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25 septembre 2020

SARS-CoV-2 chez le chat : trois descriptions, trois conclusions

par Vincent Dedet

Temps de lecture  8 min

Un écoulement discret peut être le seul signe d'infection d'un chat par le SARS-CoV-2, comme le montre une étude écossaise récente. Mais une étude française montre aussi que la transmission de l'Homme au chat est surtout inapparente (cliché : Linda Jacobson/Toronto Humane Society).
Un écoulement discret peut être le seul signe d'infection d'un chat par le SARS-CoV-2, comme le montre une étude écossaise récente. Mais une étude française montre aussi que la transmission de l'Homme au chat est surtout inapparente (cliché : Linda Jacobson/Toronto Humane Society).
 

Trois publications sur l'infection par le SARS-CoV-2 chez le chat cette semaine, de trois pays européens, chacune mettant en évidence des aspects différents. En France, c'est une enquête rétrospective qui fait suspecter une transmission plus fréquente que suspecté jusque-là de l'Homme (malade) au chat. Outre-Manche, c'est la confirmation que l'infection peut provoquer une infection sévère (fatale) chez l'animal. Au-delà des Pyrénées, c'est l'illustration de la fameuse vérole et du bureau de tabac…

Franche-Comté

Un praticien figure parmi les cosignataires du manuscrit rapportant une étude rétrospective française visant à évaluer la fréquence de la transmission du SARS-CoV-2 de l'Homme à son chien ou son chat  l'article. Les autres auteurs sont des virologistes et biologistes de divers organismes de recherche, de l'IRD à l'Institut Pasteur, en passant par… VetAgroSup. L'enquête a été réalisée en mai et juin, dans deux régions « aux caractéristiques comparables de l'épidémie, avec les premiers décès humains survenus en mars 2020 » : la Franche-Comté et Rhône-Alpes. Dans la première région, une cohorte de malades ayant été confirmés infectés s'est vue proposer (après leur guérison) de participer à une enquête portant sur leur chien ou chat de compagnie. Le critère était qu'au moins une personne dans la famille ait présenté des signes respiratoires et ait été confirmée comme infectée. Lorsque les maîtres acceptaient, leur animal était prélevé (prise de sang) pour sérologie. Quatre tests différents ont été utilisés : trois tests sur microsphères, « détectant les IgG dirigées contre les protéines S, S1 ou S2 » du SARS-CoV-2 (seuls les sérums positifs aux trois tests étaient considérés comme positifs) et un test de séroneutralisation, détectant les anticorps neutralisants contre le virus (un animal positif en séroneutralisation est considéré comme séropositif). Un groupe dit “témoin” a été constitué, avec des participants « recrutés parmi le personnel et les étudiants de VetagroSup », le seul critère étant le volontariat. Le statut inconnu au regard du SARS-CoV-2 des personnes de ce groupe était délibéré.

Près d'un chat sur quatre

Pour les 34 chats et 13 chiens prélevés en Franche-Comté, la durée écoulée depuis le diagnostic de leur maître était de 2 à 3 mois. Dix sujets ont été trouvés séropositifs (21,3 %), dont 8 chats (23,5 %) et 2 chiens (15,4 %). Il n'y avait pas de différence significative pour la fréquence de la séropositivité entre les deux espèces (p=0,7). En revanche, un seul des 16 chats prélevés en Rhône-Alpes était positif (6,3 %), ce qui est significativement plus faible que pour les chats des maîtres confirmés infectés (p=0,02). Aucun des 22 chiens n'a été trouvé positif. Au bilan, le risque d'être séropositif était 8,1 fois plus élevé pour un carnivore domestique résidant chez un cas de Covid-19 confirmé que pour dans une famille “tout venant”. La trace sérologique ne permet pas de démontrer l'origine humaine ni l'infection par le SARS-CoV-2, mais constitue un argument important en ce sens. Les auteurs estiment que « le risque d'infection de chiens et chats chez les propriétaires Covid-19+ est nettement plus élevé que ce qui a été décrit jusqu'ici ».

Fatal chaton

La première description du décès d'un chat infecté (pneumonie) par le SARS-CoV-2 vient d'Ecosse. Elle est détaillée dans autre manuscrit, mis en ligne le lendemain du précédent, et décrit le cas d'un chaton « femelle Ragdoll de 4 mois d'âge, dont le propriétaire a présenté des signes cliniques évocateurs de Covid-19 fin mars et jusqu'au 11 avril, mais qui n'a pas été testé » vis-à-vis du virus. Le chaton a été présenté au vétérinaire traitant le 15 avril, avec « dyspnée, signes d'efforts inspiratoires, fréquence respiratoire élevée et bruits pulmonaires rauques ». La radio thoracique indiquait « un profil interstitiel et alvéolaire ». Ses signes cliniques s'aggravant, le chaton a été euthanasié le 22 avril. « L'autopsie et l'anatomopathologie ont fourni d'autres éléments en faveur d'une pneumonie virale ». La présence du virus a été confirmée en immunofluorescence : le marquage était observé sur l'épithélium bronchique, mais pas sur des coupes de foie de l'animal. L'hybridation in situ a confirmé la présence du génome viral dans les pneumocytes de type I, ce qui avère l'infection par le SARS-CoV-2.

