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2 septembre 2020

Un CHV et une clinique d'un même réseau radiés par l'Ordre pour non-respect des règles sur l'actionnariat

par Eric Vandaële

Temps de lecture  8 min

Depuis longtemps, l'Ordre des vétérinaires communique sur le risque de radiation des sociétés vétérinaires rachetées par des réseaux si les règles d'indépendance dans la détention du capital ne sont plus respectées. Mais un dernier recours devant le Conseil d'État devrait permettre d'éviter la fermeture des deux structures radiées.
Depuis longtemps, l'Ordre des vétérinaires communique sur le risque de radiation des sociétés vétérinaires rachetées par des réseaux si les règles d'indépendance dans la détention du capital ne sont plus respectées. Mais un dernier recours devant le Conseil d'État devrait permettre d'éviter la fermeture des deux structures radiées.
 

Et paf ! C'est la radiation ! Les deux premières sociétés vétérinaires rachetées en 2018 par un grand réseau de cliniques vétérinaires, un CHV (centre hospitalier vétérinaire) des Hauts-de-France et une clinique de la Nouvelle-Aquitaine, viennent d'être radiées cet été par le Conseil national de l'Ordre des vétérinaires pour non-conformité de leur nouvel actionnariat aux règles d'indépendance professionnelle codifiées à l'article L. 241-17 du code rural.

À notre connaissance, ce sont les premières radiations prononcées par le Conseil national de l'Ordre depuis 2018 et l'arrivée dans l'hexagone de deux grands réseaux de cliniques vétérinaires d'Europe du Nord, IVC Evidensia (racheté en 2019 par Nestlé Purina) et AniCura (racheté en 2018 par le groupe Mars). Ce CHV et cette clinique sont d'ailleurs aussi parmi les premiers à avoir choisi de rejoindre dès 2018 l'un de ces réseaux. Les procédures de radiation ne sont (heureusement !) pas rapides et laissent du temps — plusieurs mois à chaque étape — pour se remettre en conformité. Car les décisions de radiation ne sont évidemment jamais prises dans la joie et la bonne humeur.

Un recours possible, voire probable, auprès du Conseil d'État

Les deux sociétés avaient déjà été radiées en décembre 2019 par les Conseils régionaux de l'Ordre des Hauts de France pour le CHV et de la Nouvelle-Aquitaine pour la clinique après l'épuisement des délais de mises en conformité. Un recours suspensif avait donc été déposé devant le Conseil national de l'Ordre ce qui a permis d'éviter la fermeture de ces structures. Ce délai de quelques mois supplémentaires a d'ailleurs été mis à profit pour amender les statuts et les documents annexes. C'est donc sur une version corrigée en juin 2020 que la dernière session du Conseil national de l'Ordre de juin et de juillet a néanmoins confirmé les deux radiations.

La radiation devrait conduire à la fermeture des établissements dans un délai de deux mois après la notification. Les vétérinaires qui y exercent ne sont pas radiés et peuvent exercer dans une autre structure dans une telle éventualité.

Toutefois, les affaires ne sont probablement pas encore finies. Car les sociétés radiées ont un délai de deux mois pour faire appel de ces décisions de radiation devant le Conseil d'État. Et, si un tel recours est déposé — ce qui est probable —, le Conseil d'État mettra sans doute entre un et deux ans avant de valider définitivement ces radiations ou, à l'inverse, les annuler. Durant ce nouveau délai, les sociétés devraient pouvoir poursuivre normalement leurs activités vétérinaires.

L'Ordre avertit depuis plusieurs mois

Cela fait environ un an que l'Ordre des vétérinaires avertit régulièrement les confrères du risque de radiation de leurs sociétés en cas de non-conformité de leur nouvel actionnariat (voir les Fils du 17 décembre 2019 et 17 février 2020).

En outre, ces deux radiations qui interviennent après des rachats annoncés en 2018 ne préjugent pas de la conformité (ou non) des autres sociétés d'exercice vétérinaire appartenant à des réseaux de ce type. D'autres procédures sont en cours sur des intégrations plus récentes.

Dans tous les cas, un changement d'actionnaires ou des statuts doit être communiqué au Conseil régional de l'Ordre pour vérifier sa conformité aux règles d'indépendance professionnelle.

Dans sa dernière revue d'août 2020 (n° 74), l'Ordre national des vétérinaires signale ces deux premières radiations sans toutefois nommer les sociétés radiées ni les vétérinaires concernés. Pour respecter cet anonymat, ce Fil ne les nomme pas non plus, même si ces structures sont réputées et bien connues au niveau régional, voire national. Le plus intéressant n'est d'ailleurs pas de les nommer mais d'analyser les trois motifs qui conduisent l'Ordre des vétérinaires à conclure que les garanties d'indépendance professionnelle ne sont pas satisfaites en application de l'article L. 241-17 du code rural (voir ce lien).

Perte du contrôle effectif par les vétérinaires de leur société

Le premier motif de radiation est la perte du contrôle effectif de la société par les vétérinaires. Pourtant, les vétérinaires associés dans le CHV mis en cause détiennent la majorité — 50,01 % — du capital et des droits de vote. Le réseau n'en détient que 49,99 %. Et le président du conseil d'administration du CHV est l'un des vétérinaires associés et en exercice dans ce CHV, celui qui, probablement, détient le plus de parts dans sa société. L'Ordre indique donc que, « en apparence, les règles sont respectées ». Mais le montage est complexe. Et les nombreuses dispositions, conventions, pacte d'actionnaires… « conduisent par leur conjonction, en réalité, à priver, les vétérinaires associés et apparemment majoritaires de la possibilité de prendre les décisions essentielles à la gestion de leur société » argumente le Conseil national de l'Ordre des vétérinaires.

