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2 avril 2020

SARS-CoV-2 : expérimentalement, le chat plus réceptif que le furet, lui-même plus que le chien

par Vincent Dedet

Temps de lecture  10 min

Le confinement avec des patients humains infectés - et notre vie sociale avec nos animaux - favorisent très probablement l'infection du chat et du chien par le SARS-CoV-2 (extrait du carnet de dessins du confinement de Christophe Ronel, avec l'aimable autorisation de celui-ci).
Le confinement avec des patients humains infectés - et notre vie sociale avec nos animaux - favorisent très probablement l'infection du chat et du chien par le SARS-CoV-2 (extrait du carnet de dessins du confinement de Christophe Ronel, avec l'aimable autorisation de celui-ci).
 
A nos lecteurs du Fil d'hier. Ce Fil du 1er avril qui décrit une contamination possible d'un chat par un poisson rouge était évidement un poisson d'avril. Merci à ceux qui nous ont remercié de les avoir fait un peu sourire durant cette période de crise. Mais aussi pardon à ceux que nous avons pu choquer avec ce poisson d'avril sur un sujet aussi grave. Hors de la contamination du poisson rouge, les autres infos sont véridiques notamment sur la guérison du chat en neuf jours et l'origine chinoise de nos poissons rouges d'aquarium.

Alors que le décompte des cas d'animaux de compagnie infectés par le SARS-CoV-2 vient de remettre chiens et chats au même niveau (2-2), avec le chat trouvé positif à Hong Kong le 31 mars, deux équipes chinoises viennent de placer en ligne un manuscrit chacune. Le premier décrit les résultat d'inoculation expérimentale du virus aux chiens, chats et furets. L'autre réanalyse les données sur l'ACE2, protéine membranaire utilisée comme récepteur cellulaire par le virus, et éclaire les résultats précédents. Bien que les résultats de ces auteurs soient solides, ils figurent dans des manuscrits pas encore acceptés pour publication et doivent donc être pris en compte comme susceptibles d'être critiqués – en particulier pour la transmission inter-individuelle chez le chat.

Chats en P4, rétifs

Pour l'inoculation expérimentale, c'est l'équipe de vétérinaires et virologistes chinois du laboratoire P4 du Harbin Veterinary Research Institute qui a travaillé sur la plupart des espèces domestiques, avec en premier lieu le chat « préadulte » de 8 mois. Cinq sujets ont été inoculés par voie intranasale avec une souche d'origine humaine (105 PFU). Trois d'entre eux ont été placés en isolement individuel et deux autres ont été sacrifiés à J6 post-inoculation (PI). « Un chat non infecté était placé dans une cage à proximité de celle de chacun des chats infectés » (n=3). Les auteurs n'ont pu réaliser les lavages nasaux des chats trop rétifs ; ils se sont alors rabattus sur les fèces. Les données les plus fiables sont donc celles liées aux deux chats euthanasiés à J6 PI. Ils présentaient tous deux du génome viral dans l'appareil respiratoire supérieur, avec pour un chat aussi dans la trachée et pour l'autre dans l'intestin grêle (le virus n'a pas été isolé du grêle mais bien des autres organes). Aucun de ces animaux n'a présenté de virus dans ses poumons. Ainsi, les auteurs ont bien reproduit l'infection chez ces deux animaux – pour lesquels aucun signe clinique n'est signalé.

Voisinage et gouttelettes

Suivent les résultats plus douteux, principalement en lien avec la possibilité de contamination des prélèvements (fèces) par les gouttelettes respiratoires du même animal (ils étaient en cages individuelles, donc a priori séparés les uns des autres). Pour les trois chats inoculés et placés en isolement, les fèces étaient positives en RT-CPR, pour deux d'entre eux à J3 PI et pour les trois à J5 PI. Ils ont été euthanasiés à J11 PI et présentaient une charge génomique modérée dans le palais mou et les amygdales. Il n'y a pas d'isolement viral tenté à partir de ces animaux (en tout cas pas présenté). Sur les trois chats contacts (non inoculés), l'un d'entre eux a fourni une RT-PCR positive à J3 post-introduction, pas ensuite. Ils ont été euthanasiés à J11 tous les trois et l'ARN viral n'a été détecté que chez ce même chat, « dans ses cornets nasaux, le palais mou, les amygdales et la trachée, indiquant que la transmission par les gouttelettes s'est produite pour [la] paire d'animaux » en question. Les auteurs ont ensuite euthanasié les deux autres paires à J12 PI, et confirment la présence de génome viral dans l'appareil respiratoire supérieur des chats inoculés, mais pas des sentinelles. Les trois chats inoculés et celui qui s'est infecté ont séroconverti et présentaient des anticorps neutralisants.

