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9 juin 2022

Monkeypox : pourquoi les instituts d'expertise recommandent l'absence de contact entre personnes infectées et animaux de compagnie

par Vincent Dedet

Temps de lecture  9 min

Virion de la variole du singe, obtenu à partir d'un échantillon clinique humain associé à l'épidémie survenue aux USA sur des chiens de prairie NAC en 2003, à partir d'animaux sauvages importés d'Afrique et infectés et ayant disséminé l'infection en animalerie. À gauche, les particules virales matures ont une forme ovale, et à droite, les croissants et les particules sphériques sont des virions immatures (cliché : Cynthia S. Goldsmith, Russell Regnery).
Virion de la variole du singe, obtenu à partir d'un échantillon clinique humain associé à l'épidémie survenue aux USA sur des chiens de prairie NAC en 2003, à partir d'animaux sauvages importés d'Afrique et infectés et ayant disséminé l'infection en animalerie. À gauche, les particules virales matures ont une forme ovale, et à droite, les croissants et les particules sphériques sont des virions immatures (cliché : Cynthia S. Goldsmith, Russell Regnery).
 

Il y avait 720 cas confirmés de variole du singe (monkeypox) chez des humains hors du berceau africain de cet Orthopoxvirus, dans 27 pays sur 4 continents, au 2 juin dernier, selon l'Organisation mondiale de la Santé (OMS). Les pays enregistrant le plus grand nombre de cas sont le Royaume-Uni (n=207), devant l'Espagne (n=156) et le Portugal (n=138). En France, 33 cas ont été identifiés.  Bien que cet épisode reste pour le moment limité à des cas humains, possiblement au travers de modes de transmission nouvellement identifiés (comme la présence du virus dans le sperme), plusieurs organismes ont publié, sur fin mai et début juin, des recommandations au regard des animaux de compagnie. Outre-Rhin, le centre de recherche du nord de l'Allemagne, le Friedrich Loeffler Institut (FLI), qui héberge le laboratoire national de référence de ce pays pour la variole aviaire, a publié un document de questions/réponses sur le sujet. Sa trame figure ci-dessous, et est complétée par les éléments saillants de l'évaluation du risque de passage du virus aux animaux de compagnie publiée deux jours plus tard par le Human Animal Infections and Risk Surveillance (HAIRS) Group, outre-Manche, et des données présentées par l'OMS et le CDC sur leurs pages internet consacrées à l'affection.

 

Quels animaux sont le réservoir de la variole du singe ?

Pour le FLI comme pour les autres institutions, « cette question n'a pas encore été définitivement clarifiée ». Le virus de la variole du singe (MPXV) a été détecté en Afrique chez différentes espèces de rongeurs, « ainsi que chez des musaraignes ». « Aux États-Unis, des transmissions ont eu lieu sur des chiens de prairie [NAC] après un contact avec des rongeurs importés d'Afrique », lors de leur passage en animalerie. Les primates infectés représentent un accident dans l'épidémiologie de l'infection. Ils « peuvent être infectés et tomber malades par contact avec un hôte réservoir. Peu de choses sont connues sur les épisodes chez les singes en Afrique, car de tels cas ne sont pas systématiquement enregistrés ».

Les experts britanniques signalent seulement un cas chez une espèce sauvage autre que primate capturée à l'état sauvage : en 1985, le MPXV a été isolé à partir d'un funisciure à dos rayé (Funisciurus anerythrus), écureuil arboricole sub-saharien capturé et symptomatique. Toujours en Afrique, plusieurs espèces ont été trouvées séropositives : l'écureuil de Carruthers (Funisciurus congicus), différentes espèces d'écureuils arboricoles, le cricétome des savanes (Cricetomys gambianus) et différentes espèces de gliridés (famille du lérot). Enfin, une espèce de hérisson sub-saharienne a également été trouvée réceptive au virus lors de l'épisode américain de 2003. Par la suite « trois genres de rongeurs africains, Graphiurus, Cricetomys et Funisciurus (respectivement loir africain, cricétome et funisciure) ont été impliqués comme véhicules d'introduction du virus, lors de l'événement d'importation initial ». Mais la/les espèce/s réservoir reste/nt à identifier.

