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25 mars 2024

Carcinome urothélial : sur-risque chez les chiens ayant été exposés aux produits de chloration

par Vincent Dedet

Temps de lecture  5 min

Une étude américaine identifie que les chiens se baignant dans une piscine chlorée présentent un sur-risque significatif, de 69 %, de carcinome urothélial (cliché Calistemon, Wikimedia).
Une étude américaine identifie que les chiens se baignant dans une piscine chlorée présentent un sur-risque significatif, de 69 %, de carcinome urothélial (cliché Calistemon, Wikimedia).
 

Faut-il priver les Scottish terriers de piscine ? C'est la question qui se pose au terme d'une étude américaine robuste ayant recherché des facteurs environnementaux susceptibles de favoriser la survenue d'un carcinome urothélial chez des chiens de compagnie.

Pas que le tabac

Chez les humains, un cas d'urothéliome sur deux est associé à une exposition environnementale (produits de chloration de l'eau, arsenic, herbicides, etc.), le restant étant associé au tabagisme. Chez les chiens, outre le facteur génétique de quelques races, une étude récente a identifié un sur-risque lié au tabagisme secondaire, mais d'autres facteurs environnementaux peuvent intervenir. Des oncologues, épidémiologistes et toxicologues de l'université du Wisconsin (USA) ont donc réalisé, avec le soutien de la Morris Animal Foundation une étude rétrospective transversale cas-témoin sur ce sujet. Leur hypothèse de travail était que l'exposition aux contaminants chimiques présents dans la maison est significativement associée au risque de survenue d'un carcinome urothélial chez le chien y résidant.

Critères d'inclusion

Pour tester cette hypothèse, ils ont donc taché de recruter des chiens atteints d'un tel carcinome, en communiquant auprès des sociétés canines, mais aussi via un important laboratoire privé de diagnostic, qui incorporait le dépliant décrivant l'étude dans l'envoi de résultats aux vétérinaires, de manière à ce qu'ils la fassent connaître aux propriétaires. Charge à ces derniers de contacter les chercheurs. N'ont été inclus que les sujets présentant :

  • des symptômes des voies urinaires inférieures,
  • la visualisation d'une masse dans la vessie ou l'urètre par échographie abdominale ou autre technique d'imagerie,
  • une histologie confirmant la néoplasie, ou résultat positif du test BRAF (mutation pouvant être associée à la tumeur) dans les urines,
  • et dont le traitement anticancéreux n'avait pas été entamé au moment de l'inclusion.

Un témoin par cas

Une fois les chiens à urothéliome recrutés, les auteurs y ont associé des témoins, sélectionnés parmi les chiens consultant à l'hôpital vétérinaire de la faculté ,et parmi les retours des requêtes aux sociétés canines. À chaque cas était apparié un seul témoin, de même race (ou poids pour les croisés), sexe (y compris statut de stérilisation) et âge (à un an près). Ils devaient n'avoir jamais eu de cancer et pas d'affection urogénitale dans l'année précédente. Les auteurs ont tenté de réaliser aussi l'appariement sur la saison pour le prélèvement d'urine, de manière à ce que les concentrations en résidus de pesticides soient le moins biaisées possible. L'ensemble du recrutement a été effectué entre février 2021 et février 2023.

À la recherche de l'arsenic et de l'acroléine

Les maîtres aussi ont été enrôlés car ils avaient un questionnaire fourni à remplir. Outre les données démographiques du chien et des autres membres du foyer, ils devaient renseigner leur statut tabagique, mais aussi l'exposition aux produits d'entretien ménager, aux herbicides (jardin), l'utilisation d'une cheminée ou d'un poêle à bois, le régime alimentaire typique du chien et sa principale source d'eau potable. Ils devaient aussi indiquer l'intensité du trafic routier à proximité de la maison, la fréquence des bains du chien, l'utilisation par le chien d'une piscine (qui peut contenir des sous-produits de la chloration) ou la présence d'une terrasse en bois traité (qui peut contenir de l'arsenic)… La recherche des contaminants chimiques se faisant dans l'urine de l'animal (et du maître), les aliments consommés 72 heures avant le prélèvement d'urine devaient aussi être renseignés. Car l'acroléine (naturellement présente dans l'air des maisons et carcinogène urothélial connu) et l'arsenic peuvent aussi être trouvés dans certaines denrées alimentaires. Pour l'eau du réseau, les auteurs ont utilisé les données publiques, en lien avec la zone de résidence. Ils ont aussi envoyé aux maîtres (retour prépayé) :

  • des gants en latex et des lingettes, pour prélever de la poussière dans les habitations (recherche d'arsenic),
  • une bouteille vide pour prélèvement d'eau à la source utilisée pour la boisson du chien,
  • et un container de 6 l destiné à recueillir passivement les poussières dans la maison sur une période de 8 h,
  • deux bocaux non stériles pour l'urine du maître (s'il l'accepte) et du chien (prélevé au choix par le maître ou le vétérinaire), pour le dosage des résidus d'herbicide, d'arsenic et d'un métabolite de l'acroléine.

La piscine…

Les auteurs ont donc inclus 37 cas et autant de témoins, ayant tous de 8 à 16 ans d'âge (médiane à 12 ans, dont 11 avec le maître ayant répondu à l'étude). Seuls trois chiens croisés faisaient partie de l'effectif de cas, le reste étant réparti en 25 races (et croisés de telles races). Il n'y avait pas de différence significative entre cas et témoins pour la nature de l'eau de boisson (celle du réseau) et l'aliment (majoritairement des croquettes). Aucun des facteurs environnementaux explorés n'a fourni de différence, à une exception : les cas « étaient significativement plus susceptibles (15,2 %) de nager dans une piscine que les témoins, pour lesquels aucun (0 %) n'a été signalé comme ayant nagé dans une piscine », ce qui se solde par un sur-risque significatif calculé de 69 % (p = 0,02) pour les chiens se baignant en piscine. Toutefois, leur effectif est faible (5 cas), ce qui produit un intervalle de confiance énorme (jusqu'à l'infini), indiquant qu'il serait utile de poursuivre ce travail sur un effectif plus important. Cela n'est pas évident, puisque dans le cas présent un recrutement à l'échelle nationale n'a fourni que 37 cas… Le dosage des trihalométhanes totaux (sous-produits de la chloration de l'eau potable) dans les zones de résidence des cas (identifiées par leur code postal) était en moyenne 4 fois supérieur à celui des témoins (p<0,0001). Aucun autre composé chimique n'a été trouvé en quantité significativement supérieure chez les cas, que ce soit dans l'air, les poussières ou l'urine.

Recommandations

L'eau chlorée contient des produits de dégradation dont certains, comme le bromoforme, sont mutagènes. Et l'exposition humaine aux trihalométhanes totaux a été trouvée associée au risque de carcinome urothélial. « Ces résultats sont donc cohérents avec les études sur ces cancers chez l'humain et peuvent représenter des facteurs de risque causaux. Si c'est le cas, nos résultats seraient en faveur d'une recommandation aux propriétaires de races de chiens présentant un risque élevé de carcinome urothélial comme les Scottish terriers, les Shetland et les West Highland white terriers, de limiter l'accès de leur chien aux piscines chlorées et, surtout, d'envisager l'installation d'unités de filtration de l'eau à l'intérieur de leur habitation ».