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4 janvier 2019

USA : sur 36 ans, la profession s'est féminisée ; les suicides aussi

par Vincent Dedet

Temps de lecture  5 min

Taux de mortalité proportionnelle selon le sexe sur les 398 décès de vétérinaires par suicide au sein des décès survenus dans la profession aux USA entre 1979 et 2015, par rapport au taux de suicide au sein de la population générale sur la même période. NS : non significatif. LeFil, d'après Tomasi et coll., 2019.
Taux de mortalité proportionnelle selon le sexe sur les 398 décès de vétérinaires par suicide au sein des décès survenus dans la profession aux USA entre 1979 et 2015, par rapport au taux de suicide au sein de la population générale sur la même période. NS : non significatif. LeFil, d'après Tomasi et coll., 2019.
 

36 ans de recul et 11 620 décès de vétérinaires décortiqués… Des vétérinaires et des médecins du Centre de Contrôle des Maladies (CDC) d'Atlanta (USA) se sont penchés en toute rigueur épidémiologique sur l'évolution du suicide au sein de la profession dans ce pays, entre 1979 et 2015. Ils observent que les femmes sont particulièrement concernées, avec un taux de suicide 5 fois supérieur à celui enregistré en population générale. Ce qui « mérite des investigations complémentaires ».

Féminisation

La première étude du genre avait porté la mortalité des vétérinaires entre 1947 et 1977 et avait déjà identifié un taux de suicide « 1,7 fois supérieur à celui de la population générale ». A l'époque, l'essentiel de la profession était masculin, et la population enquêtée exerçait majoritairement en productions animales. Puis une autre étude, centrée sur la Californie, avait identifié qu'entre 1960 et 1992, le taux de mortalité par suicide était 2,6 fois plus élevé chez les praticiens qu'en population générale. Une enquête sur l'état mental des vétérinaires américains publiée en 2015 avait également montré que 10 % de cette population pouvait avoir un état dépressif et/ou des idées suicidaires. Pour suivre la féminisation, les auteurs se sont donc centrés sur la période récente, en rappelant que c'est depuis le début des années 1980 que les étudiantes vétérinaires sont majoritaires dans les facultés. « En 2016, environ 80 % des étudiants admis dans les facultés vétérinaires étaient des femmes » et « en 2017, plus de 60 % des 110 531 vétérinaires étaient des femmes ». Et « plus de la moitié des cliniciens exerçaient en majorité ou exclusivement en animaux de compagnie ».

3 % de suicides

Les auteurs ont estimé qu'il était donc temps de se pencher à nouveau sur l'évolution du taux de suicide dans la profession, et d'examiner, pour la première fois, celui des femmes. Ils ont pour cela travaillé sur la base de données des décès vétérinaires tenue à jour par l'association américaine des vétérinaires (AVMA) et ont pris en référence la base de données du CDC sur la population générale du pays. Ils calculent ainsi un taux de mortalité proportionnelle (TMP), qui est la proportion de décès pour une cause donnée (ici le suicide) au sein de la population étudiée par rapport aux taux de mortalité pour la même cause en population générale : sur le TMP est > 1, la cause du décès est plus importante dans la population étudiée. La base de données de l'AVMA comportait 11 620 décès sur la période choisie, dont 398 par suicide (3 % du total des décès). Ces suicides étaient majoritairement le fait d'hommes (326), en lien avec la démographie professionnelle sur la majorité de la période. Toutefois, pour la tranche d'âge 25-44 ans, il y avait 63 % de femmes. En comparant les TMP, les auteurs observent que les deux sexes ont un sur-risque hautement significatif de décès par suicide, et que ce sur-risque est nettement supérieur chez les femmes (x 3,5) par rapport aux hommes (x 2,1, voir l'illustration principale).

Femmes, en “canine” comme en “rurale”

L'étude porte sur toutes les activités exercées par les vétérinaires, mais 79 % des suicides concernent des praticiens (exercice de la médecine vétérinaire). Et sur les 300 suicides pour lesquels le mode dominant d'exercice était connu, 75 % travaillaient en “canine” de manière prédominante (> 50 % du temps) ou exclusive (> 90 %). Le fait de travailler en “canine” correspond au TMP le plus élevé chez les hommes (x 2,7). Il est encore plus élevé chez les femmes (x 3,4) mais, bien que l'effectif soit plus faible, c'est pour celles exerçant en productions animales qu'il est maximal (x 4,9). Il reste que – là encore sur un faible effectif – les femmes n'exerçant pas en clientèle ont également un sur-risque très élevé (x 5) et hautement significatif. Sur la période de 2000 à 2015, par tranches de 5 ans, le taux de suicide des femmes est resté relativement stable (10 % des causes de décès enregistrés dans la base de l'AVMA). Il y a eu une réduction du TMP sur la période de l'étude pour les femmes jusqu'en 2009, puis une apparente remontée (voir le graphique ci-dessous). La réduction est liée à l'augmentation des suicides en population générale (+ 30 % entre 1999 et 2016), précisent les auteurs, et non au recul des suicides de vétérinaires . Chez les hommes, cette évolution est « plus variable, mais en légère augmentation ». Dans tous les cas, le TMP est significativement supérieur à 1 (sauf pour la période 1985-1989 chez les hommes), ce qui confirme que le sur-risque de suicide dans la profession est continu.

Évolution du taux de mortalité proportionnelle par suicide selon le sexe, aux USA, par périodes de 5 ans sur la période étudiée (1979-2015, cette dernière année n'étant pas représentée). LeFil, d'après Tomasi et coll., 2019.

 

Armes à feu masculines, empoisonnement féminin

Enfin, sur la façon de se donner la mort, les différences entre sexe son également marquées : le choix d'une arme à feu domine (45 % des 398 suicides), devant le recours à un toxique (39 %). Toutefois, 10 % des praticiennes se sont suicidées par arme à feu sur la période, contre 51 % des praticiens. Les suicides féminins se font plus largement par « empoisonnement pharmaceutique ». Les auteurs calculent même les différences statistiques et les sur-risques du choix de modalité, dans des statistiques macabres. Ils signalent que le recours aux toxiques est 2,5 fois plus fréquent qu'en population générale en 2016, probablement en lien avec un accès plus aisé à ces substances.

Du fait de la démographie vétérinaire, « le nombre de décès par suicide chez les femmes vétérinaires pourrait continuer d'augmenter » préviennent les auteurs. Pour réduire ces chiffres, ils proposent « d'envisager d'incorporer des concepts de saine ergonomie et de bien-être dans l'environnement professionnel des cliniciens, de prendre en charge la fatigue compassionnelle et le stress professionnel et d'offrir de la formation continue sur la gestion des facteurs de stress professionnel ».