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26 mai 2023

Soins palliatifs des animaux de compagnie : d'abord une affaire de communication

par Vincent Dedet

Temps de lecture  8 min

L'accompagnement de la fin de vie des patients animaux ne peut pas se fonder sur autre chose qu'une communication étroite et empathique auprès des maîtres, soulignent trois vétérinaires exerçant à Hong Kong, dans une publication relevant autant du témoignage que des recommandations (cliché Pixabay).
L'accompagnement de la fin de vie des patients animaux ne peut pas se fonder sur autre chose qu'une communication étroite et empathique auprès des maîtres, soulignent trois vétérinaires exerçant à Hong Kong, dans une publication relevant autant du témoignage que des recommandations (cliché Pixabay).
 

Courte, ramassée, dense… Telle est la « perspective » rédigée par trois cliniciens exerçant à Hong Kong en oncologie, à l'hôpital universitaire et en structure hospitalière privée, sur la thématique des soins palliatifs à proposer aux « parents » des animaux de compagnie — et bien sûr à leur animal. Pour ces auteurs, la communication “parent-vétérinaire” est au cœur de l'approche, et pour ce faire, ils proposent de s'inspirer de lignes guides établies en médecine humaine. Leur constat est que « la plupart des publications sur les soins palliatifs apportés aux animaux de compagnie se concentrent sur la gestion la fin de vie de l'animal et sur l'euthanasie. Chez les humains, les soins palliatifs sont, par définition, des soins qui visent à maximiser la qualité de vie pendant une maladie limitant l'espérance de vie, en gérant efficacement les symptômes, en établissant des objectifs de soins clairs, en maximisant l'indépendance et en offrant un soutien psychosocial ». Ils estiment qu'il devrait en être de même pour les objectifs de soins palliatifs vétérinaires.

Au revoir, Joe

« Une communication attentionnée sur les soins facilite les soins physiques, qui à leur tour peuvent améliorer la qualité de vie des animaux et de leurs humains ». Pour illustrer cette forme d'adage, les auteurs proposent de suivre le cas de Joe : le caniche des deux premiers auteurs, décédé d'un adénocarcinome pulmonaire primitif, et qu'ils ont accompagné en faisant de cette expérience émotionnelle une étude clinique « ayant conduit à la rédaction de cette publication ». Ils ont logiquement signé un consentement éclairé pour le trajet médical suivi par leur chien, mais aussi « ont tenté de recueillir son consentement verbal, par ce qui s'en rapproche le plus » (modalité non précisée). La praticienne effectuant les soins d'accompagnement de Joe est troisième auteure de la publication. Joe avait été recueilli par ses maîtres à l'âge de 10 ans : il était alors obèse, aveugle et souffrait d'une maladie inflammatoire chronique intestinale. Ses maîtres et sa vétérinaire traitante lui ont permis de revenir à un état général plus conforme et à un niveau élevé d'autonomie, comme quoi chien pistonné n'est pas toujours en danger… C'est cinq ans plus tard que les premiers signes d'une atteinte pulmonaire ont été détectés, puis un an après, la présence d'une masse pulmonaire caudale à droite, déplaçant à la fois l'aorte et la bronche. À l'hôpital, « l'interne a proposé une pneumonectomie qui, en cas de succès, offrait une espérance de vie potentielle de 12 mois. Compte tenu de l'âge de Joe, de la masse tumorale et du traumatisme opératoire probable, [ses] parents ont opté pour des soins palliatifs prodigués par sa vétérinaire traitante. Joe a survécu confortablement [pendant 5 mois], puis a été euthanasié à la maison, à l'âge de 16 ans, en raison d'une détresse respiratoire s'aggravant rapidement ».

Empathie et ERA

Les auteurs reviennent ensuite sur la méthodologie et les protocoles mis en place pour cet accompagnement, en distinguant la perception des « parents » d'une part, et de la praticienne d'autre part. Pour les premiers, trois « aspects importants ont optimisé » cette période : « une communication empathique avec une prise de décision partagée, la gestion des symptômes évolutifs et des directives anticipées ». Sur le premier aspect (empathie et partage des décisions), les maîtres insistent sur une position de bienveillance dans le cadre des soins : « la discussion du diagnostic et du pronostic se fait de manière compassionnelle, ce qui construit un lien de confiance ». Le maître sait que son animal est âgé, « mais la mauvaise nouvelle rend ce constat de fin de vie imminent » ; l'annonce devrait donc « être réalisée de manière sensible ». C'est-à-dire « en commençant par demander aux parents ce qu'ils veulent savoir du diagnostic et du pronostic et à se conformer » à leur réponse. Ils proposent une trame : ERA pour « évaluer, révéler, assimiler ». L'évaluation porte sur la vérification de la compréhension de la mauvaise nouvelle par les maîtres. L'annonce du diagnostic « doit comporter des pauses, pour permettre un ajustement émotionnel ». Utiliser un vocabulaire simple, sans jargon, permet aux maîtres d'assimiler les nouvelles informations et leur portée. Les auteurs préviennent que cette méthode « n'est pas un fusil à un coup : elle sera utile au long de l'accompagnement » du patient. La même consultation permet au praticien de présenter les options thérapeutiques, leurs risques et bénéfices attendus, « selon des espoirs réalistes ». Ce qui implique de « demander aux parents leurs attentes et leurs priorités », y compris financières et sur la capacité de s'impliquer dans des soins palliatifs. Dans le cas de Joe, ils souhaitaient « maximiser son confort et son indépendance à domicile, le plus longtemps possible ». La pneumectomie aurait limité son autonomie, s'il survivait à l'opération et au post-opératoire. Le pronostic de 6 mois de survie sans intervention mis avec des soins palliatifs, fournissant avec une qualité de vie au moins égale à celle attendue après l'intervention, l'a emporté.

