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28 octobre 2020

Le furet, sensible au SARS-CoV-2 et capable de le transmettre par voie aérienne. Pourtant, pas de cas

par Vincent Dedet

Temps de lecture  7 min

S'il n'y a pas encore de cas d'infection de furets de compagnie par le SARS-CoV-2 de décrits, alors que le virus se complait dans la filière visons, c'est possiblement en lien avec une barrière d'espèce entre l'Homme et le furet plus importante que ce que les études in silico avaient laissé penser (cliché : KoS, wikimedia).
S'il n'y a pas encore de cas d'infection de furets de compagnie par le SARS-CoV-2 de décrits, alors que le virus se complait dans la filière visons, c'est possiblement en lien avec une barrière d'espèce entre l'Homme et le furet plus importante que ce que les études in silico avaient laissé penser (cliché : KoS, wikimedia).
 

A date, aucun cas d'infection naturelle (au sens “non expérimentale”) de furet (Mustela putorius furo) de compagnie par le SARS-CoV-2 n'a été signalée. Pour autant, cette espèce de NAC, également animal de laboratoire en particulier pour l'étude de la grippe, est réceptive. Proche parent du vison élevé pour sa fourrure (Neovison vison) et dont des élevages néerlandais, danois et étasuniens ont déclaré des cas d'infection, le furet reste pour le moment indemne. Une seule étude a été réalisée en conditions d'exposition naturelle (maîtres infectés), qui n'a pas identifié de transmission à cet animal. En revanche, plusieurs publications – y compris française – documentent sa réceptivité et sa capacité à transmettre le virus à des congénères à plus de 1 m de distance.

Home, sweet home

La publication n'indique pas s'il s'agit d'une maison bleue en haut d'une colline, mais à proximité de Boston (USA) y vivent deux humains et « 29 furets en liberté » dans la bâtisse. Le premier humain a présenté des signes cliniques de Covid-19 (fièvre et fatigue) « du 25 mars au 6 avril », l'autre « du 28 mars au 13 avril » (maux de gorge, anosmie, migraine, fatigue). Le premier n'a pas été testé mais le second a fourni une PCR nasale positive le 1er avril. « Tous deux prenaient soin des furets pendant toute cette période » ; il y avait 21 femelles et 8 mâles, âgés de 8 mois à 7,5 ans. A l'isolement du couple à domicile, les chercheurs de la faculté vétérinaire Cummings de la Tufts University (Grafton) ont lancé un programme de prélèvements (écouvillons oraux réalisés par les propriétaires) sur les furets (premier prélèvement le 10 avril).  Les résultats figurent dans un manuscrit placé en libre accès sur bioRXiv le 22 août (14 p.), et pas encore publié sous forme de publication scientifique complète. Quatre à 5 furets étaient prélevés tous les deux jours, de manière à ce que la totalité de l'effectif le soit entre le 10 et le 22 avril. Deux furets sont décédés sur la période, et tous deux avaient été prélevés 2 et 4 jours auparavant, respectivement. Un seul avait été prélevé à deux reprises (les 10 et 12 avril) ; l'un a été euthanasié au terme d'une maladie chronique et l'autre d'une cause inconnue.

Zéro positif

Aucun écouvillon n'a été trouvé positif en RT-PCR quantitative (mais le témoin négatif était bien amplifié), bien que les propriétaires n'aient pas modifié leur manière de prendre soin des furets sur la période de l'étude. Les auteurs ont également utilisé un test de détection des IgG salivaires pour évaluer les prélèvements : 22 furets présentaient bien des IgG, mais aucune n'était spécifique de la zone RBD (spécifique) du SARS-CoV-2. « Il n'y a donc aucun élément en faveur de l'infection virale des furets, ni de leur séroconversion ». Il manque toutefois l'autopsie des deux furets morts (en particulier du second, décédé brutalement le 20 avril, 4 jours après avoir été prélevé - et trouvé négatif). D'autant que dans la plupart des cas, un seul prélèvement a été réalisé sur la période pour chaque animal. Mais les auteurs « espèrent que l'absence de transmission dans ce foyer est en faveur d'un très faible risque de passage du SARS-CoV-2 de l'Homme au furet ».

Faible inoculum

Les virologistes de l'Anses-Malzéville (France) ont exploré la réceptivité du furet, déjà connue lors d'inoculation par des titres viraux élevés, pour une charge viral plus faible. Là aussi, les résultats figurent dans un manuscrit placé en libre accès sur bioRXiv, le 24 septembre (15 p.). Les inoculations ont été réalisées par voie intranasale sur 12 furets de 10 mois d'âge (10 mâles castrés et 5 femelles), en cages de 2 à 5 sujets (3 furets ont été conservés comme témoins non inoculés), avec un inoculum de 2 103 UFP. Les animaux ont été surveillés quotidiennement et des anesthésies ont été réalisées à J2, J4, J7, J10 et J14 post-inoculation (PI) pour prélèvements : écouvillons oropharyngés, lavages nasaux, écouvillons rectaux, et prises de sang. Un furet était euthanasié à chacune de ces occasions.

