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19 décembre 2016

« Le maillage vétérinaire n'a pas montré de défaillance à ce jour »

par Agnès Faessel

Temps de lecture  8 min

Carte 1. Répartition nationale des praticiens vétérinaires
Les points correspondent aux domiciles professionnels administratifs et peuvent ainsi représenter plusieurs vétérinaires. Données au 31 déc. 2015 (source : Observatoire national démographique de la profession vétérinaire, page 13 de l'atlas).
Carte 1. Répartition nationale des praticiens vétérinaires
Les points correspondent aux domiciles professionnels administratifs et peuvent ainsi représenter plusieurs vétérinaires. Données au 31 déc. 2015 (source : Observatoire national démographique de la profession vétérinaire, page 13 de l'atlas).
 

Quel est le potentiel "canin" d'un territoire considéré comme rural ? Va-t-il y manquer demain de praticiens ruraux ? Les données démographiques de la profession sont autant utiles aux confrères, pour une étude de marché avant de s'installer ou faire évoluer leur structure et leurs services, que pour les pouvoirs publics pour infléchir la politique française en matière de maintien du maillage sanitaire et de formation des vétérinaires.

Recueillir, diffuser et analyser ces chiffres sont du ressort de l'Observatoire national démographique de la profession vétérinaire, piloté par l'Ordre, qui publie son premier Atlas démographique de la profession vétérinaire. Ce document volumineux (plus de 300 pages) photographie la répartition des praticiens en France sous tous ses angles : par activité, par âge, par mode d'exercice, par région… Une mine d'informations en libre accès.

L'atlas superpose les démographies vétérinaires et animales

Les statistiques démographiques annuelles de la profession étaient déjà diffusées par l'Ordre des vétérinaires. Elles sont ici actualisées au 31 décembre 2015 et feront l'objet de prochains Fils.

Car la nouveauté est surtout la superposition de la répartition géographique des vétérinaires par domaine d'activité avec la densité de population des espèces soignées : chiens, chats, chevaux, bovins laitiers, bovins viande, petits ruminants, volaille et porcs. Il ne manque que les Nac.

« Le principe est de regarder si ça "matche" entre les deux, pour reprendre l'expression des informaticiens », explique Jacques Guérin, fraîchement élu président de l'Ordre des vétérinaires mais impliqué dans le projet de longue date, à l'occasion de la présentation de l'atlas à la presse jeudi dernier 15 décembre.

Animaux de compagnie : « ça matche »

Les deux cartes ci-dessous présentent ainsi la répartition des effectifs de chiens et chats par régions en France, à partir des chiffres de la Facco (chambre syndicale des fabricants de petfood). Et sans réelle surprise, celle des vétérinaires déclarant soigner ces animaux est globalement en bonne cohérence.

Cartes 2 et 3. Cartographie régionale des effectifs de chats ou de chiens et des vétérinaires déclarant une activité canine ou féline

Les régions sont colorées selon les populations moyennes de chats (à gauche) ou de chiens (à droite) : la couleur est d'autant plus foncée que l'effectif estimé est élevé. Le nombre de vétérinaires déclarant une activité respectivement féline ou canine est représenté par commune par un point gris d'autant plus grand que l'effectif est élevé (source : Observatoire national démographique de la profession vétérinaire, pages 26-27 de l'atlas).

L'exploitation de ces données en l'état reste toutefois limitée puisque les populations d'animaux sont pondérées à l'échelle des nouvelles régions administratives (avec en outre une fusion des régions Corse et PACA). Et d'autres paramètres seraient à prendre en considération dans une éventuelle étude de marché : la moindre médicalisation des chats, le potentiel des territoires moins urbains où les habitations avec jardin facilitent davantage l'adoption d'un chien, etc.

Équidés : sous-estimation probable du maillage vétérinaire

Deux cartes sont également proposées pour l'activité équine, avec la densité des élevages d'équidés ou des établissements équestres, selon un même principe de code couleur que pour les animaux de compagnie, mais par département et non par région. Et encore une fois, le maillage vétérinaire apparaît en bonne adéquation.

Cartes 4 et 5. Cartographie départementale des élevages d'équidés ou des établissements équestres et des vétérinaires déclarant une activité équine

Les départements sont colorés selon les densités moyennes d'élevages d'équidés (à gauche) ou d'établissements équestres (à droite) : la couleur est d'autant plus foncée qu'elles sont élevées. Le nombre de vétérinaires déclarant une activité équine est représenté à l'identique sur les deux cartes, par commune par un point gris d'autant plus grand que l'effectif est élevé (source : Observatoire national démographique de la profession vétérinaire, pages 38-39 de l'atlas).

