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Elanco & Proplan

13 novembre 2015

Chewing-gums sans sucre au xylitol : bon contre nos caries, mais toxique pour les chiens

par Vincent Dedet

Le xylitol est largement utilisé comme édulcorant dans les chewing-gums sans sucre, y compris pour ses propriétés antimicrobiennes. La consommation accidentelle de ces chewing-gums par des chiens est toutefois source d'intoxications : c'est la seule espèce pour laquelle le xylitol est toxique à faible dose (cliché DR).

Le xylitol a le même pouvoir sucrant que le saccharose, mais le tiers de sa valeur calorique, et il est absorbé lentement chez l’Homme. Mais son absorption est plus rapide chez le chien, et provoque un pic insulinémique pouvant s’accompagner d’hypoglycémie ou d’insuffisance hépatique. La consommation accidentelle de produits “humains” est à l’origine des intoxications canines.

 
Le xylitol est largement utilisé comme édulcorant dans les chewing-gums sans sucre, y compris pour ses propriétés antimicrobiennes. La consommation accidentelle de ces chewing-gums par des chiens est toutefois source d'intoxications : c'est la seule espèce pour laquelle le xylitol est toxique à faible dose (cliché DR).
 

« Le xylitol, cet édulcorant que l’on trouve dans la plupart des chewing-gums sans sucre et de nombreux autres produits, est 100 fois plus toxique pour les chiens que le chocolat au lait », entame emphatiquement un article du Wall Street Journal du 2 novembre dernier relayé par Promed et consacré à cette cause d’un nombre croissant d’intoxications canines. En Amérique du Nord surtout, même si quelques cas sont décrits en Europe.

2 800 appels

La ligne téléphonique mise en place par le centre antipoison américain a reçu 300 appels pour suspicion d’intoxication au xylitol en 2009… Pour les 10 premiers mois de 2015, il y en a eu 2 800, selon cet article. En France, le CNITV a « recensé quelques cas d’intoxication à partir des aliments, essentiellement les chewing-gums, l’utilisation alimentaire du xylitol sous d’autres formes étant assez marginale en France. Les cas sont encore peu nombreux, probablement en partie du fait que cette intoxication est actuellement méconnue ».

Vengeance

Le scénario de l’intoxication est fréquemment le même : le chien, laissé seul à la maison, s’est vengé sur un paquet de chewing-gums sans sucre. Le xylitol y remplace non seulement le sucre, mais y est aussi incorporé pour ses propriétés antibactériennes, permettant à ces produits d’alléguer une action de protection dentaire à partir de 5 à 10 g/j (il est aussi présent dans des dentifrices, bains de bouche, etc.). Aux USA, certaines marques de chewing-gums contiennent des quantités élevées de xylitol ; une marque (non commercialisée en France) est en particulier citée comme à l’origine des intoxications les plus sévères car chaque chewing-gum contient jusque 3 g par “dragée” et un paquet peut contenir 40 dragées.

Dès 0,1 mg/kg

Si le xylitol semble très peu toxique pour la plupart des mammifères (un humain en consommant 130 g n’aura qu’une diarrhée), il l’est nettement plus pour les chiens. Jusqu’ ici, il était considéré, sur la base de données expérimentales, que 0,1 g/kg provoque une hypoglycémie et 0,5 g/kg une hépatotoxicité (voir le site du centre antipoison de l’American Society for the Prevention of Cruelty to Animals). Toutefois, la toxicité hépatique semble dépendre de facteurs individuels mal définis. De plus, la détermination de la dose réellement ingérée par le chien est approximative car, aux USA, la mention des quantités de chaque ingrédient n’est pas obligatoire sur l’étiquetage des aliments humains.

5 000 $ de frais

Dans le cas relaté dans le Wall Street Journal, le chien avait consommé les fameux chewing-gums “chargés” en xylitol. Il avait été retrouvé léthargique, en insuffisance hépatique aiguë et n’aurait dû son salut qu’à trois transfusions et une note de 5 000 $ de frais vétérinaires. Les autres sources d’intoxication sont les gâteaux cuisinés maison : en raison de sa faible valeur calorique, le xylitol peut s’acheter en “vrac” et être utilisé à la place du sucre dans les pâtisseries, en particulier dans les foyers comprenant des sujets diabétiques… Particulièrement fréquents au USA.