 

Les animaux domestiques tels que les chats, les chiens ou les hamsters peuvent-ils être infectés par la variole du singe ?

« Il n'existe à ce jour aucune étude ni aucun cas signalé » d'infection de ces espèces. « Seuls les lapins ont été démontrés réceptifs, expérimentalement (…). Il n'est pas exclu que d'autres espèces d'animaux domestiques soient également réceptives », estiment prudemment les experts allemands. Les Britanniques sont plus systématiques : « les lapins blancs adultes et les rats blancs (genre Rattus) sont réfractaires à l'infection [expérimentale] par le MPXV, mais pas les nouveau-nés » de ces espèces. « Presque toutes les sous-espèces de la souris domestique commune (Mus musculus) sont résistantes lorsqu'on inocule des animaux adultes dont le système immunitaire est fonctionnel », avec une exception, « la sous-espèce castanéenne de la souris domestique, Mus musculus castaneus », naturellement immunocompromise.

La transmission du MPXV se faisant majoritairement par contact étroit avec des personnes malades ou avec des matériaux fortement contaminés, comme des croûtes de peau, le CDC américain a été le premier à recommander aux personnes suspectes d'infection de ne pas avoir de contacts avec leurs animaux de compagnie. Le procédé retenu par les experts britanniques pour leur évaluation des risques « suppose que l'animal de compagnie est présent dans le foyer contaminé d'un cas humain confirmé de variole du singe. Le risque posé concerne donc les contacts humains non infectés ou les rongeurs péridomestiques ou sauvages en contact. Il est conclu que le risque le plus élevé est posé par la présence de rongeurs domestiques, plus que par les lagomorphes, les canidés, les félidés et les mustélidés ». De fait, les résultats d'inoculation expérimentale sont « en faveur de la théorie selon laquelle l'expression clinique dépend de la voie d'inoculation ou de l'âge, et du statut immunitaire des animaux ».

 

Comment s'occuper des animaux domestiques chez des personnes atteintes de variole du singe ?

Le document du FLI reprend les mêmes recommandations : « les personnes infectées doivent éviter tout contact direct avec leurs animaux domestiques et accorder une attention particulière aux mesures d'hygiène telles que le lavage soigneux des mains et le nettoyage/désinfection des surfaces ». De leur côté, les experts britanniques estiment que « les rongeurs domestiques qui ont été exposés au virus dans un foyer contaminé ne doivent pas être manipulés directement et doivent être empêchés d'entrer en contact avec tout rongeur sauvage ou péridomestique ». Ainsi, « sur la base des données actuelles », ils recommandent que ces rongeurs NAC soient « retirés temporairement du foyer où il y aurait des personnes infectées, pour une période de quarantaine limitée (21 jours), [et de] procéder à des tests pour exclure l'infection (PCR), en particulier lorsqu'il y a des [personnes] infectées qui ont eu un contact direct et prolongé avec l'animal ou sa litière ». Pour les animaux de compagnie des autres espèces mammifères, ils proposent un « isolement dans le foyer, avec des contrôles vétérinaires réguliers pour s'assurer qu'aucun signe clinique n'est observé ».

 

Et chez le vétérinaire ?

Les experts allemands ne prévoient pas le cas de figure, mais les Britanniques estiment qu'il « convient également de mettre en place une gestion des risques appropriée pour le personnel de laboratoire qui manipule les échantillons, ou pour les vétérinaires et les professionnels de la santé animale qui manipulent ou prélèvent des échantillons sur les animaux de compagnie ». Car « la probabilité d'infection serait considérée comme modérée à élevée pour les personnes interagissant avec des animaux domestiques infectés (notamment des rongeurs) et leurs environnements contaminés ». De son côté, le CDC propose un ensemble de mesures de protection aux praticiens « qui souhaiteraient examiner un animal suspect de variole du singe ». Les mesures d'hygiène sont les mêmes que lors du Covid, y compris pour les déchets de soin ou la désinfection des surfaces. Par exemple : « les animaux suspectés d'être infectés ne doivent pas être autorisés à entrer par la salle d'attente d'une clinique vétérinaire, ni être conduits dans une salle de traitement commune. Tous les traitements et diagnostics doivent être effectués dans une salle d'examen. Le nombre de personnes autorisées à entrer dans la salle d'examen et à entrer en contact avec l'animal doit être limité au minimum ».