La répartition des vétérinaires y est identique, s'agissant des praticiens ayant déclaré une activité équine sans distinction de sa nature (chevaux de sport, de loisirs ou de boucherie). Leur nombre – 2328 dont une courte majorité de femmes (1231 soit 53 %) – est toutefois sans doute sous-estimé, du fait de la méthodologie suivie. En effet, les praticiens déclarent à l'Ordre les espèces animales qu'ils soignent, par ordre d'importance dans leur exercice mais jusqu'à trois au maximum. Une activité équine minoritaire, par comparaison à l'activité canine (chiens, chats, Nac) et/ou rurale (bovins lait, bovins viande, petits ruminants), n'est donc pas prise en compte. Ainsi, « une zone sans point gris ne signifie pas que la compétence vétérinaire équine y est absente », prévient Jacques Guérin. Attention donc aux conclusions hâtives sur d'éventuelles zones blanches. Une analyse plus fine est indispensable.

Le modèle utilisé intègre tout de même le rang de déclaration des espèces soignées (dans la taille des points représentants les praticiens). La compétence du vétérinaire est pondérée, valant 1 pour la première espèce déclarée, 2/3 pour la seconde et 1/3 pour la troisième.

Productions animales : pas (encore) de déserts…

Pour les animaux de rente, en revanche, la situation montre davantage de fragilité. Dans les filières bovines particulièrement, les vétérinaires interviennent en grande partie pour des soins d'urgence qui imposent une certaine proximité. Il se pose donc la question de l'impact de la diminution du nombre d'élevages dans certains territoires mais aussi des difficultés économiques grandissantes des éleveurs, qui amènent une baisse de l'activité vétérinaire rurale au point que certaines structures mixtes peuvent faire le choix de la stopper au profit d'une activité canine déjà en croissance (notamment dans les zones périurbaines).

L'atlas présente une série de 6 cartes, la première (carte 6) globalisant toutes les espèces de rente : effectifs des animaux en UGB (unités gros bétail) par "bassins de vie" (tels que définis par l'Insee) et des vétérinaires ayant déclaré une activité pour l'une au moins de ces espèces (près de 7 000). Les suivantes distinguent les différentes filières et les praticiens d'activité correspondante, d'abord pour les bovins en superposant les effectifs de vaches allaitantes (carte 7) ou de vaches laitières (carte 8).

Cartes 6, 7 et 8. Cartographie des effectifs de gros bétail, vaches allaitantes ou vaches laitières par bassin de vie et des vétérinaires déclarant une activité dans la filière

Les bassins de vie tels que définis par l'Insee sont colorées selon les densités moyennes d'unités gros bétail (UGB, à gauche), de vaches allaitantes (au centre) ou de vaches laitières (à droite) : la couleur est d'autant plus foncée qu'elles sont élevées. Le nombre de vétérinaires déclarant (de gauche à droite) une activité espèces de rente, bovins allaitants ou bovins laitiers est représenté par commune par un point gris d'autant plus grand que l'effectif est élevé (source : Observatoire national démographique de la profession vétérinaire, pages 30-32 de l'atlas).

Les trois cartes suivantes (9 à 11 ci-dessous) présentent les données – mais cette fois en nombre d'élevages – concernant les petits ruminants (ovins et caprins confondus, mais pour lesquels les compétences vétérinaires apparaissent bien réparties) ainsi que les porcs et volaille qui ne montrent pas d'inquiétude particulière dans les principaux bassins de production du grand ouest.

Cartes 9, 10 et 11. Cartographie départementale des élevages de petits ruminants, porcs ou volaille et des vétérinaires déclarant une activité dans la filière

Les départements sont colorés selon les densités moyennes d'élevages de caprins et ovins (à gauche), de porcs (au centre) ou de volaille (à droite) : la couleur est d'autant plus foncée qu'elles sont élevées. Le nombre de vétérinaires déclarant (de gauche à droite) une activité caprine ou ovine, porcine ou aviaire est représenté par commune par un point gris d'autant plus grand que l'effectif est élevé (source : Observatoire national démographique de la profession vétérinaire, pages 33-35 de l'atlas).

…Mais des facteurs de risque

L'atlas présente aussi la répartition des praticiens âgés de plus de 55 ans, qui pèsent pour près de 20 % de l'effectif national, et de ceux de moins de 35 ans, qui en représentent environ 28 %.