Plus jeunes, plus réceptifs

Les auteurs ont recommencé cette expérience d'inoculation sur 4 jeunes chats (70 à 100 j d'âge). Le protocole prévoyait l'euthanasie de deux d'entre eux à J3 PI et les deux autres à J6 PI. Ils détectent du virus infectieux dans l'appareil respiratoire supérieur à ces deux dates et en quantités importantes (jusque 107 UFC/g) à J3 PI, 1 000 fois moins à J6 PI. A J3, il y en a aussi dans les poumons et l'intestin grêle (107 UFC/g) d'un même chat. A J6 PI, les deux autres chats présentent du virus infectieux dans les poumons, en titre plus faible et de manière localisée pour l'un des deux. Là encore, l'identification de virus infectieux dans ces tissus à plusieurs jours de l'inoculation signe une infection – respiratoire basse chez certains des chats plus jeunes. Ce qui suggère une réceptivité accrue des jeunes.

Gouttelettes, encore

Comme dans l'expérience avec les subadultes, trois autres jeunes chats ont été aussi inoculés et placés en cages individuelles avec un autre jeune à proximité, ces trois derniers non inoculés. Cette fois, les auteurs ont réussi à réaliser les lavages nasaux sur ces jeunes animaux. Tous les inoculés étaient positifs en RT-PCR, jusque J6 inclus pour l'un et J8 inclus pour les deux autres. L'une des sentinelles non infectées a également été trouvée positive avec des charges génomiques en augmentation de J5 à J9 (réplication), ce que les auteurs attribuent à nouveau à une transmission via les goutelettes respiratoires. L'un des chats inoculés est mort à J13 sans autre commentaire de la part des auteurs. Les autres, prélevés à J20, ont tous présenté une séroconversion et des anticorps neutralisants (y compris le chat sentinelle infecté). Pour être tout à fait démonstratifs, les auteurs auraient dû présenter les charges virales – ce qui n'est pas le cas, mais la séroconversion reste un argument valide.

Distanciation sociale

Ils en concluent que « ces résultats indiquent que le SARS-CoV-2 réplique efficacement chez les chats, les plus jeunes étaient les plus réceptifs et, peut-être plus important, le virus peut se transmettre entre chats par les gouttelettes respiratoires ». Le premier point était déjà connu puisque deux chats ont déjà été identifiés en conditions “naturelles” pandémiques. Toutefois, du fait de leur comportement de distanciation sociale naturelle, il est peu probable que deux chats restent en permanence côte à côte pendant 11 à 12 jours, 24/24 h. Les conditions de cette transmission – si elle est réelle, semblent donc purement expérimentales.

Chien “décevant”

Les résultats obtenus pour l'inoculation de 5 beagles de 3 mois sont plus étonnants car l'infection de l'appareil respiratoire supérieur a déjà été observée (à défaut d'être publiée) à Hong Kong – sur deux sujets. Ici, les 5 chiens inoculés (105 UFP, voie intranasale) ont été laissés ensemble, avec deux autres non inoculés, dans une même pièce. Des écouvillons oropharyngés et rectaux ont été réalisés tous les deux jours jusque J14 PI sur tous ces animaux. Tous les prélèvements sur les chiens contacts ont été négatifs. Sur les voies aériennes supérieures, tous les chiens ont aussi été trouvés négatifs. Deux chiens inoculés ont été trouvés positifs sur prélèvements rectaux à J2 PI et un troisième à J6 PI (à des charges génomiques 100 fois moindres) – ce qui est cohérent après une inoculation intranasale (déglutition possible). L'un des deux chiens positifs à J2 PI a été sacrifié à J4 PI, mais aucun organe n'a alors été trouvé porteur de génome viral. Deux des chiens inoculés (les auteurs ne précisent pas s'il s'agit d'un de ceux positifs par voie digestive) avaient séroconverti à J14 PI. « Ces résultats indiquent que les chiens ont une faible réceptivité au SARS-CoV-2 ».

Le furet, entre chien et chat

Sur le furet, l'inoculation a aussi été réalisé de la même mais avec deux souches de virus (l'une provenant de l'environnement et l'autre d'origine humaine). Deux furets ont été inoculés avec chaque souche, et ont été euthanasiés à 4 jours PI et autopsiés pour prélèvements. Les auteurs mettent en évidence « une réplication virale dans l'appareil respiratoire supérieur, mais elle est indétectable dans les autres organes ». Plus précisément, les sujets sont positifs les cornets nasaux, le palais mou et les amygdales, mais pas la trachée ni les poumons, etc. Le furet est donc clairement réceptif. Ils ont recommencé l'expérience, mais en prélevant les sujets (lavage nasal et écouvillon rectal) à J2, J4, J6, J8 et J10 PI. Les auteurs détectent du virus infectieux dans le nez des 6 furets à tous les prélèvements de J2 à J6 inclus (et un sujet positif à J8). Ils détectent aussi du génome viral dans les fèces de quelques furets, mais jamais de virus infectieux. Deux de ces furets (un par souche) ont présenté de la fièvre et de l'anorexie à J10 et J12 PI, et les auteurs les ont euthanasiés à J13 PI pour évaluer si le virus était à l'origine de ces signes cliniques. Pour écarter toute réplication pulmonaire transitoire, les auteurs ont à nouveau inoculé des sujets, cette fois par voie intra-trachéale (n=8, seule la souche d'origine humaine), puis ont sacrifié deux animaux par jour. Ils trouvent bien du virus dans l'appareil respiratoire supérieur en début d'infection et dans un cas dans la trachée à J8 PI, mais jamais de virus dans les poumons. Au bilan, le furet est bien réceptif à l'infection, mais celle-ci resterait cantonnée à l'appareil respiratoire supérieur.

