titre_lefil
logo_elanco

15 octobre 2021

Quatre raisons, en plus des piquants, de prendre des gants avec les hérissons

par Vincent Dedet

Temps de lecture  6 min

Les lésions cutanées observées dans l'épisode d'infection à Corynebacterium ulcerans sur des hérissons mâles du nord de la Belgique, à l'été 2020, sont majoritairement localisées sur la face et les pattes (cliché : Frank Pasmans, université de Gand).
Les lésions cutanées observées dans l'épisode d'infection à Corynebacterium ulcerans sur des hérissons mâles du nord de la Belgique, à l'été 2020, sont majoritairement localisées sur la face et les pattes (cliché : Frank Pasmans, université de Gand).
 

Pleins de piquants et de puces, les hérissons risquent de subir un recul de leur réputation, à force de publications leur trouvant un rôle de réservoir potentiel d'agents pathogènes zoonotiques. Ainsi, depuis 2019, une série d'articles européens a identifié chez eux des leptospires, teignes, staphylocoques dorés résistants à la méticilline (SARM) et autres Corynebacterium sécrétant la toxine de la diphtérie.

Toxine diphtérique

Dernière en date, et première de cette liste car elle causait l'été dernier, dans le « nord de la Belgique, un épisode de maladie produisant des ulcérations cutanées » (voir l'image principale), figure Corynebacterium ulcerans. Des microbiologistes de la faculté vétérinaire de Gand ont analysé des prélèvements effectués sur les lésions de 81 hérissons recueillis dans 4 centres de soins de cette région en mai et juin 2020. C. ulcerans a été identifié pour 51 d'entre eux et les souches ont été typées. Il y avait une importante diversité génétique entre elles, indiquant une situation enzootique chez les hérissons, plutôt qu'une contamination nosocomiale (acquisition aux centres de soins). Les auteurs soulignent que seuls des mâles étaient atteints sur des zones dénuées de piquants, ce qui « suggère qu'il s'agisse d'une infection opportuniste à l'occasion de blessures ». Dans la grande majorité des cas (50/56 souches testées en PCR), cette bactérie était porteuse du gène de la toxine diphtérique (gène toxE), pouvant entraîner cette maladie lors de passage à l'humain, comme cela été décrit en France pour un cas fatal à partir d'un chat  en 2014 et en Allemagne pour un cas à partir d'un chien.  Dans le cas présent, 50 des 56 souches testées en PCR étaient positives pour le gène toxE.

Leptospires pathogènes

En 2019, une collaboration entre VetAgroSup Lyon, l'Entente de Lutte Interdépartementale contre les Zoonoses (ELIZ), l'Inra, la Fédération nationale de la chasse et le laboratoire départemental du Cher avait analysé les prélèvements provenant de cadavres de 3 738 animaux sauvages (28 espèces) tués à la chasse, tirés ou trouvés morts entre 2012 et 2015 dans 30 départements. Une fraction du tissu rénal a été broyée, l'ADN extrait et soumis à une PCR quantitative spécifique des leptospires pathogènes.  Ainsi, 3 738 animaux ont été prélevés (28 espèces) et soumis à PCR. Dans 206 cas, une leptospire pathogène a été identifiée par PCR et confirmée par séquençage des amplicons (cette fraction génomique est très spécifique de l'espèce). La prévalence la plus élevée a été observée chez les hérissons (37,5 %), avec un intervalle de confiance à 95 % de 28,5 à 45,1 %. Il s'agit presque exclusivement (41/42) du portage de L. Interrogans (un sujet avec L. borgpetersenii), en majorité du génotype Australis (confirmation de leur rôle de réservoir sauvage), ainsi que, pour certains, d'un nouveau génotype. Les auteurs ont calculé que les hérissons on 67 fois plus de risques d'être porteurs de leptospires que les lagomorphes. Ils estiment que ces résultats (avec les autres espèces sauvages trouvées positives) « mettent en avant l'importance de la surveillance des leptospires chez la faune sauvage autre que les rongeurs ».

