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21 avril 2021

Deux cliniques rachetées par IVC Evidensia sont radiées par l'Ordre. Le Conseil d'État devra trancher…

par Eric Vandaële

Temps de lecture  13 min

Répartition des cliniques IVC Evidensia en France
Le groupe IVC Evidensia comprend aujourd'hui environ 26 cliniques vétérinaires en France qui figurent sur cette carte. Dans le monde, IVC Evidensia compte 1524 cliniques qui emploient 6000 vétérinaires. Selon la presse financière, il est valorisé 12,3 milliards €, soit des ratios de 8 millions € par clinique ou de 2 millions € par diplôme vétérinaire. Source de la carte : https://evidensia.vet
Répartition des cliniques IVC Evidensia en France
Le groupe IVC Evidensia comprend aujourd'hui environ 26 cliniques vétérinaires en France qui figurent sur cette carte. Dans le monde, IVC Evidensia compte 1524 cliniques qui emploient 6000 vétérinaires. Selon la presse financière, il est valorisé 12,3 milliards €, soit des ratios de 8 millions € par clinique ou de 2 millions € par diplôme vétérinaire. Source de la carte : https://evidensia.vet
 

Et de cinq ! Le Conseil national de l'Ordre des vétérinaires vient de radier les deux premières cliniques rachetées par IVC Evidensia au nord de la France : la clinique de référés Oncovet à Villeneuve d'Ascq près de Lille (dont le rachat remonte à la fin de l'année 2018) et la clinique Opalvet sur la Côte d'Opale dans le Pas-de-Calais (rachetée en 2019).

Cela porte donc à cinq le nombre de sociétés vétérinaires des deux groupes IVC Evidensia ou AniCura radiées à la suite de leur rachat. En effet, trois sociétés d'exercice rachetées par AniCura en 2018 puis début 2019 ont vu leurs radiations confirmées par le Conseil national de l'Ordre des vétérinaires l'an dernier : le CHV Nord Vet à Lille, la clinique Saint-Roch de La Rochelle et la clinique de référés Zebrasoma à Strasbourg (voir LeFil du 2 septembre 2020). Les procès-verbaux des sessions du Conseil national de l'Ordre des vétérinaires qui ont confirmé ces radiations sont anonymisés. Mais les communications faites dans la presse ou à travers des recours au Conseil d'État ne laissent aucun doute sur l'identité des cliniques concernées par ces radiations. Pour plus de clarté, elles sont donc mentionnées en clair dans cette analyse. IVC Evidensia compte aujourd'hui 26 cliniques en France et AniCura neuf selon les sites Web de ces deux groupes.

Même si les montages juridiques sont différents entre les groupes AniCura et IVC Evidensia, l'Ordre des vétérinaires conclut dans les deux cas que les garanties d'indépendance professionnelle ne sont pas satisfaites en application de l'article L. 241-17 du code rural, l'article clef qui motive toutes ses radiations.

Les procédures sont longues et les recours pas encore terminés

Les radiations contre des vétérinaires ou contre leurs sociétés sont des décisions lourdes de conséquences qui ne se prennent pas à la légère. Avant de prendre des décisions aussi graves, les procédures sont nécessairement longues pour laisser le temps d'une remise en conformité après une mise en demeure. Rachetées en 2018 et en 2019, les deux cliniques Oncovet et Opalvet n'ont donc été radiées que plus d'un an après, en décembre 2020, par le Conseil régional de l'Ordre des Hauts de France après avoir épuisé les délais de mises en conformité. Un recours suspensif par les deux cliniques a donc été déposé devant le Conseil national de l'Ordre. Deux mois plus tard, l'Ordre national des vétérinaires vient de confirmer les radiations alors que Oncovet, Opalvet et IVC Evidensia auraient souhaité obtenir un délai plus long pour faire valoir leurs explications.

En théorie, Cette radiation devrait conduire à la fermeture des établissements dans un délai de deux mois après la notification. Dans une telle éventualité, les vétérinaires qui y exercent ne sont pas radiés du tableau et pourraient donc exercer dans une autre structure.

IVC Evidensia regrette « la stratégie d'obstacle systématique » de l'Ordre

Toutefois, les affaires ne sont pas encore finies. Car les sociétés radiées ont un délai de deux mois pour faire appel de ces décisions de radiation devant le Conseil d'État. Et le Conseil d'État mettra sans doute un ou deux ans avant de valider définitivement ces radiations ou, à l'inverse, de les annuler. Durant ce délai, les sociétés devraient pouvoir poursuivre normalement leurs activités vétérinaires.

