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18 janvier 2023

La quête de reconnaissance de la part de ses clients : une base de la frustration vétérinaire

par Pierre Mathevet

Temps de lecture  5 min

L'insuffisance de reconnaissance émise par le client est une frustration régulièrement perçue par le vétérinaire (cliché Hélène Ego).
L'insuffisance de reconnaissance émise par le client est une frustration régulièrement perçue par le vétérinaire (cliché Hélène Ego).
 

L'Homme présente 7 stades de développement psychologique, qui se succèdent tout au long de la vie. Nous commençons nourrisson, en apprenant à survivre, et nous terminons normalement en apprenant à servir l'autre de manière désintéressée.

1. La survie

La quête de survie débute dès la naissance. Pour certains auteurs, le bébé humain naît prématuré en comparaison des autres mammifères (chevaux, bovins, chiens, chats…) chez lesquels le jeune est capable, en quelques heures, de se mettre debout et de débuter son autonomie en trouvant la mamelle de sa mère. À l'opposé, le nourrisson est, à ce stade, totalement dépendant des autres et ne peut échapper à la quête de sécurité pour rester une entité viable.

2. La conformité au groupe

Il est également vite intégré par le nourrisson que la vie est plus agréable et moins hostile s'il vit en harmonie avec les autres. Il a besoin, par exemple, de ses parents pour se nourrir, être au chaud, être propre, et il comprend vite qu'il a tout intérêt à se conformer aux rituels qui lui sont proposés. Le deuxième besoin de l'ego est ainsi d'appartenir à un groupe, à une communauté, et de se sentir aimé.

3. La différenciation

L'enfant cherche alors à recueillir de l'attention pour être reconnu par son entourage. Il prend conscience de l'impact qu'il peut avoir sur les personnes avec qui il cohabite, et développe un sentiment sain de fierté de ses réalisations et sa propre valeur. Se sentir apprécié, reconnu est ainsi essentiel. Sans cette reconnaissance, ce feedback positif, nous développerons petit à petit le sentiment de ne pas être aimable, d'être sans valeur, de ne pas être à la hauteur.

4. L'individuation

Il s'agit de la première étape de la véritable indépendance. Petit à petit, c'est prendre conscience de ses propres valeurs et développer son individualité, devenir responsable de sa propre vie et de ses émotions.

5. L'accomplissement de soi

Cette étape supplémentaire permet d'embrasser une vie dans laquelle les décisions sont prises en fonction de ses propres valeurs. Elle commence souvent par une période de mal-être ou de lassitude, une quête de sens. Celle-ci témoigne d'un passage de l'indépendance vers l'interdépendance.

6. L'intégration

Le stade suivant implique la coopération de personnes qui partagent une même vision sociétale, par exemple, pour développer un impact positif sur le monde. Cette période permet de prendre conscience que le niveau d'épanouissement dépend directement de la qualité de la relation avec ses congénères, de l'interdépendance entre « animaux » de la même espèce.

7. Le service désintéressé

Dans ce dernier stade, le but de l'adulte âgé est de participer au bien être de sa communauté ou de la société, celle-ci devenant même plus importante que sa propre personne.

Nos besoins initiaux sont à la base de la frustration professionnelle

La quête permanente de sécurité (survie), d'amour (conformité) et de reconnaissance (différenciation) nous transforme en mendiants. Car ces trois besoins fondamentaux ne peuvent être comblés seuls. Nous avons besoin des autres pour pouvoir avancer et nous développer. Et ainsi nous sommes formatés dès la naissance pour la compétition. Car nous avons besoin d'obtenir l'attention de notre entourage, qui se porte sur nous. Sans attention des autres, nous ne pouvons pas combler nos trois besoins fondamentaux. Nous avons besoin de nous faire remarquer quand la grande sœur récite sa récitation devant la famille à Noël ; nous avons besoin de faire le pitre si le petit frère est capable de faire quelque chose que nous n'arrivons pas nous-même à réaliser, ou de tout faire pour l'empêcher d'y arriver.

Cette compétition, inscrite dans notre trajectoire, conduira à rendre le travail en équipe complexe à installer. Car la base de l'équipe s'appuie sur la coopération, dimension strictement inverse à la compétition. Plus ou moins marqué en fonction de ce que nous avons vécu dans notre petite enfance, ce besoin de reconnaissance est toujours présent. Il est un marqueur de notre humanitude. Et nul n'y échappe. Même si certains s'en défendent !!

Si nous n'obtenons pas cette reconnaissance tant espérée, nous sommes gagnés par la frustration, voire le dégout. Par exemple, quand nous sauvons un chien qui semblait mal embarqué, nous espérons un retour enthousiaste du propriétaire, des remerciements et des signes visibles de reconnaissance. Quand nous avons enrayé une épidémie de diarrhées néonatales dans l'élevage d'un bon client, nous quêtons naturellement ces signes de reconnaissance, nous espérons des remerciements. Cela paraît bien normal. Et si cela n'est pas le cas, gare alors à l'énorme frustration qui peut germer, qui va casser notre motivation, notre engagement, jusqu'à l'envie d'exercer ce métier. Et oui, parfois, la terrible expression « Mais à quoi bon ! » nous traverse l'esprit.

Méfiez-vous d'abord de votre propre cerveau

Notre cerveau est physiologiquement câblé pour intégrer, avant tout, les informations mettant en péril notre instinct de survie. À cause de ce biais, baptisé biais de négativité, notre cerveau va privilégier les informations négatives, les émotions désagréables. Il va ainsi plus facilement mémoriser les occasions où nous avons ressenti de la frustration que celles où nous avons pourtant obtenu ces signes de reconnaissance. Combien de cartes de remerciements reçues, de délicates attention pour les fêtes offertes par des clients ? Ne les oublions pas ! Elles sont le terreau de notre satisfaction.

Les messages de reconnaissance ou les attentions ne sont pas rares au sein des structures vétérinaires, même si notre cerveau nous pousse à nous faire croire le contraire.

Cliché Pierre Mathevet.

 

Développer sa propre satisfaction

La transformation personnelle permet de s'affranchir de la dépendance à l'autre. Petit à petit, le besoin de sécurité peut être remplacé par la confiance en soi, le besoin d'amour par l'estime de soi et, enfin, le besoin de reconnaissance en satisfaction personnelle. Cela permet alors de devenir autonome, d'aboutir à l'indépendance. Nous pouvons enfin être satisfait de faire le métier que nous faisons, avec l'équipe qui nous entoure et avec ce client et cet animal. Cela fait sens pour nous et nous nourrit. Cette étape permet de sortir de l'incessante quête, de vivre en autonomie.

La reconnaissance comme un bonus

Cependant, il nous est impossible de vivre sans relation à l'autre. Alors nous migrons encore, pour atteindre l'interdépendance, basée sur une relation riche et empathique avec celles et ceux qui nous entourent. Fort de notre capacité à être satisfait, nous pouvons en plus donner et recevoir sans retenue des marques de reconnaissance positive. Dans ce dernier stade, cette reconnaissance n'est pas un besoin à combler, une recherche permanente à satisfaire. Les signes de reconnaissance sont particulièrement les bienvenus et demeurent très agréables à entendre. Ils sont devenus des boosters de motivation et de joie personnelle. Grâce à la transformation personnelle, fini désormais l'inaccessible Graal ! Les signes de reconnaissance sont devenus des bonus cadeaux. Nous sommes aptes à les apprécier à leur juste valeur, à intégrer leur impact fortement positif, mais sans en être des esclaves ou des mendiants.