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21 janvier 2021

Ils aiment l'herbe aux chats car cela les protège… des moustiques !

par Vincent Dedet

Temps de lecture  6 min

Chat rendu euphorique par les iridoïdes de l'herbe aux chats orientale, et non à l'idée de ne pas être piqué par les moustiques… (cliché : Masao Miyazaki & Reiko Uenoyama).
Chat rendu euphorique par les iridoïdes de l'herbe aux chats orientale, et non à l'idée de ne pas être piqué par les moustiques… (cliché : Masao Miyazaki & Reiko Uenoyama).
 

L'herbe aux chats orientale (matatabi en japonais, une liane japonaise proche du kiwi - Actinidia polygama) ferait office de moustiquaire chimique pour nos félins de compagnie. Telle est la conclusion d'une étude réalisée par des biologistes, chimistes et vétérinaires britanniques et japonais, et publiée ce 20 janvier.

Un composé raté

Cette plante est différente de l'herbe aux chats d'Europe (cataire, ou chataire, ou menthe des chats - Nepeta cataria), dont le principe actif (sur les félins) a été identifié il y a trois ans comme la népétalactone. Jusqu'à présent, la matatabi était considérée comme produisant plusieurs substances actives : l'isoiridomyrmécine, l'iridomyrmécin, l'isodihydronépétalactone et la dihydronépétalactone. Les auteurs ont purifié des extraits de matatabi et imprégné du papier filtre en quantités et format standardisés, pour comparer la réponse comportementale des chats. Le composé qui provoque le plus fortement cette réponse est nouveau pour la chimie, « raté jusque-là » : le népétalactol. Il a une structure très proche du principe actif de la cataire (le cis trans népétalactone, voir le schéma ci-dessous). Ils attribuent cette découverte à la méthode d'extraction utilisée (pour la première fois, une extraction avec solvants organiques a été utilisée).

Structure chimique des deux composés (alcaloïdes irodoïdes) actifs des herbes aux chats orientale (à gauche) et européenne (Uenoyama et coll., 2021).

 

Du chat au tigre

Les auteurs ont alors synthétisé le népétalactol, et l'ont utilisé dans leurs essais ultérieurs (50 µg déposés sur le papier filtre). Présenté à 15 chats connus pour répondre à la matatabi, il a provoqué le même comportement, avec un désintérêt après 10 minutes (comme pour la plante) alors que du papier filtre témoin (imprégné d'un solvant) n'a provoqué qu'une réaction brève (p=0,0003). Ils ont reproduit l'expérience (imbiber un papier filtre de la substance ou d'un solvant et les déposer auprès d'un félin), avec le même succès sur :

  • 30 chats d'un refuge, en leur laissant le choix des deux papiers filtres ; le comportement de frottement de tête et d'euphorie a été observé sur 15 d'entre eux – qui ont choisi le népétalactol (p=0,0001), les 13 autres ne s'intéressant à aucun des deux papiers filtres ;
  • mais aussi des félins sauvages en captivité dans des zoos japonais (2 lynx d'Europe, 2 jaguars et 1 tigre de l'Amour…). Eux aussi ont présenté un comportement de frottement facial et roulades, prolongé pour le papier contenant le népétalactol par rapport au témoin (p =0,031) ;
  • enfin, ils ont testé le composé sur des chiens et des souris de laboratoire, sans aucun effet sur ceux-là.

Les endorphines

Ensuite, les auteurs ont recherché le mode d'action du népétalactol. Supposant, du fait de l'état d'euphorie des chats, que la voie µ des opioïdes pouvait être activée (responsable du plaisir et de la récompense chez l'Homme), ils ont dosé la ß-endorphine dans le plasma de cinq chats 5 minutes avant, et après exposition au papier filtre imbibé de 200 µg de népétalactol ou d'une substance témoin. Sans réelle surprise, la concentration en ß-endorphines était très significativement augmentée après exposition au premier (p=0,034). En administrant à 6 chats du soluté physiologique avant l'expérience, ils ont la réponse comportementale attendue lors de l'exposition au népétalactol. Le lendemain, les mêmes chats se voient administrer de la naloxone (antagoniste des récepteurs aux µ-opioïdes) avant l'exposition au népétalactol; celle-ci n'est plus suivie d'effet (p=0,031). Des vidéos de ces expériences sont en libre accès. Ils confirment ainsi l'activation de la voie des µ-opioïdes par l'herbe aux chats.

