titre_lefil
Elanco & Proplan

9 décembre 2025

Les antibiotiques, c'est pas automatique que leur consommation descende, en humaine

par Vincent Dedet

Temps de lecture  4 min

Évolution des consommations et des prescriptions d'antibiotiques en France (hors Mayotte), de 2014 à 2024. Santé Publique France, 2025.
Évolution des consommations et des prescriptions d'antibiotiques en France (hors Mayotte), de 2014 à 2024. Santé Publique France, 2025.
 

Le titre du document de synthèse publié par Santé Publique France est explicite : « prescriptions d'antibiotiques en médecine de ville : augmentation en 2024 ». Car non seulement le creux de consommation observé pendant le Covid-19 est effacé, mais la consommation est repartie à la hausse en 2024. Et le slogan utilisé pour la campagne de sensibilisation ces dernières années n'a rien de remarquable (“les antibiotiques, bien soigner c'est d'abord bien les utiliser”), loin de la formule efficace de 2002, le fameux “les antibiotiques, c'est pas automatique”.

860 prescriptions pour 1 000 habitants !

En une seule année, l'augmentation de cette consommation en médecine de ville (qui représente 93 % des antibiotiques consommés en humaine) est donc environ de 5 %, selon les indicateurs :

  • exprimée en nombre de doses définies journalières (DDJ) pour 1 000 habitants et par jour, la consommation s'est établie en 2024 à 22,1 DDJ/1 000 habitants/jour, soit + 5,4 % par rapport à 2023 ;
  • exprimée en nombre de prescriptions pour 1 000 habitants et par an, la consommation a progressé en 2024 à 860,4 prescriptions/1 000 habitants/an, soit + 4,8 % par rapport à 2023.

Un autre mode de calcul précise que « 27,2 millions de patients ont eu au moins une prescription d'antibiotiques au cours de l'année, soit 40 % de la population totale ».

Objectif compromis

Pour les rapporteurs, ces augmentations ne sont « pas en faveur de la mise en œuvre sur le terrain des recommandations de la Haute Autorité de Santé [HAS] préconisant une réduction des durées d'antibiothérapie. En effet, la HAS préconise désormais des durées raccourcies pour des infections courantes comme l'angine à streptocoque (6 jours d'amoxicilline au lieu de 10), la cystite simple (1 à 3 jours au lieu de 7), ou encore la pneumonie communautaire non grave (5 à 7 jours au lieu de 7 à 10) ». Ainsi, les rapporteurs estiment que « l'objectif national de 650 prescriptions pour 1 000 habitants d'ici 2027 semble difficile à atteindre ». Mais ils retiennent un aspect positif : en moyenne, la consommation a diminué de 0,2 % par an entre 2014 et 2024. Ce qui laisse espérer, selon eux, que l'objectif européen de réduction « de -27 % d'ici 2030 reste accessible, à condition de maintenir une baisse annuelle soutenue ».

Différences de sexe et d'âge

Du fait de la fréquence des cystites, « la consommation d'antibiotiques est plus importante chez les femmes que chez les hommes ». C'est vrai à l'échelle de l'ensemble de la population, mais du fait de la classe d'âge 15-64 ans. « Pour les populations plus âgées (65-79 ans, 80 ans et plus), la consommation d'antibiotiques (en DDJ) est plus élevée chez les hommes (34,9 DDJ/1 000 hab/j vs 29,9 pour les 80 ans et plus en 2024), alors que le nombre de prescriptions demeure supérieur chez les femmes (1 229 vs 1 156 pour les 80 ans et plus, en 2024) ».

Régions Corse et PACA “dopées”

Les trois principales catégories de prescripteurs sont les médecins généralistes (75,6 % du total des prescriptions), les médecins spécialistes (12,2 %) et les chirurgiens-dentistes (11,9 %). Les premiers sont en nette augmentation sur un an (+6,2 %), les seconds de manière plus limitée (+1,5 %) et les derniers en stagnation (-0,2 %). Au plan régional, les mêmes classements qu'en 2023 prévalent : « les régions Corse et PACA sont les régions dans lesquelles la consommation en DDJ et les prescriptions sont les plus élevées, tandis que les régions Pays de la Loire, Bretagne, Auvergne-Rhône-Alpes ainsi que les régions d'Outre-Mer restent celles dans lesquelles elles sont les plus faibles ». Cette cartographie est le résultat d'une lente évolution : sur 10 ans (2014-2024), les consommations d'antibiotiques ont reculé en Bretagne (-7,5 %) et en Île-de-France (-9,5 %) mais augmenté en PACA (+2,5 %) et en Corse (+17,5 %).

Sensibilisations à revoir

Les rapporteurs estiment donc « crucial de renforcer les dispositifs de bon usage des antibiotiques, de mettre à disposition des outils diagnostiques rapides en soins primaires et de maintenir une sensibilisation continue des professionnels de santé comme du grand public, en particulier pendant les périodes d'épidémie ». Au titre de la sensibilisation du grand public, les détails d'une enquête conduite en 2024 pour évaluer l'impact des différentes campagnes sur les attentes et connaissances viennent d'être publiés. La première (“les antibiotiques, c'est pas automatique”), remonte à 2002, et avait eu un net succès : -26 % de consommation d'antibiotiques en 5 ans. Malheureusement, « les nombreuses autres campagnes n'ont pas rencontré le même impact ». Cette nouvelle étude, réalisée par la méthode des quotas (1 000 personnes adultes interrogées en France métropolitaine), « confirme que, globalement, les connaissances du public sur les antibiotiques sont similaires à ce qu'elles étaient avant la campagne médiatique la plus importante menée sur ce sujet en France. Si une certaine amélioration est apparue initialement, elle est souvent restée superficielle ».

Pas mieux que 2022

Plus précisément, la connaissance de la fonction des antibiotiques reste limitée : 57 % des répondants savent qu'ils tuent les bactéries, et c'est le meilleur score depuis le début des enquêtes. Toutefois, moins d'un jeune adulte sur deux (49 %) le sait, contre 64 % des séniors (p<0,001). De même, « 30 % des personnes interrogées estimaient qu'il était judicieux de garder un antibiotique à la maison “au cas où” (contre 17 % en 2006, p < 0,001) ». Et sur l'ensemble des connaissances, les lignes n'ont pas franchement bougé (voir le graphique ci-dessous), avec une exception : « les connaissances sur la grippe et la rhinopharyngite sont passées de 26 % en 2002 à 44 % (p < 0,0001) et de 17 % à 38 % (p < 0,0001), respectivement, mais la progression à partir de 2007 n'a été que de +4 % pour la grippe et de +3 % pour la rhinopharyngite ».

Pourcentage de réponses correctes sur les antibiotiques au fil 22 dernières années (même questionnaire, même méthodologie d'enquête). Les chiffres en gras indiquent le pourcentage maximal observé au fil des années. Lanoix, 2025.

 

L'auteur de l'étude conclut qu'il « serait judicieux de passer d'un modèle de publicité informative à un programme éducatif national ; sinon, la surconsommation d'antibiotiques pourrait bien causer notre perte »