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Elanco & Proplan

28 octobre 2016

Mystérieuse “épizootie” de méga-oesophage chez les chiens lettons

par Vincent Dedet

Temps de lecture  4 min

Répartition géographique des cas de méga-œsophage canin confirmés entre avril 2014 et mai 2015 (n=67) en Lettonie, à partir des données de 38 cliniques vétérinaires. La répartition des cas par région (couleurs) montre une association avec la densité des cliniques de petits animaux autour de la capitale (Riga, région de Vidzeme) (source : Latvijas Veterinararstu Biedriba).
Répartition géographique des cas de méga-œsophage canin confirmés entre avril 2014 et mai 2015 (n=67) en Lettonie, à partir des données de 38 cliniques vétérinaires. La répartition des cas par région (couleurs) montre une association avec la densité des cliniques de petits animaux autour de la capitale (Riga, région de Vidzeme) (source : Latvijas Veterinararstu Biedriba).
 

« En avril 2014, il y a eu une augmentation brutale des diagnostics de méga-œsophage et de paralysie laryngée en Lettonie », rapporte Ilze Matise-VanHoutan, une anatomo-pathologiste de ce pays, disposant de son board américain.

238 cas en 26 mois

Au cours des années précédentes, il y avait au plus 10 diagnostics comparables par an dans ce pays balte, et 4 en cinq ans à l'université vétérinaire. « À fin 2015, 140 cas avaient été diagnostiqués ». Au 20 septembre dernier, le décompte était à 238 cas, tous confirmés en radiologie, endoscopie ou post-mortem. Dans ce petit pays d'à peine plus de 2 millions d'habitants, ce phénomène n'est pas passé inaperçu : « en mai 2015, l'association nationale vétérinaire et le ministère de l'Agriculture ont lancé une investigation sur cette “épizootie” », indique la page dédiée à cette affection, mise en place depuis. L'enquête est pilotée par la Dre Ilze Matise-VanHoutan. Ses résultats préliminaires, d'épidémiologie descriptive, ont été publiés en ligne en anglais.

Pas de surprise clinique

« Il s'agit d'animaux adultes de 1 à 17 ans (7 ans en moyenne), surtout de grandes races ou croisés », ce qui élimine une origine congénitale. Pas de surprise du côté des signes cliniques : « vomissements/régurgitations ont été renseignés dans 94 % des cas, dyspnée et toux dans 78 % des cas, dysphonie (72 %), perte de poids de plus de 10 % (61 %), faiblesse (52 %) ». Et même, « 17 % des chiens sont morts ou ont été euthanasiés du fait de leur extrême faiblesse, de leur dépérissement ou des difficultés à gérer leur état ».

Étude rétrospective

Les cas sont répartis sur l'ensemble du pays (voir l'illustration principale). Pour l'étude rétrospective, qui a concerné les cas diagnostiqués entre le début de l'épisode et le lancement de l'enquête officielle (avril 2014-mai 2015), 38 praticiens ont soumis des cas (n=67) ; la moitié de ceux-là (53 %) étaient concentrés dans la commune de la capitale (Riga), qui est aussi la zone de plus grande densité de cliniques canines. Deux tiers des animaux affectés étaient des mâles. Dans leur majorité (85 %), ces animaux n'étaient alimentés qu'avec du petfood. « Pour 38 cas, il y avait plusieurs chiens dans le même foyer, et dans ce cas des signes de méga-œsophage étaient aussi observés sur ces compagnons ». Dans 81 % de ces cas, les chiens « n'avaient jamais eu d'autre affection digestive au préalable » et dans plus de 90 % des cas, l'animal ne présentait pas de commémoratif de traumatisme de l'encolure/corps étranger.

Étude prospective

Tous les cas nouvellement diagnostiqués à partir de mai 2015 ont été inclus dans l'étude prospective : 70 sujets de mai à décembre 2015, « à un rythme de 8 à 9 cas mensuels », pour 20 cliniques vétérinaires. Treize d'entre eux sont morts ou ont été euthanasiés, indique le rapport préliminaire publié en février 2016. Fin septembre 2016, la mortalité est estimée à un quart des sujets. À nouveau, des cas ont été identifiés dans tout le pays, et dans un tiers des cas, les autres chiens présents au domicile étaient également atteints. Les petites races étaient sous-représentées. Une origine alimentaire a été suspectée : « 94 % des cas ont été alimentés avec une même marque d'aliment » sec : le risque relatif dépasse le facteur 100 ! « Une neurotoxine » ou une « substance toxique » ont été recherchées dans cet aliment industriel « fabriqué localement ».

Botulisme quasiment écarté

Pour un tiers des chiens de l'étude prospective, Clostridium baratii a été identifié. Cette bactérie est susceptible de produire la toxine botulique. Toutefois, les gènes de cette toxine ont été recherchés par PCR, sans succès. Elle a aussi été recherchée à partir du sérum des cas, sans plus de succès. Des études complémentaires « à partir des fèces des animaux » sont « en cours en Suède ». Sur l'aliment, la recherche d'acrylamide, de métaux lourds et de thallium n'a pas révélé de teneurs excessives. Les analyses de bactériologie et la recherche de mycotoxines n'ont pas non plus permis d'identifier de source plausible de cette affection. La recherche d'organophosphorés est en cours. À l'histologie, les lésions observées sont « une axonopathie distale intermédiaire augmentée ».

Réduction significative

La Dre Matise-VanHoutan a publié en ligne deux questionnaires en anglais à destination des praticiens d'autres pays qui auraient des cas comparables et souhaiteraient les partager, ou proposer des pistes pour la recherche étiologique. Le second questionnaire permet d'estimer l'incidence de ces cas au sein d'une même structure vétérinaire, « sur les cinq dernières années, pour évaluer si le phénomène émergent [observé en Lettonie] a pu se produire » ailleurs. Elle souligne que « cette augmentation de l'incidence des mégaœsophages/polyneuropathies d'un facteur 10 par rapport aux niveaux historiques » relevés dans le pays « est une situation sans précédent pour la communauté vétérinaire » lettone. Elle indique que, depuis le mois de mai dernier, le nombre de nouveaux cas « a chuté de manière significative. Nous pensons que c'est lié aux moindres ventes de l'aliment suspecté et à l'information du grand public ».