 

Les animaux domestiques peuvent-ils s'infecter entre eux avec la variole du singe ?

La réponse du FLI est un résumé de l'analyse des experts britanniques : « cela ne peut pas être exclu, en cas de contact très étroit entre animaux ou de contact avec du matériel contenant de la variole (par exemple des croûtes de peau). Mais il est avant tout important d'éviter l'infection des animaux par des personnes infectées ».

Pour le cas où l'animal serait une espèce sauvage importée de région d'enzootie (Afrique), les experts britanniques rappellent qu'il « n'existe pas de certificats sanitaires harmonisés pour l'importation commerciale de rongeurs dans l'UE en provenance de pays tiers, et le MPXV n'est pas à déclaration obligatoire en vertu du règlement EU/2018/1882 ». Ainsi, un croisement de flux d'animaux vivants, à l'image de ce qui s'est produit aux USA en 2003, est théoriquement possible. Mais l'infection ne proviendrait pas d'un cas humain lié à l'épisode actuel.

 

Les animaux domestiques infectés peuvent-ils transmettre le MPXV aux humains ?

Là encore, le raccourci du FLI donne le ton : « cela n'est pas exclu en cas de contact étroit ». À l'appui de cet argument, l'épisode de 2003 aux USA, « au cours duquel des chiens de prairie infectés détenus comme animaux de compagnie ont transmis la variole du singe à l'homme par contact dans environ 70 cas ». Toutefois, les experts britanniques estiment que « l'impact du MPXV pour la santé humaine au Royaume-Uni est considéré faible à très faible », car seules les personnes ayant des animaux infectés seraient exposées – et non la population générale.

 

Les animaux d'élevage comme les porcs ou les bovins peuvent-ils être infectés par le MPXV ?

« Il n'existe jusqu'à présent aucune indication à ce sujet, pas même en Afrique centrale ou occidentale, où la variole du singe est naturellement présente ». Une enquête sérologique réalisée en 1979 a analysé les prélèvements de 120 moutons et chèvres en zone d'enzootie, mais n'a identifié aucun positif.

 

Un réservoir animal pour ce virus pourrait-il se développer en Europe - chez les animaux domestiques ou sauvages ?

Pour les experts allemands, ce risque « est considéré comme très faible dans l'état actuel des choses ». Il faudrait, outre le franchissement d'une barrière d'espèce, que le virus se propage ensuite au sein de l'espèce en question. « Il est certes possible qu'un seul animal domestique, comme un chat, soit infecté par contact direct avec un humain atteint, mais il semble actuellement peu probable qu'une chaîne d'infections se mette alors effectivement en place ». D'autant qu'en « Europe, le réservoir animal de la variole bovine [cowpox], apparentée à la variole du singe, est notamment constitué par les campagnols. L'établissement du MPXV dans ces populations d'hôtes-réservoirs est également très improbable en raison de l'immunité croisée ». Pour les experts britanniques aussi, « il est peu probable (mais on ne peut l'exclure) qu'un rongeur de compagnie infecté puisse transmettre l'infection à des rongeurs péridomestiques ou sauvages. Étant donné que les rongeurs peuvent ne pas présenter de signes cliniques d'infection et que la période d'incubation est inconnue, des tests visant à détecter la présence d'anticorps et de virus permettraient d'exclure l'infection avec plus de certitude ». Expérimentalement, l'écureuil rouge (Sciurus vulgaris) et la souris de laboratoire (Mus musculus) non adulte ont été trouvés réceptifs. Aussi, « bien qu'il n'y ait pas de preuve de la réceptivité des espèces sauvages endémiques communes au Royaume-Uni, les rongeurs (y compris les campagnols, les loirs, les rats, les souris et les écureuils) ainsi que les lagomorphes (lapins et lièvres) et les hérissons pourraient tous être considérés comme des réservoirs potentiels ».