Gestion de l'évolution clinique

Mais le cancer évolue, et les signes cliniques aussi. Les maîtres doivent en être informés à l'avance et donc préparés, « pour éviter les consultations d'urgence et hospitalisations évitables ». Par exemple, dans le cas de Joe, avoir un concentrateur d'oxygène à disposition, prévenir les maîtres qu'un traitement anti-infectieux de pneumonie s'accompagne d'une perte d'appétit, etc. En dessinant un scénario potentiel d'évolution, le praticien « maintient un sentiment de contrôle » de la situation par les maîtres. Jusqu'au moment de la décision du lâcher prise. Qui peut aussi être préparée à l'occasion d'une visite de suivi. « Lorsque la radiographie a montré que la tumeur comprimait les bronches, nous avons demandé à la vétérinaire de Joe : “Qu'arrivera-t-il à Joe si la tumeur continue à se développer et à comprimer davantage les bronches ?” Elle a répondu : “C'est à ce moment-là qu'il faudra le laisser partir”. L'idée était dévastatrice, mais cette conversation a certainement été utile ».

Directives anticipées

Elle a aussi permis de passer au sujet des directives anticipées, décisions « plus aisées à prendre » en dehors du contexte de l'annonce du diagnostic ou des crises aiguës. Et le fait d'avoir choisi un accompagnement en soins palliatifs permet une « préparation émotionnelle [qui] permet à l'animal et à ses parents de partager des moments de qualité avant que les symptômes ne se manifestent ». D'autant que, rappellent les auteurs, « la maxime de Von Clauswitz se vérifie : “aucun plan ne survit au premier contact avec l'ennemi” ». Ainsi, « bien qu'ils aient anticipé et planifié l'essoufflement, la douleur et la pneumonie, les parents de [Joe] ont souvent été confrontés à des pics de fièvre nocturnes nécessitant des poches de glace, et à une perte d'appétit » lui valant des passages à la clinique vétérinaire. « Joe n'aboyait presque jamais », mais un matin, alors que son état s'était fortement et brutalement dégradé, resté debout face à sa couche, « il a émis un aboiement clair et fort. Les parents de l'animal ont estimé qu'il s'agissait de sa demande de départ. L'équipe vétérinaire a été contactée et s'est rendue à domicile pendant la pause déjeuner ce jour-là », avec « l'ensemble des personnes qui s'étaient occupées de lui au cours des 6 derniers mois ». Pour ses maîtres, « il a choisi son heure, restant indépendant jusqu'à la fin ».

Cinq points de communication

Pour la praticienne, s'investir dans cet accompagnement « correspond à une réalité de plus en plus fréquente ». Pour cela, plus encore que les maîtres, elle insiste sur la qualité de la communication. Elle « permet de planifier et de prévoir, ce qui renforce le sentiment de maîtrise d'une situation que le propriétaire peut ressentir comme une détresse ».

  • L'empathie « est plus facile à dire qu'à exprimer », en particulier du fait de la routine médicale et des journées plus que complètes. La praticienne souligne qu'il ne s'agit pas que de mots, « parfois une main sur l'épaule vaut mieux » ;
  • Gérer l'aspect chronophage, en « réservant à ces consultations le dernier créneau de la matinée ou de l'après-midi », en particulier pour l'annonce du diagnostic/pronostic. « Jamais au téléphone » et de préférence « pas entre deux autres rendez-vous » ;
  • L'annonce des mauvaises nouvelles « se fait sur un ton doux, et en termes simples » - ce pour quoi l'exemple de Joe n'était pas le bon. Une fois le diagnostic émis et compris, « détailler l'évolution prévisible de l'animal redonne un sentiment de contrôle, réduit le stress et l'anxiété des maîtres » ;
  • Présenter les aspects positifs et négatifs de chaque option thérapeutique, mais en soulignant, pour les maladies à évolution fatale, « qu'il n'y a pas de bonne ou de mauvaise décision » hors de celle que les “parents” choisiront. Comme pour Joe, cela ne se résume pas à un choix entre « une durée de survie maximale ou le confort d'un traitement agressif minimal », mais à « écouter ce qu'ils veulent » ;
  • Enfin, le suivi régulier « soutient les maîtres émotionnellement comme [l'animal] cliniquement et produit de la tranquillité d'esprit ». Des appels téléphoniques toutes des trois semaines « par le praticien ou les ASV » et des « visites bilans tous les 1 à 2 mois » ont été effectués pour Joe. Elles ont permis d'aborder la décision anticipée d'euthanasie, « mais aussi d'évoquer le sort du corps en cas de décès inattendu ». La praticienne ne revient pas sur l'acte d'euthanasie, mais souligne que, « bien que notre expérience et nos connaissances médicales soient essentielles pour assurer le confort du patient, pour bien gérer un cas, il faut aussi faire preuve d'une véritable empathie pour l'animal et veiller à maintenir une bonne communication avec les propriétaires ».