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8 septembre 2016

Stéthos, c'est trop (contaminé !)

par Vincent Dedet

Temps de lecture  5 min

2016 est l'année du bicentenaire du stéthoscope. Ce n'est pas l'unique raison pour laquelle plusieurs publications récentes lui sont consacrées : il est reconnu comme vecteur inerte de contaminations à l'hôpital, alors qu'aucune norme d'hygiène ne lui est consacrée (image : LeFil).
2016 est l'année du bicentenaire du stéthoscope. Ce n'est pas l'unique raison pour laquelle plusieurs publications récentes lui sont consacrées : il est reconnu comme vecteur inerte de contaminations à l'hôpital, alors qu'aucune norme d'hygiène ne lui est consacrée (image : LeFil).
 

« Avez-VOUS nettoyé votre stéthoscope aujourd'hui ? », interrogent des médecins spécialistes en hygiène hospitalière, qui viennent de copublier avec trois étudiants en médecine, tous localisés outre-Manche, un court article dans la revue Journal of Hospital Infection, où ils recommandent aux utilisateurs de stéthoscopes de leur offrir au moins un nettoyage quotidien. Car leur enquête montre qu'un généraliste à son compte sur cinq n'a jamais nettoyé son stéthoscope, plus du tiers (37 %) de ceux exerçant en dispensaire et près de la moitié (47 %) des étudiants en médecine non plus…

Laennec en 1816

Outre la prévention de contamination d'un patient par le précédent via cet outil, s'il faut une raison pour nettoyer son stéthoscope, que ce soit pour son anniversaire ! Car le stéthoscope a 200 ans cette année. René Laennec l'a inventé en 1816. Pas sous sa forme actuelle (il s'est d'abord agi d'une vingtaine de feuilles de papier roulées en tube), mais c'était le premier intermédiaire entre l'oreille du praticien et la peau du patient. Il ne prendra sa forme actuelle, bi-auriculaire, qu'en 1851, grâce à un jeune médecin Irlandais Arthur Leared, et à l'apparition du… caoutchouc. Si le caducée est devenu le symbole du métier de praticiens, le stéthoscope en est devenu l'appendice médiatique, au même titre que la blouse.

Pas de recommandations claires

Pourtant, le stéthoscope – ou plutôt son hygiène - semble  délaissé par les praticiens, en médecine humaine comme vétérinaire. Les études évaluant la contamination des stéthoscopes sont nombreuses en médecine humaine ; elles sont plus rares en médecine vétérinaire. De même, plusieurs études récentes ont porté sur les habitudes de nettoyage des stéthoscopes entre deux examens cliniques. Les résultats sont tellement désastreux, que ces médecines britanniques demandent « des lignes directrices de désinfection des stéthoscopes, au même titre que [pour le lavage] des mains ». Ils rappellent que les seules recommandations sur le sujet, émises par le centre américain pour le contrôle des maladies (CDC d'Atlanta), indiquent que le nettoyage du stéthoscope s'impose « quand [il] est visiblement souillé, et de manière régulière ». Ce qui leur paraît trop flou.

Forte contamination

Pourtant, « l'utilisation de lingettes antiseptiques permet de manière démontrée de réduire de 93 % la contamination des stéthoscopes ». Car ce sont de vrais nids à germes. Le dernier article en date sur ce sujet ne date que de juin dernier. Conduite dans des hôpitaux du Québec, l'étude a comparé le niveau de contamination des mains du praticien en 4 endroits (bout des doigts, éminence Thénar, éminence hypothénar, dos), le diaphragme et le tube du stéthoscope. Elle confirme que :

  • Le stéthoscope est fortement contaminé par le contact avec le patient, au 2e rang derrière le bout des doigts des praticiens (172 et 834 UFC/25 cm2), devant le reste de sa main ;
  • Les germes contaminants sont les mêmes pour les doigts et le stéthoscope : les entérocoques avant tout (29 % des doigts, 20 % des stéthoscopes), devant les Entérobactéries (16 et 7 %), puis viennent les staphylocoques – y compris résistants à la méticilline et les Entérobactéries résistantes aux ß-lactamases à spectre élargi…

À l'hôpital vétérinaire aussi

La première étude de  la contamination des stéthoscopes en milieu vétérinaire - et pour l'instant la seule publiée - a été conduite à la clinique des petits animaux de la faculté vétérinaire de l'université de Raleigh (USA). Pour cela, le stéthoscope de 10 intervenants (3 résidents en médecine, 2 résidents en médecine d'urgence et 5 internes) a été suivi sur les 6 semaines de leur astreinte à cet hôpital vétérinaire. Elle montre que :

  • Le questionnaire sur leurs habitudes de nettoyage du stéthoscope, administré avant le début de l'étude, révèle qu'aucun ne réalisait de nettoyage quotidien. Trois d'entre eux le nettoyaient au moins une fois par semaine, et 4 moins d'une fois par mois ; 
  • Sur les 824 fois où un stéthoscope a été utilisé en 6 semaines, seuls 15 nettoyages ont été réalisés. Deux fois avant d'examiner un patient immunodéprimé et 5 fois parce qu'il avait été fortement souillé (urine, vomi…). Quarte des intervenants n'avaient pas nettoyé leur stéthoscope une fois en 10 semaines;
  • Pendant les 3 premières semaines, les  diaphragmes des stéthoscopes ont été mis en culture une fois par semaine. Les germes le plus fréquemment retrouvés étaient Bacillus sp. (40 %), devant Staphylococcus epidermidis (23 %, dont 8 % de résistants) et S. pseudintermedius (12 %).
  • Pendant les 3 semaines suivantes, les diaphragmes ont été désinfectés quotidiennement à l'alcool à 70°, et mis en culture avant et juste après cette opération une fois par semaine. Ce nettoyage a totalement éliminé les bactéries cultivables, mais n'a pas modifié ensuite la fréquence des prélèvements positifs avant désinfection (67 % sur les 3 premières semaines, 60 % la seconde)… Et le tube du stéthoscope n'a pas été prélevé… Ainsi, les résultats « sont comparables à ceux des études sur les stéthoscopes des médecins ».

Ces derniers auteurs ne font pas de recommandation de nettoyage routinier du stéthoscope entre chaque patient, mais proposent de le réaliser « juste avant l'examen d'un patient immunodéprimé, et une fois par jour »

Attention aux chats résidents

L'année précédente, une équipe de l'université du Kansas (USA) s'était intéressée au rôle des chats résidents dans les cliniques vétérinaires petits animaux. Les auteurs avaient prélevé les fèces de 6 chats, vivant dans autant de cliniques vétérinaires, et les ont mises en culture. Puis, ils ont comparé (y compris génétiquement) les bactéries obtenues avec celles qui avaient poussé à partir de surfaces (portes de cages, thermomètres et… stéthoscopes) prélevés dans les mêmes cliniques. Tous les chats étaient excréteurs fécaux d'entérocoques, et le typage moléculaire a confirmé qu'il s'agissait du même isolat que celui retrouvé sur les autres surfaces dans une même clinique. Et la moitié des souches d'entérocoques obtenue sétaient multirésistantes. Ainsi, le chat résident peut aussi être réservoir de germes multirésistants…