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Elanco & Proplan

26 août 2025

Impact écologique de l'IA : un enjeu de la révolution numérique à considérer avec raison

par Mathieu Lamant

Temps de lecture  6 min

Refroidir l'IA ? La Chine projette de mettre en orbite des serveurs dédiés à l'IA, où la température environnante faciliterait le refroidissement du matériel (image : Mathieu Lamant).
Refroidir l'IA ? La Chine projette de mettre en orbite des serveurs dédiés à l'IA, où la température environnante faciliterait le refroidissement du matériel (image : Mathieu Lamant).
 

Contrairement à l'image immatérielle souvent véhiculée, l'intelligence artificielle (IA) est profondément enracinée dans le monde physique. Les données qu'elle traite transitent par des câbles, sont stockées sur des disques, analysées par des puces qui chauffent, refroidies par de l'eau ou de l'air. Chaque interaction avec un modèle comme ChatGPT consomme de l'énergie. Une simple requête sur GPT-3.5 (modèle déconnecté ce jour) émettait environ 4,3 g de CO₂. Rapportée à des millions d'utilisations quotidiennes, l'addition devient lourde (voir aussi le tableau en bas de ce Fil).

À ce jour, il ne semble pas y avoir de consensus à propos de l'empreinte carbone d'un modèle comme GPT-4.5. Selon les analyses, les chiffres varient de 0,03 à 4,5 g de CO₂ par requête. À titre de comparaison, une requête Google classique émet environ 0,2 g.

À cela s'ajoute l'eau nécessaire au refroidissement des serveurs – jusqu'à 0,5 l par conversation (dont parfois 60 % par évaporation donc non recyclable) – et l'impact environnemental des matériaux nécessaires à la fabrication des unités de traitement graphique (GPU), serveurs et autres composants. Extraction minière, transport, assemblage, recyclage difficile… L'empreinte de l'IA ne se résume pas au carbone. Elle engage aussi notre rapport aux ressources rares.

L'IA : un poids plume dans les émissions des vétérinaires

Que pèse l'IA dans l'empreinte d'une clinique vétérinaire ? Prenons un exemple concret basé sur une étude menée à la clinique vétérinaire VETONIMO de Vandœuvre-lès-Nancy (structure d'activité canine, généraliste et référé). Les données issues du bilan carbone sont les suivantes :

  • 46,3 % des émissions de CO₂ sont liés aux médicaments vétérinaires (fabrication, livraison, vente et déchets tels que les emballages) ;
  • 33 % sont dus aux déplacements (clients et personnel soignant de l'entreprise) ;
  • 7,2 % proviennent de l'achat et l'usage de matériel informatique (radiologie numérique, échographie, scanner inclus) ;
  • moins de 1 % est associé à la consommation numérique globale (l'IA est utilisée par 30 % de l'équipe).

Ce bilan montre que l'IA générative, aussi spectaculaire soit-elle, représente une empreinte marginale dans le cadre vétérinaire. Ce n'est pas une raison pour l'ignorer, mais un appel à prioriser les efforts afin d'agir sur les secteurs les plus gourmands.

Sensations fortes, chiffres faibles : rester factuel face aux mythes alarmistes

Dans une récente vidéo largement relayée sur les réseaux sociaux, il est affirmé que « l'IA consommera 99 % de l'énergie mondiale d'ici 2030 ». C'est évidemment faux : selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), les centres de données (data centers) – IA incluse – représentent 1,5 % de la consommation actuelle totale d'électricité, et ce taux devrait atteindre 3,2 % d'ici 2030. C'est une progression rapide, mais bien éloignée de la caricature catastrophiste véhiculée.

Par ailleurs, ces chiffres ne tiennent pas compte des gains d'efficacité. Les modèles d'IA sont chaque année plus performants, les processeurs plus économes, et l'optimisation logicielle réduit la consommation par tâche accomplie. Utilisée intelligemment, l'IA peut même réduire l'empreinte carbone d'un professionnel : produire un rapport via 10 requêtes ciblées consomme souvent moins que passer 6 heures à le rédiger manuellement avec recherche et documentation.

Se libérer pour mieux consommer ?