Affinité élevée

Le même jour, un autre manuscrit a été publié en ligne par une autre équipe chinoise, sur le niveau et le lieu d'expression d'ACE2 (protéine membranaire utilisée par le SARS-CoV-2 comme récepteur cellulaire) chez différentes espèces animales. Ces auteurs observent « un niveau élevé de conservation des gènes d'ACE2 parmi les mammifères communs, à la fois au niveau de l'ADN et des acides aminés », de 78,6 à 85,2 % d'homologie de séquence peptidique. Et « pour les deux sites de liaison au virus, les acides aminés n° 31 et 353, tous les mammifères sauf les souris et les rats ont les mêmes que les humains ». Ce qui « suggère qu'un large éventail d'espèces mammifères peut potentiellement être hôte » de ce virus, « avec une affinité élevée ». En particulier, « les chiens et les chats sont les espèces les plus proches de l'Homme » pour la phylogénie d'ACE2 lorsque les auteurs utilisent la séquence d'acides aminés (et non celle du gène) pour ce calcul (voir le graphique ci-dessous). Le porc est, dans cette phylogénie, le plus éloigné.

Analyse phylogénétique pour la séquence d'acides aminés (et non génétique) d'ACE2 chez les mammifères (hors rongeurs), d'après Sun et coll., 2020.

Phylogénie d'ACE2

Ils se sont ensuite plus particulièrement penchés sur les niveaux d'expression comparés d'ACE2. Ils sont partis du postulat que « si le SARS-CoV-2 infecte les cellules humaines via ACE2, les espèces animales ayant des protéines ACE2 similaires à celles de l'Homme pourraient aussi devenir la cible du virus ». Pour cela, ils ont repris les données de séquençage de 141 des 142 publications et les ont harmonisées de façon à pouvoir les comparer entre espèces et entre organes (expression relative à celle d'un gène de ménage). Chez les carnivores domestiques, le niveau d'expression est très nettement plus élevé chez le chat que chez le chien, par exemple pour les reins, où ce niveau est trois fois plus élevé pour les chats que les chiens (x 10 000 et x 3 000, respectivement, voir le graphique ci-dessous).  Et, « pour les quatre premiers tissus pour le niveau d'expression d'ACE2, le chien et le chat se situent au-dessus de toutes les autres espèces de mammifères examinées » dans cette étude. La présence d'ACE2 est également importante dans le foie, le cœur, la rétine, et les poumons (x 20 chez le chat comme le furet, x 2 chez le chien). Toutefois, la muqueuse des voies aériennes supérieures et l'épithélium conjonctival ou cornéen ne sont pas inclus dans ces travaux, n'expliquant pas si l'une ou l'autre des espèces est plus à risque d'infection par voie aérienne ou oculaire.

Niveaux d'expressions relatifs, par espèce domestique et par organe/tissu d'ACE2 (LeFil, d'après Sun et coll., 2020).

Les auteurs en concluent cependant que « ces données suggèrent que les chats et les chiens soient hautement réceptifs au SARS-CoV-2 » et que « le chat et le furet puissent être de meilleurs modèles expérimentaux [de l'infection pulmonaire] que les rongeurs ».

Maintenir la vigilance

Enfin, dans la page du site de la faculté vétérinaire de Liège (Belgique) consacré au sujet, le Pr Thiry signale que « le comité scientifique [de l'Agence fédérale belge de sécurité de la chaîne alimentaire] conclut que les animaux domestiques vivant en proximité étroite avec leur propriétaire infecté peuvent être fortement exposés soit indirectement via l'environnement et le virus qui y est déposé par les expectorations humaines, soit directement lors de contacts étroits à proximité de la face du propriétaire infecté. L'exposition dépend de l'hygiène et du niveau de contact que peuvent avoir les propriétaires infectés avec leur animal domestique ». Ainsi, ce comité scientifique « estime le risque d'infection de l'animal par l'homme comme faible mais recommande aux services vétérinaires de maintenir une vigilance accrue et d'encourager les enquêtes épidémiologiques chez tout nouveau cas suspect ».