Un sur 387

Le même manuscrit écossais rapporte aussi les résultats d'une enquête rétrospective qui a porté sur des prélèvements (écouvillons oropharyngés ou conjonctivaux) effectués sur 387 chats et initialement envoyés au laboratoire de diagnostic de la faculté vétérinaire de Glasgow entre mars et juillet 2020. L'objectif des praticiens était alors le diagnostic de pathogènes respiratoires (recherche du génome du calicivirus et de l'Herpèsvirus félins et de Chlamydia felis). Les auteurs ont repris les prélèvements et les ont soumis à une RT-PCr spécifique du génome du SARS-CoV-2. Comme la période ciblée était celle d'une « intense transmission communautaire » et que la séroprévalence chez l'Homme était alors d'environ 5 %, ils s'attendaient à ce que 14 des échantillons félins soient trouvés positifs… Ils n'en ont obtenu qu'un seul, positif pour 2 RT-PCR quantitatives avec des cibles virales différentes (valeurs de Ct de 33,5 et 34). Deux mois plus tard, la chatte ayant guéri, elle a été prélevée (sang) pour sérologie, positive pour le SARS-CoV-2. L'infection est donc bien avérée.

Mêmes séquences

Les auteurs ont donc approfondi ce cas : une siamoise de 6 ans qui avait été prélevée du fait d'une « décharge oculaire jaunâtre bilatérale et décharge nasale séreuse ». Au moment de ce prélèvement, « l'un de ses propriétaires présentait des signes compatibles avec la Covid-19 » et, précisent les auteurs dans la discussion, l'un des deux (ils ne précisent pas s'il s'agit du même) a aussi été testé positif. A partir de l'écouvillon de départ, les auteurs ont obtenu une séquence quasi complète du virus (92,5 %) de la chatte, qu'ils ont comparée aux séquences virales d'origine humaine disponibles à fin août pour le Royaume-Uni. La séquence la plus proche de celle de la siamoise n'en diffère que par 5 nucléotides. Il y avait 11 séquences “humaines” provenant du même canton que le lieu de résidence du chat. Elles n'en différaient que par 6 nucléotides. Seules trois de ces différences n'étaient pas décrites dans les séquences humaines, ni dans les séquences félines et de visons connues. Pour les auteurs, elles sont probablement d'origine humaine (et non postérieures au franchissement de la barrière d'espèce). Pour eux, la chatte a donc bien été infectée, probablement par l'un de ses maîtres. « Étant donné la variation génétique limitée observée à ce jour parmi les génomes de SARS-CoV-2 d'animaux et d'humains et vue la présente observation que les chats infectés peuvent excréter le virus (ou au moins des concentrations modérées d'ARN viral), il est fortement probable que les virus dérivés des chats pourraient être transmis aux humains comme à d'autres animaux », comme cela a été observé dans les élevages de visons. Ces auteurs appellent donc « à coordonner les prélèvements pour le dépistage chez les humains et les animaux au foyer des cas humains, pour surveiller les transmissions zoonotiques ».

Croisé persan et maître décédé

Le premier chat espagnol infecté par le SARS-CoV-2 avait été déclaré à l'OIE en mai dernier. Son cas est détaillé dans un article publié en libre accès en début de semaine. Il s'agit d'un croisé persan de 4 ans dont le maître est décédé de la Covid-19 (avérée) le 18 mars. D'autres membres de la famille ont recueilli les deux chats de cette personne, qui étaient eux-mêmes « atteints d'une forme légères à modérée de la maladie, bien que non avérée par analyses de laboratoire ». Plus précisément, un premier parent, qui a présenté de l'anosmie sur la seconde quinzaine de mars, a d'abord recueilli les deux chats. Puis deux autres membres de la famille les ont pris en charge à partir du 4 avril ; sur cette période, ces deux personnes ont présenté des signes cliniques importants et durant plus de 10 jours, mais ne nécessitant pas d'hospitalisation. Sur toute cette période, le second chat n'a jamais présenté de signes cliniques. Ces personnes ont amené le croisé persan à une clinique vétérinaire à différentes reprises sur le mois suivant (pour vomissements, puis diarrhée fin mars/début avril), avant qu'il ne soit hospitalisé le 21 avril « en raison d'une dyspnée sévère ».

Autopsie BSL-3

L'examen clinique et les prélèvements ont été effectués à la clinique en conformité avec les mesures de protection personnelle préconisées. Le chat ne présentait pas d'hyperthermie. Il avait une légère anémie mais surtout une thrombocytopénie sévère. Le cliché radiographique du thorax présentait « un profil broncho-interstitiel modéré et bilatéral ». L'échographie a identifié une cardiomyopathie hypertrophique. L'animal a été hospitalisé mais son état a empiré sur 24 h et il a été euthanasié le lendemain après-midi. Son cadavre a été transféré au laboratoire protégé (BSL-3) du CReSA de Barcelone, où il a été autopsié (et des écouvillons ont été effectués, tous trouvés positifs en RT-PCR). Une hypertrophie des parois du ventricule gauche et du septum interventriculaire a été confirmée, « sans dilatation ». Les auteurs ont prélevé différents organes pour histologie. Seuls les ganglions mésentériques ont été trouvés positifs en RT-PCR, avec des valeurs de Ct relativement élevées, de 32,5 à 35,1. Tous les autres organes, y compris les poumons, étaient négatifs pour le génome viral.

Identiques à 99,997 %

Ces auteurs ont pu obtenir une séquence du génome viral à partir du prélèvement de ganglion mésentérique ; ils l'ont comparée à la séquence du maître de l'animal : elles étaient à 99,997 % identiques. Les deux chats (l'animal malade avait été prélevé par le praticien et son sang encore disponible, le second chat a été prélevé à dessein) étaient en revanche tous deux positifs en séroneutralisation. Ces deux animaux ont pu être infectés par leur maître avant son hospitalisation, ou par l'un des membres de la famille par la suite, mais le cas décrit ici n'est pas mort de l'infection virale, simplement avec elle. « Il serait intéressant, notent les auteurs, d'évaluer dans quelle mesure elle a pu aggraver les troubles sous-jacents ». A la différence de la médecine humaine, qui montre que des comorbidités peuvent favoriser la survenue d'une forme sévère de l'infection virale.