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13 novembre 2020

Le Parlement vote pour les écoles vétos privées, avec une promotion qui ne sortira qu'en 2028 de… Rouen

par Eric Vandaële

Temps de lecture  9 min

Gérard Larcher et Sophie Primas, sénateurs des Yvelines
À l'origine de la naissance des écoles privées en France, la sénatrice LR des Yvelines, Sophie Primas, est une ingénieur agronome, diplômée d'une école privée. Elle est proche du président du Sénat, notre confrère Gérard Larcher (à droite sur la photo). Ils font ici campagne ensemble lors des dernières élections sénatoriales. À titre personnel, la sénatrice est membre du conseil d'administration du groupe privé UniLaSalle qui projette de créer un école vétérinaire à Rouen. Photo L'Écho Républicain
Gérard Larcher et Sophie Primas, sénateurs des Yvelines
À l'origine de la naissance des écoles privées en France, la sénatrice LR des Yvelines, Sophie Primas, est une ingénieur agronome, diplômée d'une école privée. Elle est proche du président du Sénat, notre confrère Gérard Larcher (à droite sur la photo). Ils font ici campagne ensemble lors des dernières élections sénatoriales. À titre personnel, la sénatrice est membre du conseil d'administration du groupe privé UniLaSalle qui projette de créer un école vétérinaire à Rouen. Photo L'Écho Républicain
 

2028 ! Les premiers vétérinaires formés dans une école privée de France, sans doute à Rouen, ne seront pas diplômés avant 2028 au plus tôt. Députés et sénateurs, réunis en commission mixte paritaire (CMP), viennent en effet de se mettre d'accord pour la création d'écoles vétérinaires privées sous contrat. Cette disposition est inscrite à l'article 22 bis du projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 (voir LeFil du 29 octobre 2020). Sauf surprise, l'accord obtenu en CMP entre les députés et sénateurs sur l'ensemble du projet de loi devrait être voté à la fois à l'Assemblée nationale et le Sénat.

Après un accord en CMP, le vote en séance publique n'est plus qu'une formalité, le projet de loi ne pouvant plus être amendé, mais seulement adopté dans sa totalité ou… rejeté. Mais de tels rejets sont exceptionnels, les quatre derniers datent de 1963, 1977, 1983 et 2009… Il n'y a donc aucun doute, sauf énorme surprise, qu'une majorité de députés et de sénateurs voteront, à la demande du gouvernement, ce projet de loi, d'abord le mardi 17 novembre à l'Assemblée Nationale puis au Sénat.

Les réserves, les réticences, les hostilités

Sauf recours devant le Conseil constitutionnel, il est donc assez probable que cette loi sera promulguée avant la fin de l'année 2020 avec les modifications du code rural qui permettent la création d'écoles vétérinaires privées sous contrat. Les réserves de l'Ordre des vétérinaires, les réticences des syndicats et la franche hostilité des étudiants des quatre écoles nationales vétérinaires publiques n'auront convaincu ni le gouvernement, ni les députés, ni les sénateurs de renoncer à cette révolution.

Est-ce une formidable opportunité pour combler les déserts vétérinaires ruraux comme le prétendent les promoteurs de ces écoles privés ? Ils ont sans doute tort sur ce point. Car, à l'avenir, les besoins en vétérinaires « canins » seront bien plus élevés que pour les productions animales. Même si certaines zones rurales peinent cruellement, aujourd'hui et, sans doute demain encore, à y voir s'installer de jeunes vétérinaires.

Est-ce le début d'une formation vétérinaire à deux tarifs et deux vitesses comme le prétendent les détracteurs de ces écoles privés ? Voir — pire — le risque de voir les meilleurs enseignants des écoles vétérinaires publiques être attirés par de meilleurs salaires dans un groupe privé ?

