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2 septembre 2015

Présomptions de culpabilité sur de nouveaux Paramyxovirus dans les maladies rénales chroniques félines

par Vincent Dedet

Le Morbillivirus félin en microscopie électronique : les flèches pointent sur les particules virales, dans les cellules infectées (in vitro). La barre d'échelle figure 500 nm (cliché Takayuki Miyazawa, université de Tokyo, reproduit avec l'autorisation de son auteur).

À quelques semaines d’intervalle, les Paramyxovirus félins ont été à l’honneur de quatre publications. Au Japon, en Allemagne et en Italie, les descriptions convergent pour incriminer ces virus dans la survenue d’infections rénales chroniques du vieux chat. Les outils moléculaires sont à présent disponibles pour détecter ces virus dans les urines.

 
Le Morbillivirus félin en microscopie électronique : les flèches pointent sur les particules virales, dans les cellules infectées (in vitro). La barre d'échelle figure 500 nm (cliché Takayuki Miyazawa, université de Tokyo, reproduit avec l'autorisation de son auteur).
 

Deux publications signalant pour la première fois en Europe la présence du Morbillivirus du chat sont parues le même jour, le 12 août dernier. La première description d’un Morbillivirus chez un chat malade remonte à 2012, à Hong Kong, baptisé FmoPV (le genre des Morbillivirus comprend les virus de la maladie de Carré, de la rougeole, de la peste bovine… il appartient à la famille des Paramyxovirus). Ce FmoPV était trouvé associé à des lésions de néphrite tubulo-interstitielle, chez 12 % des chats errants prélevés.

Multitraumatisé

Deux ans plus tard, deux équipes japonaises différentes retrouvaient aussi un Morbillivirus félin dans de l’urine de chats hospitalisés en cliniques privées ou universitaires (15 % dans une étude, 23 % dans l’autre). L’une de ces équipes a aussi identifié le virus dans les reins de 40 % des lames d’archive où un diagnostic histologique de néphrite avait été établi. Le 12 août, un cas italien ne concernant qu’un seul animal, un chat de 15 ans, a été publié. Sur cet animal, multitraumatisé et en mauvais état général, une batterie d’analyses a été réalisée, dont la RT-PCR spécifique du Morbillivirus félin (sur l’urine). C’est la seule analyse à avoir fourni un résultat positif (ainsi qu’un autre prélèvement réalisé deux semaines plus tard). Les séquences amplifiées sont assez étroitement apparentées à celles décrites en Asie (89 % d’homologie pour les souches du Japon, 93 % pour les souches de Hong Kong).

Prélèvements sur deux ans

Pour en avoir le cœur net, des virologistes et cliniciens de l’université de Leipzig (Allemagne) ont, pendant deux ans, recueilli de l’urine de chats présentés en consultation dans cette structure. Deux groupes de chats ont été distingués : ceux présentant une affection rénale (n=120) et ceux n’en présentant pas (n=86). Parmi les chats malades, les affections concernées allaient de l’hématurie à l’urolithiase, en passant par la cystite, l’insuffisance rénale chronique ou encore la néphrite, la bactériurie… La recherche du génome du Morbillivirus félin a été réalisée en RT-PCR. Alors qu’aucun échantillon d’urine des chats témoins n’a été trouvé positif, huit l’ont été parmi les urines de chats à affection rénale, soit 6,7 % de ce groupe.

Deux virus différents

Les fragments de génome amplifiés par les RT-PCR positives ont été séquencés, ce qui a permis de construire la phylogénie de ces virus. Avec le résultat surprenant que, sur les 8 positifs, il y avait en fait deux virus différents. Le premier, identifié dans trois prélèvements, est homologue du Morbillivirus félin identifié en Asie et en Italie (le FmoPV). Les trois chats positifs étaient tous des mâles castrés, âgés de 7, 8 et 18 ans. Ils étaient tous trois atteints de longue date de maladie du bas appareil urinaire (MBAU, ou FLUTD en anglais), avec urostase, utolithiase et cystite. Pour ces auteurs, « cela confirme l’association possible entre ce virus et les maladies rénales chroniques » évoquées auparavant par les auteurs asiatiques.

Variant ?

Pour deux autres prélèvements (chats de 15 et de 18 ans), la séquence génétique explorée était aussi apparentée au FmoPV, mais de manière moins étroite que pour les cas précédents (86 % d’homologie, contre 94 à 99 % pour les cas précédents). Les auteurs ne peuvent trancher pour indiquer s’il s’agit d’une souche variante du FmoPV ou bien d’une nouvelle espèce : le seuil pour la définition d’une espèce virale est à 85 % d’homologie (en dessous, l’espèce est différente).

Nouveau : le FPaV

Enfin, pour les trois derniers prélèvements positifs, les séquences obtenues sont bien des séquences de Paramyxovirus, mais ne correspondant à aucun genre connu au sein de cette famille. Les chats correspondants étaient âgés de 3, 8 et 9 ans, et étaient bien tous atteints d’affection rénale chronique. Les auteurs se sont donc attelés à séquencer plus largement le génome viral présent dans ces prélèvements d’urine. Ils observent alors que cette séquence est relativement proche (à 73-74 %) de celles de Paramyxovirus de chauves-souris et de rongeurs. Ne pouvant pousser plus loin l’identification, ils proposent de nommer ce possible nouveau virus Paramyxovirus félin : FPaV.

Longue excrétion

À partir de la séquence obtenue, les auteurs ont toutefois construit une RT-PCR spécifique de ce nouveau virus, et quantitative. Ils ont appliqué cette nouvelle qRT-PCR aux trois échantillons d’urine positifs, et montrent que le génome du FPaV y est bien présent en grande quantités : entre 5 105 et 8 106 copies/ml d’urine. Comme plusieurs prélèvements d’urines ont été effectués sur ces chats, les auteurs montrent aussi que l’excrétion urinaire de ce virus est longue : « plus de 4 semaines dans les trois cas, et jusque 11 semaines après le diagnostic initial de pathologie rénale dans l'un des cas ». En revanche, la qRT-PCR est négative sur le sang et le sérum de ces mêmes chats. « Ce qui indique qu’il y a une virémie éphémère ou absente », alors que le virus est capable d’infection urinaire chronique.

Association statistique

Sept des huit chats positifs pour l’un des Paramyxovirus étaient des mâles. Mais comme les mâles étaient sur-représentés dans le groupe de chats malades, il n’est pas possible de conclure sur ce facteur de risque. En revanche, lorsque les trois virus sont pris en compte ensemble dans l’analyse statistique, les auteurs observent bien « une association positive forte entre l’excrétion [urinaire] d’un Paramyxovirus et la présence d’une maladie rénale chronique ». Quant à savoir si ces virus sont à l’origine de la maladie rénale ou s’ils profitent de l’état inflammatoire chronique… d’autres travaux sont en cours, en particulier par des enquêtes sérologiques auprès de chats ayant souffert (ou non) de maladie rénale. Au Japon, la Pre Miyazawa (faculté vétérinaire de Tokyo) souligne que le même niveau d’association entre présence du FMoPV et affection rénale a été observé récemment (les premiers travaux avaient été conduits sur un nombre trop limité d’animaux pour permettre une analyse statistique).

Ainsi, les outils diagnostiques sont disponibles en Allemagne, en Italie et au Japon pour rechercher la présence du génome du FmoPV : RT-PCR et, depuis juillet, la technique LAMP (moins goumande en équipements que la PCR) au Japon. En Allemagne, une RT-PCR est disponible pour la détection du génome du FPaV, et des outils sérologiques sont également en développement.