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Elanco & Proplan

10 novembre 2022

Spondylodiscite et Brucella canis, un duo en émergence

par Vincent Dedet

Temps de lecture  5 min

Radiographies latérales du rachis de chiens infectés par Brucella canis, illustrant les lésions en emporte-pièce sur les plateaux vertébraux (flèches rouges, Long et coll., 2022).
Radiographies latérales du rachis de chiens infectés par Brucella canis, illustrant les lésions en emporte-pièce sur les plateaux vertébraux (flèches rouges, Long et coll., 2022).
 

« Les chiens présentant des signes de douleur rachidienne chronique et/ou de boiterie [sans autre cause évidente] devraient faire l'objet d'un dépistage pour Brucella canis ». Telle est la recommandation de cliniciens et imageristes américains au terme de l'étude rétrospective d'une série de 33 cas alliant spondylodiscite et brucellose. Car la brucellose canine n'est pas en émergence qu'en Europe de l'ouest : « sa fréquence est en augmentation dans le sud-ouest des États-Unis », en association avec la maladie discale. D'autant que deux descriptions de séries de cas viennent d'être publiées la même semaine de novembre par des cliniciens américains d'universités différentes.

Jeunes adultes

La première publication, essentiellement d'imageristes, comprend une série de 33 cas de chiens diagnostiqués avec cette affection discale et disposant d'au moins un test diagnostique positif pour B. canis (isolement bactérien à partir du sang ou de l'urine, test d'agglutination sur lame avec mercaptoéthanol, immunodiffusion en gélose ou immunofluorescence indirecte avec un titre >1/200).  Alors qu'habituellement, le risque de spondylodiscite augmente avec l'âge et se manifeste à partir de 10 ans, l'âge moyen de cette série était de 2,9 ans (médiane à 2,5 ans). Deux de ces chiens provenaient d'une même portée (mais avaient été adoptés par des propriétaires différents). Il ne semblait pas y avoir de prédisposition raciale (8 races représentées, 10 des 33 chiens étant des croisés), ni de taille.

Signes chroniques

Ces animaux présentaient des signes chroniques depuis 8 mois en moyenne (médiane à 6 mois) lorsqu'ils ont consulté dans les hôpitaux participant à l'étude. Toutefois, l'éventail de ces durées allait de 5 jours à 4 ans ! Pour près des trois quarts (72 %), les signes duraient depuis plus de 3 mois. « Quinze chiens [sur les 33] présentaient des signes de douleur non spécifique, de douleur rachidienne ou de boiterie depuis leur adoption en tant que chiots ». De fait, « la douleur rachidienne était le signe clinique le plus fréquent et était enregistrée comme cervicale (n = 9), thoracolombaire (n = 1), lombosacrée (n = 3) ou multifocale (n = 7) ». Les douleurs non spécifiques et coxo-fémorales étaient moins fréquentes (n=6 et n = 2, respectivement). Il y a aussi eu 8 cas de boiterie.

Emporte-pièce

Les images retenues par les auteurs sont soit des radiographies du rachis (sur le segment indiqué par l'examen neurologique) ou l'IRM. La radiographie était la seule imagerie documentée pour 15 des cas ; l'IRM seul pour 4 autres cas, les autres ayant les deux, avec ou sans scanner. Ainsi un cliché radio était disponible pour 29 des 33 cas. Un seul cas ne présentait pas d'anomalie sur le cliché. Chez tous les autres, il y avait au moins une lésion (n=7) ou plusieurs (n=21). Plus de la moitié des lésions observées (55 %) correspondaient à « une lucidité centrale ronde, bien définie, affectant les deux plateaux vertébraux "en emporte-pièce". [Elle] était apparente chez 25 chiens sur 29 (86 %) ». Un espace intervertébral étroitisé était présent sur 81 % des clichés, et une sclérose des plateaux vertébraux dans 75 % des cas. Les localisations les plus fréquentes étaient L1-L2 (48 %), T13-L1 (45 %), L2-L3 (41 %), T12-T13 et L7-S1 (34 % chacune). Tous les chiens qui présentaient une douleur multifocale ou non spécifique avaient des lésions radiologiques multiples. Sur les clichés IRM, les auteurs retrouvent des lésions à l'emporte-pièce. Un tiers des chiens présentent alors une inflammation de la physe vertébrale, voire une inflammation du plateau sans discite. « Chez quinze chiens ayant eu radiographies et IRM, 21 des 57 lésions visibles à l'IRM n'ont pas été identifiées lors de l'examen en aveugle des radiographies par un imageriste spécialiste ».

Trois cas d'une même portée

Aussi, les auteurs recommandent-ils, chez de « jeunes chiens présentant une douleur rachidienne chronique, même sans preuve radiographique de spondylodiscite », de réaliser une recherche de brucellose. « L'imagerie avancée, en particulier l'IRM, doit être pratiquée chez les chiens suspectés de spondylodiscite, même si les radiographies de la colonne vertébrale sont normales ». De leur côté, cliniciens et imageristes de la faculté vétérinaire de l'Illinois décrivent trois cas de brucellose diagnostiqués chez des adultes issus d'une même portée, dont deux ont présenté… une spondylodiscite.

Longue antibiothérapie

La bactérie a été cultivée à partir du sang des chiens, qui présentaient des signes cliniques chroniques :

  • Le premier cas est une femelle Labrador qui présentait des douleurs cervicales depuis l'âge de 7 mois et a été présentée en consultation à 2 ans. Des épisodes aigus, allant jusqu'à un port penché de la tête, duraient quelques jours avant de disparaître ; ils revenaient avec une sévérité et une durée accrue. L'examen neurologique a confirmé une atteinte cervicale, et l'IRM a identifié des lésions en C6-C7 compatibles avec une spondylodiscite. Le diagnostic de brucellose confirmé par examens complémentaires a été suivi d'une antibiothérapie d'un an associant doxycycline et fluoroquinolone (après antibiogramme). Après 26 mois, la chienne a rechuté. Le traitement antibiotique « a été remis en place et la chienne a été perdue de vue ».
  • Les propriétaires du second cas ont été avertis par ceux du premier. Il présentait un historique de 10 mois de douleurs lombaires et coxofémorales. Le diagnostic de B. canis étant aussi positif, le même traitement lui a été appliqué pendant 6 mois, puis il a été perdu de vue.
  • Les propriétaires du premier cas ont permis de retrouver le 3e chiot de la portée de leur propre animal ; cet animal a été confirmé à la fois comme infecté par B. canis et atteint d'une spondylodiscite (C3-C4, T12-T13 et L7-S1). Il a été traité avec une fluoroquinolone pendant 7 mois, ce qui a induit la disparition des lésions en imagerie et la rémission clinique ; il a toutefois été perdu de vue par la suite.

En Europe, les bonnes pratique d'antibiothérapie ne permettraient pas de justifier une telle durée de traitement avec un antibiotique critique. La stratégie thérapeutique appliquée par les auteurs de ce second article n'étant pas démontrée efficace et conduisant à des animaux potentiellement excréteurs et démédicalisés, elle paraît hasardeuse, mais sa pertinence n'est pas abordée dans la partie consacrée à la discussion de leur publication.