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15 avril 2024

H5N1 chez les bovins aux USA : l'hypothèse d'une transmission via la traite, et le transport des vaches

par Vincent Dedet

Temps de lecture  5 min

Cartographie des états étatsuniens où des foyers d'infection par le H5N1 chez des vaches laitières ont été détectés (24 au total dans 8 états), au 11 avril 21 h 00 (USDA, 2024).
Cartographie des états étatsuniens où des foyers d'infection par le H5N1 chez des vaches laitières ont été détectés (24 au total dans 8 états), au 11 avril 21 h 00 (USDA, 2024).
 

Il y avait 26 élevages bovins laitiers dans lesquels des vaches ont été confirmées infectées par le H5N1, dans 8 états des USA, au 11 avril dernier, selon le décompte officiel du ministère étatsunien de l'Agriculture (USDA, voir la carte en illustration principale). Mais l'information la plus surprenante vient du mode de transmission supposé : via le lait et la machine à traire, ainsi que par le transport des vaches infectées. Car seuls des élevages laitiers sont pour le moment recensés parmi les foyers bovins à H5N1.

Webinar international

Dans son communiqué du 5 avril, l'Organisation mondiale pour la santé animale (OMSA) précisait que « les premières recherches n'ont pas encore révélé d'adaptation spécifique [de ce virus H5N1] aux humains ou aux mammifères. Néanmoins, plusieurs études sont en cours pour explorer davantage la virulence et la transmissibilité de ces virus, y compris parmi les bovins, et pour évaluer le risque de transmission aux animaux et aux humains, qui est actuellement considéré comme très faible ». Toutefois, un article de journalisme scientifique dans la revue Science, publié en ligne en libre accès le lendemain, rapportant les propos « de représentants du ministère américain de l'agriculture (USDA) lors d'une réunion internationale virtuelle organisée pour faire le point sur la situation, [qui estiment que le H5N1] pourrait se transmettre via les équipements de traite, les personnes chargées de la traite, ou les deux ». L'article relève plusieurs faits saillants exposés lors de cette réunion, qui correspondent bien aux données épidémiologiques disponibles sur ces cas. Ce sont de « nouvelles données qui remettent en cause les voies de transmission présumées », en particulier par la voie aérienne si elle se produisait entre bovins ou par la voie orale si elle était liée à une contamination accidentelle de l'aliment. Mais il serait difficile d'expliquer qu'en quelques semaines, il se serait produit plus de 20 introductions différentes du virus en élevages bovins, en des points éloignés du pays, par hasard.

Il répliquerait dans la mamelle

Suite aux recommandations de l'USDA pour les prélèvements à réaliser sur les cas suspects, les laboratoires de l'USDA ont recherché le virus dans des écouvillons nasaux, du lait et du sang des vaches malades. Le représentant de l'USDA à ce webinaire a indiqué que le génome viral n'avait été détecté que dans le lait, sans « véritable indication que les vaches excrètent activement le virus et exposeraient [alors] directement d'autres animaux ». Le virus répliquerait même dans la mamelle des vaches, selon une autre intervenante citée dans l'article de Science. Ce qui conduit ces spécialistes à proposer que le mode de transmission au sein d'un élevage (et peut-être au-delà) serait « par des gouttelettes de lait sur les vêtements ou les gants des travailleurs laitiers, ou via les manchons trayeurs ».

Un même génome

Le génome de ce virus, qui s'est vu donnée le nom de B3.13, est bien conforme à celui du virus aviaire nord-américain de la lignée 2.3.4.4b. Le virus B3.13 avait déjà été identifié chez des oiseaux sauvages, puis dans des foyers d'influenza aviaire en élevage domestique, mais jamais en dehors des USA, indique le réseau de la FAO et de l'OMSA sur l'influenza chez les animaux (Offlu). Les séquençages réalisés à partir de différents foyers bovins montrent qu'ils sont tous semblables. Ce qui est en faveur d'un nombre limité (à unique) d'introductions en élevages laitiers, le même virus diffusant ensuite aux autres élevages. L'article de Science indique ainsi que « les scientifiques de l'USDA pensent désormais que les mouvements des bovins, qui sont fréquemment transportés du sud du pays vers le Midwest et le nord au printemps, pourraient avoir joué un rôle important. Ils ont également évoqué la possibilité, sans nommer de troupeaux ou de lieux précis, que toutes les vaches touchées puissent provenir d'une seule et même exploitation ». Car « des vaches provenant d'exploitations infectées au Texas semblent avoir transmis le virus à des exploitations de l'Idaho, du Michigan et de l'Ohio ». Ce qui expliquerait aussi qu'aucun cheptel allaitant ne soit touché, et que les oiseaux trouvés morts sur les exploitations infectées soient des espèces péridomestiques, plutôt que de l'avifaune aquatique.

Restrictions, ou pas ?

Les autorités américaines ne recommandent pour le moment aucune restriction au transport des animaux provenant des élevages. Le 9 avril, l'AVMA signalait que 17 états (indemnes) avaient mis en place de telles restrictions. Le 11 août, le décompte de l'USDA ajoutait 4 foyers à la liste régulièrement mise à jour, dont deux de deux nouveaux états, l'un au Dakota du Sud, l'autre en Caroline du Nord. Or la Caroline du Nord faisait partie des états qui avaient restreint le transport des bovins depuis les états infectés quelques jours auparavant… L'USDA incite les éleveurs chez lesquels des cas cliniques peuvent être suspectés de contacter leur vétérinaire. Les services vétérinaires fédéraux (APHIS) ont publié en ligne des recommandations pour les praticiens bovins. Ainsi, une suspicion doit concerner des « exploitations laitières ou autres troupeaux de bovins avec un événement actif : les vaches doivent présenter des signes cliniques ; il peut y avoir des oiseaux, des chats ou d'autres mammifères morts ou malades ». Les bovins suspects présentent :

  • « une baisse soudaine de la consommation d'aliments, accompagnée d'une diminution de la rumination et de la motilité du rumen ;
  • par la suite, baisse marquée de la production laitière du troupeau. Les vaches les plus gravement touchées peuvent avoir un lait épaissi qui ressemble presque à du colostrum ou n'avoir pratiquement pas de lait ;
  • la plupart des rapports indiquent des fèces collantes à sèches chez les bovins affectés ».

Faible risque zoonotique

L'USDA souligne, avec la FDA et les CDC, que la pasteurisation inactive le virus influenza et que cette pasteurisation est obligatoire dans certains états pour la commercialisation du lait et pour les échanges de lait entre états. Des recommandations sur la gestion d'une suspicion et/ou d'un foyer, tant au plan de l'élimination du lait impropre à la consommation comme sur la biosécurité et la protection des personnes employées en élevage sont disponibles en ligne. Le génome du virus n'ayant pas évolué vers une adaptation à une transmission entre mammifères, bien que l'évaluation du risque indique un risque très faible pour l'humain à ce stade. Enfin, ce que redoutent les filières porcine et aviaire aux USA ? ce serait l'entrée de ce virus dans l'un de leurs élevages. En particulier en porcs, où la grippe porcine est enzootique et un le risque de recombinaison serait alors réel.