L'infime majorité de 0,01 % est « artificielle »

L'Ordre souligne que cette infime majorité de 0,01 % est « artificielle ». Car le réseau, actionnaire minoritaire à 49,99 % peut prendre, à tout moment, le contrôle de la majorité du capital et des droits de vote sans que les vétérinaires associés, pourtant majoritaires, puissent, semble-t-il, l'empêcher.

  • Quatre des cinq vétérinaires associés et en exercice dans le CHV ne sont détenteurs que d'une seule action. Et cette unique action leur a été « prêtée » par le réseau. Cet actionnaire minoritaire à 49,99 % pourrait, semble-t-il à tout moment, en demander sa restitution.
  • Le cinquième vétérinaire associé et en exercice dans le CHV semble détenir une quantité d'actions plus élevée. Il a d'ailleurs été désigné comme le P.-D.G. de la société. Mais ce vétérinaire a signé une promesse unilatérale de vente de ces actions au réseau à un prix convenu d'avance de 0,31 € par action. Cette promesse de vente étant valable vingt ans, le réseau peut, à tout moment, décider de racheter ces actions sans que le vétérinaire puisse s'y opposer.
  • Enfin, le réseau dispose aussi d'un droit de préemption sur les éventuelles cessions d'actions détenues par les vétérinaires.

Pour l'Ordre, ce réseau, bien qu'actionnaire minoritaire à 49,99 %, « contrôle la répartition des actions sans que les vétérinaires n'aient un quelconque pouvoir sur l'acquisition et la cession des actions de leurs sociétés ».

Le réseau, avec 49,99 % des actions, récupère 99 % des bénéfices

Le Conseil de l'Ordre conteste d'autres dispositions qui contribuent à la perte du contrôle du CHV par les vétérinaires.

  • Dans les assemblées générales des actionnaires, le quorum a été fixé à 51 %. Les vétérinaires associés étant majoritaires à seulement 50,01 %, ils ne pourront pas atteindre ce quorum sans la présence de l'actionnaire minoritaire.
  • L'Ordre observe aussi que le vétérinaire, président du Conseil d'administration (et directeur général du CHV) « semble être placé sous une forme de tutelle » du réseau. Car il peut être révoqué à tout moment et sans motif par les représentants du réseau qui sont majoritaires dans le Conseil d'administration.
  • Bien que disposant de 49,99 % du capital, le réseau récupère la quasi-totalité (99 %) des bénéfices du CHV. Les vétérinaires avec 50,01 % du capital n'ont donc droit qu'à 1 % des bénéfices. Le Conseil de l'Ordre ne conteste pas le principe d'une répartition inégale du bénéfice et l'a déjà accepté dans un dossier précédent (en mars 2017 pour la société CerbaVet). Mais le Conseil souligne que cette répartition est ici tellement extrême, « quasi-léonine », qu'elle « concourt à démontrer l'influence exercée par l'actionnaire minoritaire qui détient la quasi-totalité des droits financiers ».
  • D'ailleurs, à travers un « pacte d'actionnaires signé le 9 juin 2020 », tous les actionnaires ont pris l'engagement exprès de voter en assemblée générale en faveur de toute proposition d'affectation du bénéfice à, au minimum, 1,5 % du chiffre d'affaires (sous réserve de la réalisation des investissements). En d'autres termes, le pacte d'actionnaires garantit au réseau un bénéfice qui ne pourra pas être inférieur à 1,485 % du chiffre d'affaires annuel.

Les fournisseurs et les clients interdits au capital des cliniques vétos

Les deux autres motifs de radiation sont beaucoup plus simples à analyser. Certains types d'actionnaires sont interdits même s'ils sont très minoritaires du fait d'un risque de conflit d'intérêts. L'article L. 241-17 interdit :

  • Aux fournisseurs de produits ou de services aux vétérinaires,
  • Ainsi qu'aux éleveurs, animaleries, organisations de producteurs, ou aux industriels ayant une activité de transformation des produits animaux (laiteries, fabricants d'aliments à base de produits animaux…),
  • De rentrer dans le capital des sociétés d'exercice vétérinaires, même s'ils sont minoritaires à 0,01 %.

Dans ces statuts, le réseau indique qu'il fournit des services et des produits de soins dans le domaine vétérinaire. En outre, le réseau appartient à un groupe dont une de ses activités est de commercialiser des petfoods dans le circuit vétérinaire. Il apparaît donc, que, à la fois par sa propre activité et par son appartenance à un fabricant de petfoods, le réseau ne peut pas entrer dans le capital des sociétés d'exercice vétérinaire, même à 0,01 %.

Le troisième motif de radiation est, à vrai dire, plus inattendu. Les fabricants de petfoods sont aussi considérés comme des « opérateurs de la transformation de produits animaux (viandes, abats…) ». À ce titre, du fait d'un risque de conflits d'intérêts, le même article L. 241-17 interdit aussi à ce type d'opérateur de rentrer dans le capital des sociétés d'exercice vétérinaire, même à 0,01 %, comme il l'interdit aux éleveurs, aux organisations de producteurs, aux laiteries, aux animaleries ou aux marchands de bestiaux…