Enfin, il ne peut pas être exclu que ces affaires soient aussi portées devant la Cour de justice de l'Union Européenne, ce qui rajouterait encore quelques mois ou années supplémentaires avant une conclusion définitive.

Le plus intéressant est surtout de retenir les motifs qui conduisent l'Ordre des vétérinaires à conclure que les garanties d'indépendance professionnelle ne sont pas satisfaites en application de l'article L. 241-17 du code rural. De son côté, IVC Evidensia regrette « la stratégie d'obstacle systématique » de l'Ordre national des vétérinaires contre l'entrée de capitaux non vétérinaires dans les sociétés d'exercice « au détriment des intérêts même des vétérinaires souhaitant s'adosser à des groupes » selon un communiqué du groupe daté du 19 avril (en téléchargement dans les références de ce Fil). Le groupe « envisage [même] de faire valoir ses droits pour obtenir réparation des préjudices subis, y compris en matière d'image, du fait des actions concertées de diverses ordinales ». En d'autres termes, IVC Evidensia menace le Conseil national de l'Ordre et les Conseils régionaux de poursuites civiles.

Nestlé renforce sa participation minoritaire dans IVC Evidensia

Le capital et les droits de vote des deux sociétés, la SAS Oncovet et la SA Opalvet, sont détenus à 50,2 % par deux ou trois vétérinaires associés et en exercice dans ces cliniques. 49,8 % sont donc détenus par IVC Evidensia France, filiale à 100 % d'un groupe dont la holding de tête est détenue, au moment de l'examen du dossier, par :

  • Nestlé à 20 % dont une des filiales est le fabricant de petfoods Nestlé Purina,
  • Des dirigeants ou des vétérinaires du groupe IVC Evidensia pour 11 %,
  • Un fonds d'investissement (EQT) pour 48 %,
  • Huit autres investisseurs (six financiers et deux fondations à but non lucratif) pour le reste soit 21 %.

Courant février, selon la presse financière, IVC Evidensia a levé 3,5 milliards d'euros pour financer sa croissance. Nestlé a ainsi augmenté sa participation minoritaire dans IVC Evidensia. Un nouveau fonds d'investissement américain fait son entrée dans ce tour de table : Silver Lake, une société américaine de Californie davantage spécialisé dans les nouvelles technologies. Ce nouvel investisseur minoritaire pourrait aider IVC Evidensia à accélérer sa croissance dans le « numérique » à travers la construction d'une plateforme grand public dédiée aux soins des animaux de compagnie. Avec cette levée de fonds, IVC Evidensia qui compte plus de 1500 cliniques dans 12 pays d'Europe et 6000 vétérinaires est valorisé 12,3 milliards € soit un ratio de 8 millions € par clinique ou encore de 2 millions € par vétérinaire.

Nestlé, investisseur interdit des cliniques vétérinaires

Selon l'article L. 241-17 du code rural (ce lien), les fournisseurs de produits ou de services utilisés pour l'exercice vétérinaire ne peuvent pas, directement ou indirectement, entrer dans le capital des sociétés d'exercice vétérinaire, même en restant minoritaires. Nestlé est donc, de ce fait, un actionnaire interdit dans le capital des sociétés d'exercice vétérinaires, même indirectement via sa participation minoritaire dans IVC Evidensia.

D'ailleurs, en 2019, au moment de l'entrée de Nestlé dans le capital d'IVC Evidensia, Nestlé Purina PetCare a indiqué son intention de vouloir ainsi « construire un écosystème » dans lequel les cliniques IVC Evidensia auront « accès à l'offre unique de produits Nestlé Purina et bénéficieront de son expertise en santé et nutrition des animaux de compagnie » (communiqué de presse du 8 avril 2019 sur ce lien).

En outre, le groupe Nestlé, comme les autres fabricants de petfoods, acquiert des produits animaux (viandes, abats). De ce fait, Neslté exerce une activité de « transformation des produits animaux ». Ce qui lui interdit aussi d'entrer dans le capital des sociétés d'exercice vétérinaire, même à 0,01 %.