Et les moustiques ?

Mais ils ne se sont pas arrêtés en si bon chemin, et se sont interrogés sur l'avantage sélectif que pourrait fournir une telle association entre une plante et un félin, alors que les autres carnivores ne sont pas concernés. La népétalactone de l'herbe à chats européens est réputée répulsive pour les moustiques. Les auteurs ont donc testé l'effet répulsif du népétalactol sur le moustique vecteur de la fièvre jaune, Aedes albopictus. L'espèce étant un vecteur de maladies virales, elle est élevée en laboratoire. Dans des cages spécifiques contenant 5 moustiques, les auteurs ont déposé soit 5 feuilles de matatabi (contenant environ 100 µg de népétalactol), soit du papier buvard imprégné de 50, 200 ou 2 000 µg de népétalactol de synthèse, soit un autre solvant (témoin). Les moustiques évitaient nettement plus souvent de se poser sur les premiers, par rapport aux témoins (p<0,0001).

Transfert facial faible…

Pour aller au bout de leur hypothèse, ils ont alors recherché si le comportement de frottement facial et de roulade qu'expriment les chats répondeurs à l'herbe aux chats aboutissait au transfert de népétalactol sur leur fourrure. Pour cela, ils ont placé les papiers filtres imprégnés (de népétalactol ou de solvant témoin) sur les parois mais pas sur le sol des cages. Ils observent un comportement de frottement facial nettement plus fréquent sur les premiers papiers (p=0,008) et lorsqu'ils placent les papiers imprégnés au plafond de la cage (jusque 1,16 m de haut), les chats se dressent sur leurs postérieurs pour pouvoir toujours s'y frotter. En revanche, il n'y a plus de comportement de roulade. Les auteurs en concluent que « le comportement de frottement est spécifiquement dirigé vers le népétalactol ». Ils ont essayé de quantifier le transfert sur la fourrure des chats, en les frottant à l'aide d'un coton imprégné de solvant alcoolique, mais n'ont pas pu mettre en évidence de népétalactol. Les auteurs ont alors utilisé des chifonnettes, avec lesquelles ils ont frotté la tête de chats s'étant eux-mêmes frottés à un papier imprégné de népétalactol, ou d'un solvant témoin, puis ont “offert” ces chifonnettes à d'autres chats, lesquels « ne se sont frottés qu'aux chifonnettes » issues du contact avec le népétalactol (p=0,034). Au final, le transfert de népétalactol a bien eu lieu sur la fourrure de la tête des chats, mais pour « moins de 1 % du composé ». Dans les conditions réelles, c'est le comportement de roulade qui étend le transfert du composé depuis la plante au reste du corps de l'animal…

… mais répulsif !

Pour achever leur démonstration, les auteurs ont anesthésié trois paires de chats. Dans chaque paire, la tête d'un chat était imprégnée de népétalactol (500 µg) tandis que celle de l'autre l'était par le solvant témoin. Puis, la cage à moustiques était ajourée à ses deux extrémités et la tête de chaque chat endormi introduite de chaque côté de la cage. Le nombre de moustiques posés sur chaque tête était comptabilisé… Il était deux fois moindre pour les chats à népétalactol (p=0,033). Les auteurs ont recommencé l'expérience, cette fois avec des chats exposés à la plante elle-même : là encore, les moustiques se posent préférentiellement sur la tête des chats exposés à une plante ‘inerte' (p=0,019). « Ce qui fournit une preuve convaincante que le comportement caractéristique de frottement et roulade en réponse à l'herbe aux chats transfère sur la fourrure des chats des composés chimiques de la plante ayant une activité répulsive sur les moustiques ». Quant à la nature de cet avantage sélectif, il est probablement à rechercher du côté des maladies vectorielles, présentes ou passées…