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Elanco & Proplan

7 juillet 2016

Létale léchouille : la famille de Capnocytophaga canimorsus en plein agrandissement

par Vincent Dedet

Temps de lecture  4 min

La cavité buccale des chiens peut héberger différentes espèces de bactéries du genre Capnocytophaga, qui sont rarement à l'origine d'infections humaines, toujours sévères - à fatales (cliché de street art dans le Queens, New York).

Capnocytophaga canimorsus est une bactérie Gram négatif de la cavité orale des chiens et chats. Elle peut se transmettre à l’Homme par morsure ou léchage. Elle provoque alors des infections graves, dont environ un quart sont fatales. Comme si cela ne suffisait pas, les outils de biologie moléculaire ont permis d’identifier d'autres espèces, également zoonotiques, dans le genre Capnocytophaga.

 
La cavité buccale des chiens peut héberger différentes espèces de bactéries du genre Capnocytophaga, qui sont rarement à l'origine d'infections humaines, toujours sévères - à fatales (cliché de street art dans le Queens, New York).
 

Une septuagénaire britannique était en plein coup de fil avec un proche quand son discours a perdu sa cohérence. Le parent a averti les services d’urgence, qui, une fois sur place, ont trouvé une vieille femme prostrée dans un fauteuil, en train de perdre conscience.

Soins intensifs

Prise en charge, son état a commencé à s’améliorer dans l’ambulance. Elle a toutefois été gardée en observation à l’hôpital (historique d'épilepsie). Quatre jours après son admission, elle a présenté : de la confusion, des céphalées, de la diarrhée, des crampes et une hyperthermie marquée ; elle a été transférée en soins intensifs pour insuffisance rénale aiguë – et septicémie. De fait, l’hémoculture a fourni une culture pure de Capnocytophaga canimorsus, une bactérie dont l’habitat naturel est la cavité buccale des chiens et des chats. Cette personne vivait avec son chien, un Greyhound italien. Toutefois, l’examen clinique à l’admission n’avait révélé aucune trace de morsure ni de griffure.

Antibiothérapie agressive

Cette bactérie a été isolée malgré un traitement initial associant ceftriaxone et métronidazole. Puis, deux jours plus tard, l’hémoculture était à nouveau positive malgré un traitement associant pipéracilline/tazobactam et téicoplanine… Ce dernier antibiotique n’a été donné qu’une journée car la patiente a développé une coagulopathie et une détresse respiratoire. Après 4 jours de traitement en soins intensifs, son état s’est amélioré. Elle a pu sortir un mois après son admission. « Elle allait bien et n’avait plus de signes cliniques un an après sa sortie ».

Morsure et léchage

C. canimorsus produit rarement des infections (estimation à 0,03 cas p. 100 000 habitants outre-Manche), mais elles sont sévères, avec un taux de mortalité de l’ordre de 25 %. La transmission par morsure est documentée dans 60 % de ces cas, mais celle par léchage est également décrite ; c’est ce mode de transmission qui est suspecté dans le cas présent. Les personnes âgées sont plus à risque pour trois raisons : l’immunosénescence, une fréquence supérieure de chiens à leur domicile par rapport aux foyers actifs, et l’alcoolisme (facteur de risque de septicémie, quel que soit le germe).

Revue de 2016

Anecdotique ? Pas si sûr : sept autres articles scientifiques décrivent des cas présentant une plus ou moins forte sévérité, depuis le début de 2016.

  • En Finlande, une analyse rétrospective des infections à C. canimorsus identifiées par le laboratoire de microbiologie de l’hôpital d’Helsinki entre 2004 et 2015 a été publiée début juin. Elle identifie 65 cas, dont un quart de septicémies et insuffisance rénale aiguë qui ont nécessité des soins intensifs. Cinq de ces patients sont décédés. Tous les sujets étaient en contact avec un chien, même si une morsure n’était avérée que pour 37 % d’entre eux. Et un tiers des patients étaient immunocompétents.
  • En avril, c’est le cas d’un chauffeur de taxi britannique ayant été dépisté avec un anévrisme aortique et opéré à temps, qui a été publié. La source de cet anévrisme a été identifiée comme C. canimorsus, et ce sujet, une fois interrogé, a confirmé avoir subi plusieurs morsures par son chien dans les mois précédant les signes cliniques. Il a été soumis à 8 semaines d’antibiothérapie par voie intraveineuse, puis 6 semaines par voie orale.
  • Toujours en avril, des cliniciens hospitaliers néerlandais ont décrit un cas de méningite survenu sur une personne en apparente bonne santé (« sans facteurs de risque »), également attribuée à C. canimorsus. Ce cas a été identifié grâce à la publication, quelques mois auparavant, du résultat d’une étude de cohorte sur les méningites bactériennes identifiées dans ce pays entre 2006 et 2014 et qui avait permis d’identifier 3 cas à C. canimorsus.
  • Plus tôt cette année, aux USA, un cas de morsure canine suivie d’un exanthème urticarien a été décrit en lien avec ce germe. Le patient présentait plusieurs comorbidités (alcoolisme, diabète de type 2).
  • En Australie, une femme de 68 ans et en bonne santé a été mordue au doigt, « morsure mineure ». Elle a présenté une infection systémique à C. canimorsus, accompagnée d’un choc systémique, et une coagulopathie. Les soins intensifs ont été conduits et une amputation du doigt a été nécessaire (gangrène)…

La famille s’agrandit

Selon les études, C. canomorsus est présent dans la cavité buccale de 22 à 72 % des chiens. Toutefois, les connaissances sur cette bactérie Gram négatif sont en cours d’acquisition, et il semble que sa famille soit en cours d’élargissement. En effet, des microbiologistes hospitaliers suédois ont repris cette année 22 souches de Capnocytophaga impliquées dans des infections humaines, et ont séquencé la totalité de leur génome. Ils identifient bien C. canimorsus dans une dizaine de cas, C. cynodegmi dans 7 cas, mais aussi une nouvelle espèce récemment décrite dans la cavité orale des chiens : C. canis, qui a donc elle aussi un potentiel zoonotique. Enfin, trois des souches initialement classées comme C. canimorsus par les méthodes phénotypiques sont en fait groupées ensemble mais génétiquement éloignées de cette espèce, et ont donc été proposées comme une nouvelle espèce (zoonotique) : C. stomatis.