C'est donc à ce double titre qu'il apparaît interdit à Nestlé de détenir, même indirectement via IVC Evidensia, une part du capital des sociétés d'exercice vétérinaire, même à 0,01 %. Dans son communiqué, IVC Evidensia conteste cette analyse. Car cela ne serait pas Nestlé qui commercialise des petfoods mais une de ses filiales, Nestlé Purina Petcare. Cette activité « animaux de compagnie » pèse pour 14 milliards de francs suisses dans le groupe Nestlé, soit 16,6 % de son chiffre d'affaires global.

IVC Evidensia, fournisseur de services via son GIE, est un actionnaire interdit

IVC Evidensia, via son GIE partenaire (Wivetix services), accompagne l'intégration des cliniques dans le groupe. Le directeur France d'IVC Evidensia est d'ailleurs aussi l'administrateur de ce GIE. Les sites web de présentation d'IVC Evidensia et du GIE Wivetix Services sont d'ailleurs les mêmes (voir ce lien). Ce GIE n'apparaît donc pas comme un fournisseur de services indépendant du groupe IVC Evidensia.

Ce GIE fournit aux cliniques IVC Evidensia des services RH, administratifs, financiers, de comptabilité, de trésorerie, de support juridique, marketing et communication etc.

Certains des services de ce GIE, partenaire d'IVC Evidensia, sont directement en lien avec l'exercice vétérinaire comme « la gestion des achats des médicaments, de consommables ou d'équipements ».

Dans la mesure où ces services fournis par ce GIE « relèvent bien de l'exercice vétérinaire en imposant indirectement un circuit d'approvisionnement pour les sociétés vétérinaires du groupe IVC Evidensia », le Conseil national de l'Ordre des vétérinaires considère IVC Evidensia comme un fournisseur de produits et de services. Cela lui interdit, à ce titre, toute entrée dans le capital d'une société d'exercice vétérinaire, même minoritaire à 0,01 %. En outre, les sociétés d'exercice vétérinaire n'ont pas la possibilité de se retirer de ce GIE sans le feu vert d'IVC Evidensia, via le comité de surveillance, qui est décrit ci-dessous.

Perte du contrôle effectif par les vétérinaires de « leurs » sociétés

Le plus intéressant est sans doute l'argumentaire de l'Ordre sur la perte du contrôle effectif de leurs sociétés d'exercice par les vétérinaires majoritaires. Les règles de détention majoritaire du capital et des droits de vote par les vétérinaires en exercice dans la société avec une direction assurée par un vétérinaire inscrit à l'Ordre sont « en apparence respectées ». Le président est un vétérinaire inscrit au tableau de l'Ordre et les vétérinaires associés sont majoritaires en capital et en droits de vote dans les sociétés comme le prévoit l'article L. 241-17. Mais, pour l'Ordre des vétérinaires, « le choix de placer des représentants d'IVC Evidensia, aux postes clefs des organes décisionnels des sociétés [et aussi la majorité obligatoire fixée aux deux tiers en Assemblée générale] aboutit in fine à détourner les objectifs même de ces obligations légales qui sont de préserver l'indépendance des vétérinaires exerçant en son sein ».

La majorité obligatoire des deux tiers en assemblée générale

Ainsi, l'assemblée générale des actionnaires d'Oncovet ou d'Opalvet prend ces décisions à la majorité des deux tiers. Cela prive évidemment les vétérinaires majoritaires à 50,2 % de prendre seuls une décision qui serait contraire aux intérêts d'IVC Evidensia.

Dans les deux cliniques, il est institué un comité de surveillance composé, selon l'Ordre des vétérinaires, de trois membres dont deux sont proposés par l'actionnaire minoritaire IVC Evidensia et un seul par les vétérinaires associés majoritaires. IVC Evidensia est donc majoritaire dans ce comité avec deux membres sur trois.

Les décisions importantes soumises à l'Assemblée générale des actionnaires, comme le retrait du GIE partenaire (Wivetix par exemple) ou l'embauche d'un salarié, doivent obtenir une autorisation préalable d'un comité de surveillance dont deux des trois membres sont des représentants d'IVC Evidensia. En d'autres termes, rien d'important ne peut être décidé sans le feu vert de l'actionnaire minoritaire IVC Evidensia.

Un seul vétérinaire salarié d'IVC Evidensia dirige toutes les cliniques

Ce comité de surveillance, contrôlé par IVC Evidensia, nomme et révoque le président de ces sociétés d'exercice. Selon l'article L. 241-17, ce dirigeant doit être « un vétérinaire en exercice », pas nécessairement en exercice dans la société qu'il dirige.

