte unitaire d'une seringue de 3 ml permet de traiter un chien à plusieurs reprises (environ 100 kg). Elle est référencée en centrale à environ 12,50 euros HT (prix centrale).

Disponible en centrale, la boîte unitaire d'une seringue Sileo° ne peut être délivrée que sur ordonnance.