Cartographie des proportions de vétérinaires en fin ou en début de carrière

À gauche en vert : proportions de vétérinaires de 55 ans et plus (moyenne nationale : 19,89 %).

À droite en bleu : proportions de vétérinaires de moins de 35 ans (moyenne nationale : 27,92 %). Source : Observatoire national démographique de la profession vétérinaire (pages 40-41 de l'atlas).

Ajoutées à la balance entre les entrants (nouveaux inscrits) et les sortants (départs en retraite et réorientations professionnelle), ces données laissent craindre l'apparition de « déserts médicaux vétérinaires ». En Aquitaine par exemple, les 118 sorties de 2015 pour 61 nouveaux inscrits forment un bilan négatif de -57 praticiens pour la région, et surtout -38 d'activité tournée vers la rurale pour -16 en pratique canine.

Des zones de fragilité sont détectées dans des territoires ruraux où la densité animale est faible, dans des régions comme le Centre-Val de Loire, et en périphérie des grandes villes (Paris, Lyon, Bordeaux) où il devient difficile pour les structures vétérinaires de maintenir une compétence pour les soins aux animaux d'élevage. La profession souhaite alerter les pouvoirs publics de l'imminence de ce risque de désertification et l'urgence de le prévenir. « À ce jour, le maillage vétérinaire n'a pas été pris en défaut, dans aucune maladie d'importance majeure y compris l'influenza aviaire qui touche actuellement le sud ouest. Mais des facteurs de risque ont été identifiés et leur impact, à 5 ou 10 ans, nous dicte d'agir sans délai ».

Après le constat, l'analyse

Les premiers constats sont toutefois insuffisants pour mesurer cet impact et proposer des solutions pour inciter les praticiens à s'installer dans ces territoires, mais aussi y rester. Dans cette finalité, l'atlas en lui-même ne constitue qu'une première étape. Et les travaux à venir devraient s'engager dans plusieurs directions :

  • Préciser le rayon d'activité des vétérinaires (distance d'intervention),
  • Mieux qualifier l'exercice mixte (grossièrement pondéré ici pour trois espèces animales selon un ratio 1, 2/3, 1/3),
  • Quantifier le temps de travail (temps « libéral », temps partiel),
  • Ajouter des paramètres économiques (niveau de revenus), etc.

Et selon Jacques Guérin, il est indispensable de mener une analyse par territoire et par filière, dont la conclusion sera nécessairement différente selon leurs caractéristiques et les effectifs vétérinaires concernés.

Un projet de l'Observatoire national vétérinaire qui dépasse le tableau de l'Ordre

Il est également souhaité d'élargir l'étude à tous les métiers vétérinaires, en incluant les confrères qui ne sont pas inscrits au tableau de l'ordre (par exemple ceux des secteurs de l'agro-alimentaire, de l'industrie pharmaceutique, etc.). L'atlas première édition propose déjà un focus sur les vétérinaires des armées et sur les ISPV (inspecteurs de la santé publique vétérinaire).

En effet, il ne s'agit pas d'un projet de l'Ordre, mais de l'Observatoire national démographique de la profession vétérinaire, dont le pilotage a été confié à l'Ordre par le ministère de l'agriculture. Son objet et son but prioritaire sont bien résumés par le ministre Stéphane Le Foll dans l'éditorial de l'atlas 2016 : « mieux connaître la démographie de la profession vétérinaire pour orienter les politiques vers le maintien d'une organisation vétérinaire performante pour faire face aux enjeux d'aujourd'hui et de demain […] en particulier à la nécessité de maintenir un maillage vétérinaire pour nos territoires ruraux ».

Cet atlas s'inscrit ainsi dans la première mission de l'Observatoire : rassembler les données et statistiques démographiques de la profession, selon une méthodologie en permettant l'exploitation. Il s'agit notamment de définir et harmoniser les indicateurs à suivre. La seconde mission consistera à analyser ces informations et en générer un rapport. Réactualisé a priori tous les 5 ans, ce rapport « contribuera au pilotage des politiques publiques en matière de santé animale ». Le ministère s'est engagé à apporter son soutien dans la durée afin d'en faire un outil pérenne.

Accès libre aux données brutes

Outre l'atlas et les rapports d'analyse à venir, l'Ordre souhaite mettre les informations de l'Observatoire à la disposition de tous sous une forme en cours de réflexion : un portail web public à partir duquel les données consolidées sous forme exploitable seraient consultables et téléchargeables. Une source de renseignements sans égale pour les praticiens aussi dans leurs choix d'évolution.