Une sénatrice impliquée dans le groupe UniLaSalle

Il y a sans doute beaucoup de fantasmes des deux côtés. Le sujet ne laisse aucun vétérinaire de France indifférent. Mais les dés sont désormais jetés. À peine ouvert, le débat est clos sans qu'il y ait eu le temps d'une véritable réflexion ou concertation. La création ex nihilo d'une école vétérinaire privée, sans doute celle du groupe agricole UniLaSalle à Rouen, apparaît comme inéluctable. Ce n'est d'ailleurs sans doute pas un hasard, si la sénatrice, Sophie Primas, qui a défendu bec et ongles, la création d'une école vétérinaire privée dans ce projet de loi, est aussi, à titre personnel, membre du conseil d'administration du groupe UniLaSalle. C'est donc ce groupe qui sera sans doute le mieux placé pour défendre ses projets d'écoles vétérinaires dans le cadre de cette loi.

Néanmoins, cela prendra du temps. Après la promulgation de la loi fin 2020, il conviendra que le décret d'application soit publié. Au plus tôt, ce décret, soumis à l'examen du Conseil d'État, ne pourrait être publié que dans le courant du premier semestre 2021. Ce calendrier semble incompatible avec une ouverture d'une école privée pour la rentrée 2021 compte tenu du processus de sélection sur la plateforme Parcoursup. Pour la rentrée 2021, les quatre écoles nationales vétérinaires publiques commenceront déjà à recruter post-bac 120 élèves sur Parcoursup en prépa intégrée, trente par ENV.

Les 120 premiers diplômés de Rouen en 2028

Pour la rentrée 2021, la plateforme Parcoursup est ouverte à partir du 21 décembre 2020. Les lycéens peuvent y présenter leurs vœux à partir du 20 janvier 2021 et, au plus tard, jusqu'au 11 mars, date butoir pour formuler des vœux définitifs.

Avec ce calendrier, il apparaît assez difficile, voire impossible, que ce projet d'un nouveau campus vétérinaire privé puisse voir le jour à Rouen dès la rentrée universitaire de 2021, même à supposer que les locaux, les équipements puissent être prêts et que les enseignants puissent y être présents dès l'année prochaine. Il semble plus réaliste de prévoir une ouverture qu'à partir de la rentrée 2022. Compte tenu d'un cursus vétérinaire de six ans dans cette école privée, les premiers vétérinaires formés à Rouen seront ceux de la promotion Rouen 2028. !

Une formation privée agréée par le ministère de l'agriculture

Selon la nouvelle loi, les écoles supérieures privées relevant du ministère de l'agriculture pourront « assurer la formation initiale et continue de vétérinaires » comme c'est déjà le cas pour des écoles privées d'ingénieurs agronomes ou de paysagistes (article L. 813-10 du code rural). Il s'agira d'écoles privées à but non lucratif et agréées par le ministère de l'agriculture pour assurer la formation au diplôme d'état de Docteur Vétérinaire.

Le directeur de la formation vétérinaire de ces écoles privées sera nécessairement lui-même un vétérinaire diplômé. Le non-respect du code de déontologie par les vétérinaires enseignants de ces écoles privées sera sanctionné par le retrait de l'agrément. Ces écoles privées seront évaluées dans les mêmes conditions que les écoles nationales vétérinaires publiques.

Des frais de scolarité de 90 000 € sur six ans

Le groupe UniLaSalle a déposé un projet précis de création d'une cinquième école vétérinaire (privée) à Rouen auprès du ministère de l'agriculture. Ce groupe propose déjà de multiples formations en agronomie dans quatre campus à Beauvais, Amiens, Rennes et… Rouen. Mais, dans ce nouveau projet, c'est le campus de Rouen qui serait en capacité d'assurer la formation de 120 nouveaux vétérinaires par an sur une durée de six ans (soit un campus de 720 élèves vétérinaires au total à Rouen).

La sélection en première année se ferait directement post-bac à travers Parcoursup sans passage par les classes préparatoires. Le coût total des études est estimé à 90 000 € sur six ans, soit des frais de scolarité aux alentours de 15000 € par élève et par an ! Ce tarif s'approche des écoles de commerce parisiennes les plus prestigieuses. Il sélectionnerait alors davantage ces futurs élèves sur les capacités financières des parents en sus d'éventuels emprunts pour financer ces études.

