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30 mai 2015

Hyperthyroïdie féline : retour de (retardateurs de) flamme

par Vincent Dedet

Les chats, du fait de leur comportement de léchage, sont particulièrement exposés à certains composés utilisés comme retardateurs de flamme. L'incorporation des retardateurs de flammes aux matériaux de construction, tissus, moquettes… est réglementée, mais certains “fuient” et s'accumulent dans les poussières. Le léchage faisant ingérer ces poussières, les concentrations sanguines chez les chats sont supérieures à celles chez l'Homme (cliché V. Dedet).

Une étude suédoise a comparé les concentrations sériques en composés retardateurs de flamme dans le sang de chats hyperthyroïdiens ou non. Les niveaux sont très significativement plus élevés chez les chats hyperthydoïdiens, et certains de ces composés ont une toxicité connue pour la thyroïde.

 
Les chats, du fait de leur comportement de léchage, sont particulièrement exposés à certains composés utilisés comme retardateurs de flamme. L'incorporation des retardateurs de flammes aux matériaux de construction, tissus, moquettes… est réglementée, mais certains “fuient” et s'accumulent dans les poussières. Le léchage faisant ingérer ces poussières, les concentrations sanguines chez les chats sont supérieures à celles chez l'Homme (cliché V. Dedet).
 

Pour expliquer l’origine de l’hyperthyroïdie féline à un propriétaire de chat âgé, deux solutions se présentent aujourd’hui : soit lui parler de diphényl-éther polybrominés (PBDE), soit de produits « retardateurs de flamme ». La seconde option est plus simple, bien que moins précise, et synonyme de la première. Cette “piste” est apparue en Californie en 2007 et vient d’être confirmée par des travaux suédois.

Ions Brome

Comme leur nom l’indique, les retardateurs de flamme sont des composés destinés à retarder la combustion de produits inflammables ; ils sont apparus au début des années 1970 dans les matériels de construction et d’ornement. En particulier dans les tissus, moquettes et tapis industriels. Comme cette dénomination ne l’indique pas, ce sont des composés issus de synthèse organique appartenant au groupe des diphényl-éthers polybrominés (5, 8 ou 10 ions brome, les PBDE).

Les PBB…

Les premiers retardateurs de flamme apparus sur le marché, en 1970, étaient les biphényls polybrominés (PBB), qui ont été retirés du marché entre 1974 et 1979 aux USA du fait de leur toxicité, en particulier sur la thyroïde. L’Europe, et en particulier la France ont été plus lentes à réagir et le dernier site de production du dernier de ces PBB a cessé son activité en 2000 (il était localisé en France). Ils étaient majoritairement inclus dans les thermoplastiques pour le matériel de construction et de bureau.

… et les PBDE

D’autres PBDE se sont aussi révélés toxiques : le pentaBDE et l’octaBDE ont été interdits dans l’UE en 2004 et ont fait l’objet d’un retrait volontaire aux USA la même année. Le decaBDE a commencé à être abandonné aux USA fin 2013. D’autres composés de substitution sont depuis apparus sur le marché des retardateurs de flamme. PBB et PBDE sont lipophiles et “fuitent” des composés qui les contiennent. Il est acquis que, dans l’environnement domestique humain, ils s’accumulent dans les poussières. « Les chats, par leur comportement de léchage, sont particulièrement exposés aux composés chimiques présents dans la poussière de [cet] environnement », par ingestion de ces poussières.

55 fois plus que l’Homme

À ce titre, le chat serait donc une bonne sentinelle de l’exposition humaine à ces composés. Une équipe de cliniciens vétérinaires et de toxicologues suédois a donc dosé 8 congénères de PBDE et 3 de leurs métabolites phénolés dans le sérum de 82 chats. Cet échantillon comprenait 23 chats sans pathologie thyroïdienne (« euthyroïdiens ») et 37 souffrant d’hyperthyroïdie avérée. Les autres proviennent de chats qui ont été diagnostiqués hyperthyroïdiens mais dont le suivi médical a permis de faire revenir les valeurs de T4 libre à la normale. Pour l’ensemble de l’échantillon, et selon les congénères de PBDE, les concentrations sériques mesurées étaient entre 5 fois et 55 fois plus élevées que chez les Suédois (humains), confirmant que les chats sont plus exposés que l'Homme.

Significativité élevée

Dans le reste de l’étude, seuls les chats euthyroïdiens et hyperthyroïdiens (non équilibrés) ont été comparés. Pour quatre des congénères de PBDE analysés, la concentration sérique était supérieure chez les chats hyperthyroïdiens par rapport aux autres, même en corrigeant pour l’âge (plus l’animal et vieux et plus il a été exposé au cours de sa vie). Cette différence était hautement significative, la valeur de p allant de 0,01 à 0,0007 selon les congénères. Ce qui fait sens, pour les auteurs, c’est que trois de ces quatre congénères sont connus pour s’accumuler dans les poussières de maisons (pour les férus de toxicologie, ce sont les BDE-99, BDE-153 et BDE-183).

Un « mystère »

Ils observent aussi qu’un congénère particulier, BB-209, est présent d'une part chez tous les chats de l'étude, et d'autre part, en concentration relativement élevée (médiane à 55 pmol/g de graisse). Pourtant, les prélèvements ont été effectués en 2010 et que ce composé n’est plus utilisé depuis 2000 en Europe. Il ne s’agit pas d’un congénère s’accumulant dans les poussières, et donc trouver son origine chez les chats mériterait d'être identifiée. Ne serait-ce que pour lever ce « mystère ».

Pas de lien de causalité

Les auteurs préviennent qu’un niveau d’association élevé est un critère de suspicion important, mais pas une démonstration de causalité. « Mais il ne peut être exclu que cette association représente un facteur contribuant au déclenchement de l’hyperthyroïdisme félin ». Ils retiennent deux arguments supplémentaires à l'appui de cette suspicion: la chronologie (description de l'hyperthyroïdie féline postérieure à l'apparition des retardateurs de flamme et augmentation de sa fréquence depuis) et toxicité pour la thyroïde de certains de ces congénères.

Ils confirment ainsi des travaux américains publiés dès 2007, dans lesquels, probablement en raison du faible nombre d’animaux inclus, seule une tendance avait été détectée (concentration totale en PBDE numériquement supérieure chez les chats hyperthyroïdiens). Ces auteurs concluaient déjà que « les chats peuvent servir de sentinelle pour mieux évaluer l’exposition humaine chronique aux PBDE et ses effets sanitaires ».