L'Ordre des vétérinaires constate qu'un seul vétérinaire, « certes inscrit à l'Ordre », est, tout à la fois,

  • Un dirigeant d'IVC Evidensia en France et donc salarié de ce groupe,
  • Le président d'Opalvet, d'Oncovet et aussi des autres sociétés d'exercice vétérinaires du groupe IVC Evidensia en France (soit 26 au total),
  • Et, aussi, l'administrateur du GIE partenaire d'IVC Evidensia, Wivetix services.

Ce cumul des fonctions n'est pas interdit par l'article L. 241-17 qui exige seulement que le président d'une société d'exercice, son principal dirigeant, soit un vétérinaire lui-même « en exercice ».

Pour l'Ordre des vétérinaires, ce vétérinaire dirigeant devrait être « garant de l'indépendance [de ces confrères] exerçant dans la structure ». Il ne devrait donc pas :

  • « Avoir à demander l'autorisation préalable d'un comité de surveillance [contrôlée par l'actionnaire minoritaire] avant de prendre toute décision relevant de ses prérogatives »,
  • « Pouvoir être révoqué à tout moment par ce comité »,
  • Et, le plus important peut-être pour les vétérinaires en exercice dans ces cliniques, « être susceptible de défendre des intérêts différents de ceux de ces vétérinaires, en l'occurrence les intérêts d'IVC Evidensia au sein de laquelle il occupe des fonctions managériales et qui le rémunère à ce titre ».

IVC Evidensia estime, à l'inverse, que les règles de détention du capital et des droits de vote prévues à l'article L. 214-17 sont bien respectées avec la participation majoritaire à 50,2 % des vétérinaires associés. Et que cet article n'exige pas que les vétérinaires aient seuls le pouvoir décisionnel. Pour IVC Evidensia, l'Ordre des vétérinaires ajoute aux règles légales une condition qui n'est pas prévue par la loi. Et il souligne aussi qu'aucun fait concret portant atteinte à l'indépendance des vétérinaires n'a été relevé.

99 % des bénéfices pour IVC Evidensia, 1 % pour les vétérinaires

Avec 49,8 % du capital, IVC Evidensia reçoit 99 % des bénéfices de la société. Les vétérinaires avec 50,2 % du capital n'ont donc droit qu'à 1 % des bénéfices. L'Ordre des vétérinaires ne conteste pas la validité juridique de cette répartition. Mais, là aussi, estime que « le versement de la quasi-totalité des bénéfices à l'actionnaire pourtant minoritaire tend à prouver la perte de pouvoir des vétérinaires [actionnaires majoritaires] sur la gestion de leurs sociétés ».

Pour IVC Evidensia, cette répartition des bénéfices est justifiée par le fait que « sa prise de participation minoritaire à 49,8 % a été réalisée sur la base d'une valorisation à 100 % de la valeur de la société [Oncovet] ». Il n'est évidemment pas illogique que l'actionnaire minoritaire cherche à contrôler une société dont il a racheté un peu moins de la moitié des parts à un prix équivalent à la totalité des parts.

Est-il urgent d'attendre ou de vendre sa clinique ?

Risquons un commentaire plus personnel en conclusion de ce Fil. Qui a raison ? Personne ne peut évidemment aujourd'hui prétendre connaître la décision finale du Conseil d'État qui fera jurisprudence, ni a fortiori celle de la Cour de justice de l'Union européenne si elle était saisie. Il faut donc prendre patience et… attendre sans doute encore plusieurs mois, voire davantage. D'ici là, il est très probable que d'autres sociétés d'exercice rachetées en 2019 et 2020 sur des modèles similaires à ceux d'IVC Evidensia ou AniCura continueront à être radiées. La polémique ne fera donc qu'enfler entre les « pour » et les « contre », le tout devant un parterre de dubitatifs.

Mais, pendant ce temps, est-il urgent d'attendre ou de vendre sa clinique ? Pour assurer la pérennité sur le long terme des cliniques vétérinaires, il serait évidemment plus logique d'attendre la conclusion afin d'éviter de se lancer dans une aventure aux conclusions incertaines. Mais, reconnaissons aujourd'hui que le risque que les cliniques soient radiées est, semble-t-il, davantage supporté par les acheteurs que par les vendeurs. Chacun en est désormais assez bien informé.