41 cas avérés

Une analyse rétrospective de 192 cas avérés d’ingestion de produit contenant du xylitol vient d’être publiée par des urgentistes vétérinaires de trois facultés américaines. C’est la première étude à rassembler des informations sur plus de 8 cas, bien que les premiers cas d’intoxication canine au xylitol aient été décrits en 2004. Les 192 cas sont survenus entre décembre 2007 et février 2012, et concernent 190 chiens (deux chiens se sont intoxiqués deux fois), mais seuls 20 % de ces cas (n=39) présentaient des signes cliniques à l’arrivée aux urgences (voir le tableau ci-dessous). Cent vingt-deux cas ont été mis en observation, dont 15 hospitalisés dès l’admission. Huit chiens en tout ont présenté des signes cliniques pendant leur séjour. La durée médiane de ce séjour était de 18 h (sur les 192 cas). Tous ont survécu.

Signes cliniques présentés à l’admission par les 39 cas d’intoxication avérée par le xylitol, dans une revue de 192 cas (d’après DuHadway et coll., 2015).

 

Hypoglycémie

Trente cas ont présenté une hypoglycémie (< 60 mg/dl), dont la valeur plancher a été entre 15 mg/dl (chien comateux) et 60 mg/dl. La durée médiane de l’hypoglycémie était de trois heures et demi (elle variait entre 1 et 27 heures). Toutefois, les auteurs ne trouvent pas d’association entre la quantité de xylitol estimée ingérée et le niveau d’hypoglycémie. L’un des chiens hypoglycémique en avait ingéré 0,03 g/kg, soit nettement moins que la dose jusque-là considérée comme pouvant provoquer une telle hypoglycémie.

Surveillance hépatique

Quant à l’atteinte hépatique, 22 % des chiens pour lesquels de la biochimie sanguine a été réalisée ont présenté des paramètres hépatiques au-dessus de la borne supérieure de la norme. Deux étaient au-dessus de 800 U/l (ALT), mais n’étaient pas hypoglycémiques. Aucune insuffisance hépatique n’a été observée, ce qui semble confirmer qu’il y ait une susceptibilité individuelle, plutôt qu’un effet dose, pour la toxicité hépatique. Une autre étude cite un chien ayant ingéré 2 g/kg de xylitol et mort en 2 jours d’insuffisance hépatique, tandis qu’un autre ayant ingéré 8 fois plus de xylitol a survécu. Les auteurs recommandent donc la surveillance de la fonction hépatique de tous les chiens ayant ingéré du xylitol, « de l’admission à 72 h post-ingestion ».

Hospitalisation systématique

Les traitements mis en œuvre ont concerné l’apomorphine (56 % des 192 cas), la fluidothérapie (44 %), l’administration de charbon activé (28 %), d’hépatoprotecteurs (26 %), de soluté glucosé (21 %), etc. Les auteurs de l’étude rétrospective soulignent que le nadir (valeur plancher) de l’hypoglycémie peut survenir assez loin du moment de l’ingestion, 58 h plus tard pour un de leur cas. Pour d’autres, c’est nettement plus rapide. Ils attribuent cette variation au temps de consommation du glycogène hépatique, dont le “stock” varie selon les sujets. Et comme la quantité minimale de xylitol ingéré pouvant causer une hypoglycémie est très faible (0,03 g/kg dans un cas), ils recommandant l’hospitalisation systématique des chiens ayant ingéré un produit en contenant. Ils ne seront rendus à leur propriétaire « qu’après 30 h de normoglycémie, sans supplémentation en glucose ».

Presque toujours des chewing-gums

Dans 185 de ces cas (96 %), le produit incriminé était des chewing-gums ; la marque étant connue pour 145 cas, les auteurs ont pu estimer la quantité de xylitol ingérée. Selon les marques, la dose de xylitol par chewing-gum varie généralement entre 0,5 g et 3 g. La dose ingéré par les chiens est significativement supérieure (p=0,02) chez ceux qui ont présenté des signes cliniques (médiane de 0,49 g/kg, entre 0,12 et 2,13 g/kg) par rapport aux chiens restés asymptomatiques (médiane de 0,30 g/kg, entre 0,03 à 3,64 g/kg).

Du bouleau

Initialement extrait du bouleau et naturellement synthétisé par le foie des animaux, le xylitol est un sucre, à présent produit à partir des résidus de maïs dans la production de biocarburant. Il est recommandé en substitut du saccharose chez les diabétiques car son absorption intestinale est lente (sur 3-4 h), et est métabolisé, pour l’essentiel dans le foie, en glucose (et dans une moindre mesure en lactate). Chez le chien, en revanche, son ingestion est suivie d’un pic plasmatique d’insuline, dose-dépendant, commençant dans les 20 minutes suivant l’ingestion, au pic 20 minutes plus tard. Il peut entraîner un coma hypoglycémique car la quantité d’insuline sécrétée est de 2,5 à 7 fois plus importante que pour même quantité de glucose. Il reste que, au vu de l’étude rétrospective, « le pronostic est excellent pour les chiens vus par un vétérinaire et ayant ingéré les doses les plus faibles de xylitol ».