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5 juin 2019

Si les filières animales françaises sont en chute de compétitivité, ce n'est pas la faute de l'élevage de ruminants

par Vincent Dedet

Temps de lecture  6 min

Compétitivité de la France par groupes de produits issus de l'élevage, 2000-2016 estimée au travers de ses trois composantes : compétitivité pure (ici en rouge), spécialisation géographique et spécialisation sectorielle (CEP, 2019).
Compétitivité de la France par groupes de produits issus de l'élevage, 2000-2016 estimée au travers de ses trois composantes : compétitivité pure (ici en rouge), spécialisation géographique et spécialisation sectorielle (CEP, 2019).
 

Les productions animales françaises décrochent à l'international, dans l'UE comme chez les pays tiers, alors qu'elles ont longtemps assumé leur vocation exportatrice. L'analyse publiée ce 28 mai par le Centre d'études et de prospective (CEP) du ministère de l'Agriculture enfonce le clou sur ce point, tout en soulignant que l'élevage de ruminants a – lui – constamment amélioré sa compétitivité depuis le début du siècle. La faute de ce bilan morose est « au moins en partie [liée à] l'essoufflement de la productivité du secteur aval », les industries agro-alimentaires.

Érosions

La note d'analyse reprend les points saillants d'un rapport commandé à une unité mixte de recherches de l'Inra sur la compétitivité des filières de productions animales (COMPANI). Les travaux ont été conduit entre la mi-2017 et la fin 2018 ; le rapport intégral, publié le même jour sur le site du ministère, est daté de décembre 2018. Cette note confirme d'abord que « les parts de marché des productions animales françaises à l'international et sur le marché domestique s'érodent ». Et – surtout – elle acte qu'il y a bien une « perte de compétitivité pure » pour « l'ensemble des productions animales ». Cette notion de compétitivité pure est issue d'un nouveau mode de calcul mis au point par les chercheurs de l'Inra, qui sépare « dans les évolutions de la performance à l'export, ce qui relève des spécialisations géographique et sectorielle et ce qui peut être attribué à d'autres facteurs (assimilés ici à la “compétitivité pure”) ». Cette baisse de compétitivité n'explique que « à hauteur de 50 % » la baisse de la France dans le total des exportations mondiales de productions animales. La spécialisation géographique (le fait de produire pour un marché spécifique, comme le broutard pour l'Italie) représente 40 autres pour cent de cette baisse et la spécialisation sectorielle (fait que l'offre française n'est pas adaptée à la demande des importateurs) les 10 derniers pour cent (voir le graphique principal). « Autrement dit, les exportations françaises de productions animales souffrent d'une moindre performance économique des entreprises du secteur, mais également d'une concentration des exportations sur des marchés peu dynamiques, principalement les grands marchés européens ». Les marchés les plus dynamiques comme « le Vietnam, la Pologne, la Chine, l'Indonésie ou encore l'Australie » ne sont investis qu'à la marge par les produits français, ce qui ne suffit pas à compenser le déficit de la balance commerciale engrangé sur l'UE. Et les plus mauvais élèves en termes de perte de compétitivité sont les filières monogastriques.

Productivité en élevages : +1,3 % par an

A l'échelle des élevages et pour la période 2002-2015, le rapport présente des gains de productivité nets pour les filières ruminants, de 1,3 % par an. « La plus faible augmentation concerne les exploitations de bovins lait (+ 0,6 % par an en moyenne) et la plus forte celle des exploitations de bovins viande (+ 1,6 %), les exploitations mixtes grandes cultures-herbivores (+ 1,2 %) et celles d'ovins-caprins (+ 1,2 %) étant dans une position intermédiaire ». Ces gains de productivité « seraient d'autant plus forts que les exploitations sont intensives en utilisation d'intrants, ce qui pourrait s'expliquer (bien que le lien de causalité ne soit pas établi), en partie par l'absence de prise en compte de biens environnementaux (ex : paysages) ou de pollutions générées dans la mesure de la productivité ». Le calcul est donc global et ne permet pas de valoriser les systèmes extensifs. En apparence, les filières ruminants sont donc plus compétitives, mais cette “bonne note” s'accompagne de deux commentaires. En premier lieu, elle ne « suffit pas à compenser les effets de spécialisations géographique et sectorielle défavorables (par exemple, pour les produits issus des élevages bovins, la France exporte en premier lieu des animaux vivants alors que la demande mondiale la plus dynamique concerne la viande), et ainsi à freiner l'érosion des parts de marché de la France pour ces produits ». En second lieu, les résultats relatifs aux petits ruminants sont « à interpréter avec prudence en raison du faible montant des exportations françaises de [ces] produits ». Il reste aussi que ce sont ces filières, qui étaient le plus en retard sur les parcours techniques, qui avaient le plus de marges de progrès à accomplir.