N'oubliez pas les teignes…

Les hérissons représentent également un réservoir de dermatophytes, potentiellement zoonotiques. Cela vient d'être confirmé par deux microbiologistes et mycologues vétérinaire polonais, qui ont réalisé des prélèvements cutanés sur des hérissons “sauvages” vivant en milieu urbain dans leur pays (6 localités différentes), de mai à août, entre 2016 et 2020. Chaque animal, vu de nuit, était l'objet d'un examen clinique (recherche de lésions compatibles avec une dermatophytose) et d'un prélèvement cutané, avant d'être libéré (sans traitement). Un peu plus d'un hérisson sur cinq (34/148) présentait des telles lésions et tous ont alors fourni un résultat positif à la PCR spécifique de l'ensemble des dermatophytes. En culture, un tiers (30 %) étaient positifs pour Trichophyton erinacei, 18 % pour T. mentagrophytes, 14 % pour T. benhamiae et 42% porteurs d'espèces différentes, dont Microsporum canis (10,4 %). Et 45 % des hérissons asymptomatiques étaient aussi positifs en PCR. En culture, la proportion de porteurs était de 5 % positifs pour T. erinacei, 3 % pour T. mentagrophytes et pour T. benhamiae, et de 2 % pour M. canis. T. mentagrophytes et T. benhamiae peuvent passer à l'Homme et c'est la première détection de cette dernière espèce chez le hérisson. La présence de M. canis est attribuée au milieu urbain, également fréquenté par les chiens.

… ni les SARM

Plusieurs études avaient sporadiquement identifié un gène associé à la résistance à la méticilline chez les staphylocoques, mecC, chez le hérisson, en Autriche ou en Suède. Au Danemark, les SARM porteurs du gène mecC sont à l'origine de 2 à 3 % des infections humaines à SARM et sont également présents dans la filière porcine. C'est donc à cause des cochons que des microbiologistes vétérinaires se sont lancés à la recherche d'un réservoir sauvage des SARM mecC+, via un projet de sciences citoyennes sur 2016. Vingt-six centres de collecte ont été établis dans le pays et l'opération a été fortement médiatisée. Ils ont obtenu 697 cadavres de hérissons (et les informations sur le lieu de découverte, etc.), dont 188 ont été prélevés (écouvillonnage des narines. Le taux de portage nasal de SARM était de 61 % (114/188), dans tous les cas des mecC+. Aucun facteur de risque n'a été identifié, ni le sexe, ni la cause de la mort (y compris le fait d'être mort en centre de soins), ni la zone de collecte. Le fait que des hérissons vivant à l'état totalement sauvage (hors zones habitées) soient également positifs « fournit un élément de preuve supplémentaire sur le fait que cette espèce soit un réservoir de SARM mecC+ ».

A cause… de la teigne

Pour comprendre la raison de ce fort portage deSARM en l'absence de pression de sélection (les hérissons sauvages ne sont pas traités par les antibiotiques), des microbiologistes vétérinaires suédois ont supposé que les champignons capables de produire des pénicillines pouvaient comprendre des Trichophyton… Ils ont donc tenté demandé à deux centres de soins de la faune sauvage d'expédier à l'institut vétérinaire national les cadavres de hérissons morts de cause “naturelle” ou euthanasiés et n'ayant pas été traités par des antibiotiques (ni des antimycosiques). Deux des 23 hérissons obtenus entre juillet 2018 et octobre 2019 ont permis d'isoler Trichophyton erinacei (analyse génétique à l'appui). Les auteurs précisent que « des études antérieures ont démontré que cette espèce est largement répandue chez les hérissons, en particulier pendant les mois d'hiver », moins pendant la saison chaude. Le génome des deuxs souches a été séquencé : il comprend trois enzymes de la voie de synthèse des pénicillines. En chromatographie haute-performance couplée à la spectrographie de masse en tandem, les auteurs mettent en évidence la production de benzyl-pénicilline par l'une des souches (le pic était trop faible pour conclure pour la seconde souche, ce qui est attendu car la sécrétion d'antibiotiques est favorisée par un stress). Ainsi, il est logique de considérer que « T. erinacei influence la flore cutanée des hérissons en imposant une pression de sélection ou en travaillant en symbiose avec celle-ci », favorisant la sélection d'un gène de résistance (mecC) parmi les staphylocoques.

Au bilan, les gants et une hygiène stricte ne sont pas superflus lors de la manipulation des hérissons.