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13 septembre 2022

Qu'est-ce qui retient les ASV dans une structure ?

par Vincent Dedet

Temps de lecture  6 min

Réponses à la question "Souhaiteriez-vous redevenir ASV si c'était à refaire", lors d'une enquête en ligne à l'automne 2018 auprès d'ASB britanniques, dont les résultats viennent d'être publiés (Hagen et coll., 2022).
Réponses à la question "Souhaiteriez-vous redevenir ASV si c'était à refaire", lors d'une enquête en ligne à l'automne 2018 auprès d'ASB britanniques, dont les résultats viennent d'être publiés (Hagen et coll., 2022).
 

Si c'était à refaire, à peine plus du tiers des ASV en exercice outre-Manche choisiraient ce métier (voir l'illustration principale). Outre la pénurie de vétérinaires, il y a aussi une pénurie d'ASV… Au moins outre-Manche. Aussi, des praticiens équins, canins et des chercheurs de la faculté vétérinaire de Londres (Hatfield) ont-ils réalisé une enquête auprès d'ASV sur les facteurs de leur satisfaction, mobilité et rétention dans la structure où elles exerçaient au moment de la réponse (en 2018), dans le cadre du projet “veterinary nurses futures”.

Enquête en ligne

En 2018 justement, la pénurie d'ASV était évaluée à 7,6 %, sur quelques 20 000 ASV enregistrés (la profession est fortement structurée outre-Manche). Le questionnaire en ligne comportait 7 questions ouvertes et 57 questions fermées, sur le désir des ASV de rester dans leur emploi actuel ou de le quitter, les motivations et les facteurs démographiques associés à ces perspectives. L'enquête est restée ouverte de mi-septembre à fin octobre, et le recrutement des répondantes s'est fait via les réseaux sociaux et les associations de vétérinaires petits animaux et équins. Plus d'un millier (1 075) de personnes ont répondu, dont 25 hommes.

La moitié envisage un départ dans les 2 ans

La durée médiane de carrière des répondantes était de 8 ans, pour l'essentiel en clientèle généraliste (13,6 % en structure de référés), presqu'exclusivement en petits animaux (2,5 % en équine et 5 % en mixte). Dans leur majorité, la structure d'emploi était un groupe (71 % des répondantes). La classe d'âge majoritaire était celle des 26-35 ans (45 %), devant les 36-45 ans (28 %) et les < 25 ans (18 %). La médiane du nombre de changements d'employeur était de 2 (de 0 à 15). À la question de savoir si les répondant(e)s seraient à la recherche d'un nouvel emploi dans les 2 ans, plus de la moitié (54 %) répondent « probablement » ou « très probablement ». S'y ajoutent 10 % de « pas sûr ».

Du temps et de l'argent

Les salaires précisés par les répondantes étaient en majorité (68 %) inférieurs à 25 000 £/an (29 k€), ce qui « est inférieur de plus de 6 000 £ à la moyenne nationale britannique » des salaires. Un quart des répondantes indiquaient un salaire allant de 25 à 35 k£ (et trois de plus de 100 k£). Lorsqu'ils réalisent une analyse statistique, les auteurs obtiennent deux associations positives significatives :

  • entre l'augmentation du nombre d'années écoulées depuis l'obtention du diplôme d'ASV et la diminution de la probabilité de chercher un nouvel emploi dans les deux ans (r = 0,21, p < 0,0001) ;
  • entre l'augmentation de la fourchette de salaire et la diminution de la probabilité de chercher un nouvel emploi (r = 0,21, p < 0,0001).

À la question de ce vers quoi ce changement d'emploi s'orienterait, 20 % répondent dans le sens de quitter la sphère vétérinaire. Une proportion comparable voudrait un travail différent mais toujours dans le domaine vétérinaire (enseignement, gestion). Quant à la majorité, il s'agit simplement de changer d'employeur.