La vraie question, quant à la démocratisation de l'usage de l'IA, n'est pas tant le temps qu'on y gagne, mais ce que l'on en fait. Imaginons un praticien qui, ayant confié à ChatGPT la rédaction d'un rapport, s'offre ensuite le luxe rare de s'étendre dans l'herbe, les bras croisés derrière la tête, les paupières mi-closes, attentif au chant des merles. Aucun moteur, aucun écran, aucun clic. Dans ce scénario, l'équation écologique penche en faveur de l'intelligence artificielle. À l'inverse, si ce même praticien s'attaque plutôt à d'autres tâches, toutes plus énergivores les unes que les autres (appels, déplacements, chirurgie, commandes express…), l'IA n'aura pas réduit son impact carbone, elle en aura optimisé une partie tout au mieux. Car il existe une corrélation directe, tenace, entre productivité et consommation d'énergie. Plus on fait, plus on consomme. Et plus on consomme, plus on creuse. L'enjeu n'est donc pas seulement de déterminer ce que fait l'IA à la planète, mais d'évaluer les conséquences du vide qu'elle libère.

Hiérarchiser nos priorités écologiques sans sacrifier l'innovation utile

En pratique, faut-il arrêter l'IA pour sauver la planète ? La réponse est non. Faut-il réfléchir sérieusement à son impact ? La réponse est oui, mais sans tomber dans l'excès. Un email avec une pièce jointe lourde peut émettre jusqu'à 50 g de CO₂, et une heure de visioconférence HD, près de 1 kg, tandis qu'une requête IA bien formulée se situe entre 0,05 et 4,3 g selon les modèles et les usages.

La question à se poser devient alors : à quelles fins mobilise-t-on ces ressources ? Et quels sont les leviers concrets à notre disposition dans nos pratiques quotidiennes pour réduire nos émissions sans sacrifier notre efficacité ni notre confort professionnel ?

Voici quelques pistes pour une IA plus vertueuse dans le quotidien vétérinaire.

  • En tant que praticien, faire preuve de sobriété numérique : éviter les tests IA ludiques, privilégier les modèles sobres et limiter les sollicitations inutiles.
  • En tant que structure, intégrer l'enjeu écologique dans les choix d'équipement, de formation et de services numériques. La formation constitue le premier levier à activer : elle permet d'éviter que chaque collaborateur ne réinvente la roue ou reproduise, sans le savoir, les erreurs des autodidactes devenus experts. Mieux formés, les soignants utilisent les outils numériques de façon plus efficiente, plus ciblée et donc plus sobre. Préférer également des fournisseurs transparents sur leur politique énergétique, afin d'éclairer ses choix technologiques au regard de leurs impacts réels.
  • En tant que citoyen, écarter les discours alarmistes sans fondement, mais ne pas tomber dans le déni. Exiger des données, des bilans, des comparatifs, et adopter une posture de responsabilité plutôt que de peur.

À l'échelle planétaire, certains rêvent de déplacer les IA loin des hommes, là où la chaleur ne gêne plus personne. Le projet chinois « Three-Body Computing Constellation », par exemple, envisage d'envoyer des serveurs en orbite, dans le silence glacé de l'espace, où les calories générées par les calculs pourraient se dissiper sans troubler notre atmosphère. Le 14 mai dernier, une fusée Longue Marche 2D a lancé 12 premiers satellites depuis le centre de Jiuquan, marquant le début de ce projet révolutionnaire. Mais l'idée, séduisante sur le papier, se trouble dès qu'on la frotte au réel : pour faire léviter ces centres de données dans les hauteurs célestes, il faudra d'abord forger des serveurs spécifiques, puis les hisser hors de l'attraction terrestre sur des fusées gourmandes en carburant. Le bilan carbone de chaque gramme expédié là-haut mérite d'être regardé à la loupe. Comme souvent, l'écologie commence par une question simple : combien cela coûte-t-il avant que cela commence à rapporter ?

En résumé, l'IA n'est pas hors-sol, mais elle ne constitue pas le problème principal.

  • À l'image des emails, des smartphones ou de la climatisation, l'IA s'est installée dans nos vies. Elle peut y rester, mais pas n'importe comment. Sa faible empreinte relative ne doit pas occulter son coût absolu, ni nous détourner des véritables priorités.
  • L'écologie ne gagne rien à désigner des boucs émissaires technologiques. Elle gagne en revanche à s'appuyer sur des données concrètes, à évaluer les ordres de grandeur, et à cibler ce qui compte vraiment. C'est là que se trouve notre marge d'action – et notre responsabilité collective.
  • Enfin, il faut l'accepter : produire plus, c'est consommer davantage. Que l'on confie la tâche à une intelligence humaine ou artificielle, les lois de la thermodynamique ne changent pas. À chaque action, une dépense ; à chaque gain, un coût. Cela n'a rien d'une opinion ou d'un débat d'idées : c'est la gravité appliquée à notre époque numérique. On peut déplacer le poids, jamais l'abolir.

Mathieu Lamant pour LeFil.