Productivité « atone » des IAA…

De la même manière, les chercheurs ont utilisé de nouveaux outils pour évaluer la productivité des « entreprises agroalimentaires des filières animales », et le résultat n'est pas vaillant : « la productivité dans le secteur des viandes n'a augmenté que de +0,2 % par an en moyenne sur la période [1995-2015]. Un même constat d'atonie est dressé pour le secteur des produits laitiers (fromages + 0,0 % et autres produits laitiers + 0,7 %) et pour les aliments pour animaux (- 0,7 %) » (voir le graphique ci-dessous).

Évolution de la productivité dans les industries des productions animales (Rapport COMPANI, 2018).

 

Pour évaluer si ce terne résultat peut être imputé au « coût du travail, en lien avec la fiscalité du facteur travail et les normes sociales », les rapporteurs ont « retenu comme mesure de la compétitivité de [chaque] filière sa capacité à rivaliser avec la concurrence étrangère sur son propre marché ». Et avec ce nouveau modèle, ils confirment que « le coût du travail est globalement plus élevé en France que chez ses principaux concurrents (Allemagne, Espagne, Italie, Pologne), mais inférieur à celui des pays aux niveaux de rémunération les plus élevés, comme le Danemark et les Pays-Bas ». Et ces différentiels de coût du travail « influent significativement sur la part des importations comparée à la consommation intérieure de produits domestiques ». En revanche, le poids d'une mesure visant à réduire ce différentiel ne pourrait être que limité car « les dépenses de personnel ne représentent qu'une faible part (un sixième) des charges d'exploitation des entreprises agroalimentaires, et à ce titre contribuent de façon limitée à la compétitivité-coût des filières ». Et cela aurait un impact divergent : favorable aux « industries de la viande de boucherie et de la préparation de produits à base de viandes », mais pas aux industries de produits laitiers.

La qualité mieux que le prix

Le rapport montre aussi que les produits étrangers sont plutôt bien reçus par les consommateurs français. Par exemple, « en moyenne sur l'ensemble des industries agroalimentaires, les produits italiens sont perçus comme légèrement supérieurs [aux produits français] en matière de qualité, avec des variations importantes selon les industries (qualité perçue supérieure pour la préparation de produits à base de viande ou les produits laitiers, mais inférieure pour les industries de viande de boucherie ou de viande de volailles) ». Et les chercheurs montrent, par modélisation, que « si la France augmentait la qualité de ses produits à un niveau comparable à celui de l'Italie, ses importations de produits animaux transformés diminueraient de 2,5 % », alors que si elle alignait ses coûts salariaux sur ceux de l'Allemagne, « les importations françaises de produits animaux transformés diminueraient en moyenne de 2 % ». Il y a donc plus à gagner du côté de la promotion de la qualité. A l'appui de ce résultat, le fait que, à produit et destination comparables, les entreprises françaises ont un gain de 11,5 % de valorisation si le produit dispose d'une appellation d'origine protégée (AOP).

Ainsi, ce ne sont pas les élevages qui sont à l'origine de la dégradation de compétitivité des filières françaises. Les pilotes du projet mentionnent donc la voie de la qualité parmi les 14 « pistes d'action à l'attention des décideurs publics » clôturant leur rapport. Cinq autres propositions visent l'amont, qui ne sont pas reprises dans l'analyse du CEP :

  • « conditionner l'attribution des aides publiques versées aux agriculteurs à la réduction des intrants (engrais, pesticides, soja importé) » ;
  • « cibler le soutien public vers les agriculteurs les moins efficients » ;
  • « mettre en place des dispositifs (assurances) qui stabilisent l'horizon économique des agriculteurs et leur permettent d'adopter de nouvelles technologies » ;
  • « préparer l'adoption des technologies numériques » par un « soutien financier ou une action collective pour aider les agriculteurs à partager les informations et les équipements » ;
  • « soutenir publiquement des programmes de formation pour diffuser les nouvelles pratiques et améliorer les compétences des agriculteurs ».