Mâle ronfleur

Au plan clinique, 3 des furets ont présenté de la léthargie à J7 et J8 PI, un a « ronflé » pendant une semaine. Au plan du génome viral, la totalité des écouvillons oropharyngés étaient positifs de J2 à J10 PI, et négatifs à J14 ; l'excrétion fécale était encore positive à J7 mais négative à J10. Les lavages nasaux ont été positifs de J2 à J14 (fin de l'essai), en lien avec la charge génomique élevée trouvée dans les cornets nasaux de cette espèce. Le génome viral est identifié dans le bulbe olfactif (SNC), et dans le tractus digestif (avec une charge plus faible que celle de l'appareil respiratoire supérieur). Du virus infectieux était présent dans les lavages nasaux (J2 et J4, 5/6 furets), et les cornets nasaux (J2 à J7, 4/9 furets). Il n'en a pas été détecté dans les poumons ni aucun autre organe (absence de virus dans les ganglions rétropharyngés : l'infection se limite à l'appareil respiratoire supérieur). Les réponses en IgG comme en anticorps neutralisants sont détectables à partir de J10, sans corrélations entre les titres respectifs des deux types d'anticorps. Il reste que la réceptivité du furet à une faible quantité de virus par voie intranasale pose question sur leur exposition au domicile de maîtres infectés.

Jusque 163 cm

D'autant qu'une équipe néerlandaise (l'université Erasmus) vient de décrire la capacité des furets infectés (expérimentalement) à transmettre l'infection par voie aérienne à des congénères. L'équipe a d'abord validé le dispositif sur le virus de la grippe, dont les furets sont un modèle animal bien décrit, avant de l'appliquer aux SARS-CoV-1 et SARS-CoV-2. Les furets âgés de 6 mois ont été inoculés (4 furets par groupe) par voie intranasale avec du SARS-CoV-2 à 6 105 TCID50. Les 4 furets inoculés ont été infectés, avec détection du virus jusque J13 (un sujet) à J15 (3 sujets, fin de l'étude) PI. Aucun n'a présenté de signes cliniques. Ces furets étaient maintenus en cage individuelle. Le lendemain de l'inoculation, une cage contenant un furet indemne était posée au-dessus de celle contenant chaque furet infecté. Les deux cages étaient séparées par un plancher étanche, mais « connectées par un tube de 15 cm de section et faisant 4 fois un angle à 90° C, et à une distance totale moyenne de 118 cm » de la précédente (il y avait entre 73 et 163 cm de distance d'une cage à l'autre par cet intermédiaire). La ventilation allait de la cage du bas vers la cage du haut (100 l/minute). Deux des contacts ont été infectés, à partir de J3 post-exposition (PE), avec des sujets restant positifs (pic à J7 PE) jusque J15 PE.

Poussières, pas poils

La transmission aérienne est donc efficace, sur une distance < 2 m, même si les auteurs préviennent qu'ils n'en ont pas examiné le support : microparticules de l'air ? Poussières de la litière ? Poils ? Ils ont écouvillonné la fourrure des flancs de furets inoculés par le SARS-CoV-1, quotidiennement de J3 à J9 PI ; ils ont obtenu un résultat positif en RT-PCR (charge génomique 240 fois moins que dans l'appareil respiratoire supérieur), mais aucun isolement viral. En revanche, ils observent que des particules de plus de 10 µm de diamètre faisaient bien le voyage d'une cage à l'autre. Dans tous les cas, pour les auteurs, ces résultats, figurant dans un manuscrit publié sur bioRXiv le 19 octobre (29 p.), « sont en accord avec les épisodes fréquents d'infections à SARS-CoV-2 en élevages de visons », mais pas avec l'absence de cas chez des furets NAC…

Barrière d'espèce

Pour tenter de trouver un argument plus scientifique qu'un défaut de déclaration, il faut revenir au premier manuscrit, celui des furets de Boston. Les virologistes vétérinaires, dans la discussion, expliquent s'être penchés sur la séquence génomique des virus soit utilisés lors des inoculations expérimentales de furets publiées par d'autres auteurs, soit isolés de visons naturellement infectés. Et ils identifient deux mutations particulières :

  • une dans la protéine S (N501T), qui est présente chez 11 furets décrits comme inoculés, alors qu'elle n'était que peu représentée dans l'inoculum de départ. Elle n'est toutefois présente que chez 1 des 13 séquences de virus isolés de visons. « C'est en faveur d'une mutation spontanée et sélection naturelle dans la population » de furets de laboratoire. Ils relèvent qu'aucune des plus de 9 000 séquences virales issues d'isolats humains ne comporte cette mutation ;
  • une autre mutation (S646G), localisée à proximité du site de clivage de la spicule, n'est observée que chez les furets (pas les visons). Elle présente un intérêt particulier parce qu'elle était elle aussi peu présente dans l'inoculum, absente des souches d'origine humaine (y compris isolées de chats et chiens), et que ce site de clivage est impliqué dans le comportement spécifique du virus, en particulier pour l'évasion immunitaire.

Pour les auteurs, ces éléments « sont en faveur d'une barrière d'espèce plus élevée entre l'Homme et le furet qu'avec les autres animaux de compagnie » carnivores. Ce qui ne pourra être évalué qu'en cas d'identification d'une infection “naturelle” d'un furet par son maître Covid-19+, qui reste à décrire.