Trois bonnes raisons

Les répondantes ayant signifié qu'elles souhaitaient rester dans leur emploi “actuel” devaient alors fournir trois raisons le justifiant, parmi 20 proposées (plus une catégorie “autre” à détailler). Seuls les questionnaires comportant trois réponses ont été exploités (n=258). Il s'agit avant tout de l'équipe (59 %), ensuite de l'emplacement (49 %) enfin des horaires (39 %). Sur la totalité des répondantes, 71 % des ASV indiquaient effectuer de 31 à 40 h hebdomadaires et 45 % ne faisaient pas d'heures supplémentaires. Les répondantes ayant signalé leur intention probable de changer d'emploi dans les deux ans devaient elles aussi choisir 3 motivations (n=288). Il s'agit cette fois avant tout du salaire (56 %), devant la gestion de la structure (42 %) et l'équilibre travail/vie privée (40 %). Car, soulignent les auteurs, il y a plus d'ASV expérimentées qui quittent le champ vétérinaire qu'il n'y en a qui changent d'emploi. Ils proposent deux explications non exclusives : « les trentenaires ont le sentiment d'avoir autant progressé qu'elles le pouvaient dans leur pratique et souhaitent relever un nouveau défi » ou cela correspond à l'âge « où l'épuisement professionnel est fréquemment atteint ».

Sous-évaluées

Une question ouverte demandait aussi les trois aspects les moins appréciés de leur métier. Le premier motif (37 %) a été regroupé par les auteurs sous le terme de « relations avec les clients ». Cela comprend « le fait d'être sous-évaluées ou injuriées régulièrement, en face à face ou via les réseaux sociaux », l'expression de « la perception que les frais vétérinaires sont trop onéreux et que nous ne sommes là que pour l'argent »… Les auteurs soulignent, en croisant ces résultats avec ceux d'enquêtes antérieures, que les ASV aiment le contact client, nettement moins la perception de la profession que certains clients expriment. L'invisibilité de leur travail technique pour les clients « demande d'être sérieusement prise en considération », les auteurs évoquant par exemple l'absence de ligne de facturation de leurs actes. Le salaire insuffisant arrive au second rang (24 %) des aspects les moins appréciés, loin devant l'équilibre travail/vie privée (10 %).

Salaire et plafond

Mais lorsqu'il est demandé quels sont les trois aspects de leur métier qu'elles modifieraient, les répondantes placent le salaire en premier (30 %), avec en particulier « une meilleure couverture de la maternité », devant la gestion (17 %) en lien avec plus d'autonomie et une meilleure exploitation de leur potentiel. Puis vient le soutien de la part de l'équipe (16 %), sur les charges administratives, la surcharge de travail, etc. Les auteurs soulignent la place évoquée par le salaire dans cette enquête : « c'est la raison la plus souvent citée pour quitter son emploi, le point que les ASV souhaiteraient le plus changer dans leur emploi actuel et le deuxième aspect le plus détesté de leur métier »… Et les perspectives d'évolution sont vers une valeur médiane de 29 000 £ (33,5 k€) pour des postes de management, rares dans la présente enquête. « La progression salariale limitée, la législation en vigueur [outre-Manche] qui empêche les ASV d'entreprendre des tâches supplémentaires malgré des qualifications/spécialisations additionnelles et l'augmentation des frais de [formation], créent ainsi un plafond pour les ASV expérimentées », analysent-ils. Ils préviennent aussi que l'échantillon des répondantes n'est pas forcément représentatif de la population nationale d'ASV, et que la généralisation des éléments retenus ne sera pas nécessairement valide. Ils espèrent toutefois que ces « données de base soient utiles (…) en soulignant certaines des questions les plus importantes pour les répondants, à savoir le salaire, la gestion insuffisante et l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée ».

Jusqu'à 24 mois pour trouver

Un volet de l'enquête s'adressait en même temps à l'employeur de l'ASV répondante. Il lui était demandé le nombre de candidatures reçues lorsqu'il recherche une ASV et le délai entre la vacance du poste et le nouveau recrutement. Sur le premier point, la majorité (69 %) reçoivent 1 à 3 candidatures ; certains en reçoivent « plusieurs centaines ». Le poste est pourvu en 2 à 3 mois (valeur médiane, les extrêmes allant de moins d'un mois à 24 mois). Ces chiffres sont comparables à ceux d'enquêtes antérieures, analysent les auteurs. Pour 92 % des employeurs, recruter une ASV expérimentée est « difficile à très difficile », alors que le même qualificatif au regard d'une jeune diplômée n'est fourni que par 36 % des répondants. Les auteurs soulignent que la diversité des formations d'ASV outre-Manche ne leur permet pas d'analyser ces chiffres plus en détail.