À titre de comparaison, les droits de scolarité dans les ENV s'élèvent à 2531 € par an, soit 12 655 € pour les cinq ans d'études.

Une école privée ne suffit pas à remédier au manque de vétos

Les promoteurs de la création d'écoles vétérinaires privées font d'abord le constat d'un manque de vétérinaires en France. Les vétérinaires peinent à trouver des remplaçants ou des aides ou de futurs associés. Les besoins sont estimés à mille nouveaux vétérinaires par an, principalement pour les animaux de compagnie, un marché en plein essor. Les écoles vétérinaires ont augmenté leurs capacités de 35 % en huit ans, de 2012 à 2020. Mais, malgré cette forte hausse, elles ne forment finalement que 640 vétérinaires par an. Ce qui est donc très loin des besoins.

De fait, environ 45 % des nouveaux vétérinaires qui s'inscrivent à l'Ordre des vétérinaires pour exercer en France sont diplômés d'une autre école de l'Union européenne. De nombreux jeunes étudiants français qui n'arrivent pas à entrer dans les écoles vétérinaires françaises (ou ne souhaitent pas se confronter aux aléas et aux difficultés du concours véto) vont déjà se former en Belgique, en Roumanie, au Portugal, en Espagne… avant de revenir exercer en France. Hors de France, ces écoles européennes peuvent déjà être publiques ou privées. Certaines ont même développé des offres de formation francophones pour s'adapter à la demande de ces jeunes étudiants qui aspirent à devenir vétérinaires en France. Face au coût des études à l'étranger, la cinquième école — avec ces frais de scolarité très élevés — devrait sans doute recruter en priorité parmi ces jeunes bacheliers qui étaient jusque-là prêts à aller étudier au Portugal, en Espagne ou en Roumanie.

Les plus réticents sont les vétérinaires

Les plus réticents à une cinquième école privée sont les vétérinaires eux-mêmes. « Imaginer qu'il sera formé plus de vétérinaires ruraux parce qu'une école privée gérée par un organisme agricole [le groupe UniLaSalle] voit le jour me paraît peu réaliste » souligne le président le syndicat des vétérinaires libéraux (SNVEL). « C'est une mauvaise réponse à un vrai problème » ajoute le président de la Fédération des syndicats vétérinaires de France.

« Les droits d'inscription à 90000 € sur six ans favoriseront une classe sociale élevée pas nécessairement prête à s'installer dans les déserts vétérinaires ». Surtout si cette installation apparaît peu rentable pour rembourser le coût des études ou d'éventuels emprunts. Les étudiants actuels des écoles vétérinaires publiques sont aussi très hostiles à ce projet et l'ont fait savoir aux députés et aux sénateurs, sans parvenir à les faire changer d'avis.

Le risque d'affaiblir les écoles vétérinaires publiques

L'Ordre des vétérinaires ne s'oppose pas au principe de la création d'une école privée. À l'inverse il le juge « légitime ». Car il serait « injustifié de refuser en France ce qui est autorisé au sein de l'Union Européenne ». Il « estime donc normal et logique que des parlementaires se saisissent du dossier pour lever les obstacles législatifs et réglementaires » qui s'opposent aujourd'hui à la création d'une école privée.

Le risque est celui d'une formation vétérinaire à deux vitesses. Face à ce risque, l'Ordre juge « impératif » que les mêmes exigences de qualité de la formation s'appliquent aux écoles vétérinaires privées et publiques. Pas question que l'enseignement vétérinaire prévu soit une formation au rabais ou réserver à des futurs vétérinaires ruraux. Il rappelle le principe de « l'unicité du diplôme de docteur vétérinaire en France qui exclut, de facto, l'accès partiel à la profession vétérinaire ». Même dans une école privée, le titre de docteur vétérinaire ne peut être délivré qu'après soutenance d'une thèse. Pour l'Ordre, il n'est pas non plus question que la création de cette école privée — et le recrutement de ses enseignants — viennent affaiblir les écoles publiques en les dépossédant de son personnel.