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Elanco & Proplan

12 février 2024

Validation préliminaire d'un marqueur du statut des chats en vitamine B6, et propositions de supplémentation

par Vincent Dedet

Temps de lecture  5 min

Une étude américaine propose un marqueur du statut des chats en vitamine B6 : il s'agit de mesure l'activité d'une enzyme intra-érythrocytaire, en l'absence de son substrat puis en présence du substrat à saturation, et de calculer le ratio d'activation (PAR) de cette enzyme. Ce ratio d'activation est significativement associé à l'âge, chez les sujets bien portants (à gauche) comme malades (Chu et coll., 2024).
Une étude américaine propose un marqueur du statut des chats en vitamine B6 : il s'agit de mesure l'activité d'une enzyme intra-érythrocytaire, en l'absence de son substrat puis en présence du substrat à saturation, et de calculer le ratio d'activation (PAR) de cette enzyme. Ce ratio d'activation est significativement associé à l'âge, chez les sujets bien portants (à gauche) comme malades (Chu et coll., 2024).
 

« Pour la première fois, un biomarqueur fonctionnel du statut en vitamine B6 a été obtenu chez des chats domestiques et a permis de définir clairement la carence en vitamine B6 » écrivent des cliniciens et biologistes de la faculté vétérinaire d'UC Davis (USA), qui viennent de publier leurs résultats dans un journal du groupe Nature. La validation de ce marqueur et l'évaluation des indications potentielles d'une supplémentation en vitamine B6 de « jeunes chat ou de chats adultes atteints d'une maladie infectieuse, chronique ou aiguë, à des chats en bonne santé dont le poids corporel est optimal ou excessif [ou encore] à des chats plus âgés, même en bonne santé de poids insuffisant à optimal » repose sur l'étude de deux cohortes d'animaux.

160+ fonctions catalytiques

Car la littérature est fruste sur la vitamine B6 chez le chat : entre 1959 et 1998, seules 8 études originales ont été publiées et aucune ne s'est intéressée à l'évolution du statut des animaux en fonction de l'âge. L'une des raisons de cette rareté est que le terme “vitamine B6” recouvre en fait six composés interconvertibles, qui « partagent une structure 2-méthyl-3-hydroxypyridine avec des substituants variables en positions C4 et C5 », dont le pyridoxal 5′-phosphate (PLP), qui est la forme co-enzyme de cette vitamine, et intervient dans plus de 160 fonctions catalytiques, y compris en lien avec les neurotransmetteurs. Pour ce qui est du marqueur de statut en vitamine B6, les auteurs sont partis de la médecine humaine.

Deux cohortes

Comme la PLP est fortement présente dans les érythrocytes, mais que cette présence n'indique pas son activité, les auteurs ont donc utilisé le dosage l'activité de la glutamate-oxaloacétate transaminase (GOT) dans les globules rouges (la mesure se fait sur l'hémolysat). Ils mesurent ainsi l'activité basale de la GOT des érythrocytes, puis celle induite par l'ajout in vitro de concentrations saturantes de PLP. « Les résultats sont le rapport d'activation primaire et le rapport d'activité spécifique obtenus avec et sans ajout de PLP ». Ils ont donc d'abord testé la réalisation de cette mesure chez le chat, puis ont évalué son utilité à partir de prélèvements réalisés sur deux cohortes de chats :

  • 41 femelles et 6 mâles, de 1 à 17 ans d'âge, au sein d'une colonie de 60 chats entiers, maintenue à haut statut sanitaire, au sein de l'université, « dans des conditions strictement contrôlées et avec une alimentation appropriée ». Tous ces animaux sont en bonne santé ;
  • un ensemble de 57 chats, choisis au hasard parmi ceux reçus à l'hôpital universitaire entre décembre 2022 et janvier 2023, présentant des affections diverses, et pour lesquels une prise de sang était disponible.

Moins de vitamine B6 chez les vieux

La grille de note d'état utilisée allait de 1 (très maigre) à 9 (obésité morbide), avec une note optimale à 5. Pour les sujets de la colonie, la moyenne des 47 sujets était à 5,1. Il y avait une augmentation non significative (p=0,07) de la note avec l'âge des sujets. La mesure d'activité de la GOT sans addition de PLP décroît significativement avec l'âge ; la pente se réduit nettement pour la mesure d'activité avec PLP à saturation. Lorsqu'ils calculent le ratio d'activation (PAR), les auteurs observent que, en prenant les seules femelles ou les deux sexes, il y a une augmentation linéaire de ce ratio avec l'âge (p<0,0001, voir l'illustration principale). Cela reflète des niveaux moindres de vitamine B6 chez les sujets âgés, ou plus exactement que la concentration en PLP de leurs érythrocyte y est « suboptimale pour un activité maximale de la GOT ».

Malades : lien à l'âge moins significatif

Les chats en consultation à l'hôpital universitaire (35 mâles et 19 femelles, tous stérilisés sauf un mâle) étaient âgés de 3 mois à 17 ans et la publication détaille leurs données individuelles (race, aliment reçu, diagnostic de l'affection). Comme précédemment, il n'y avait pas d'association statistique entre l'âge de ces sujets et la note d'état. Cette fois-ci, il n'y avait pas non plus d'association statistique de l'activité de la GOT (avec et sans saturation de la PLP) avec l'âge des sujets. Il y en avait bien une, en revanche, pour le ratio d'activation (p=0,02).

Déficients de tous âges

Grâce à la modélisation de ces données, les auteurs ont conçu une équation permettant de calculer un seuil par âge des chats pour la détermination d'un statut carencé en vitamine B6. Pour le valider, ils ont regroupé ensemble les sujets des deux groupes qui apparaissent alors carencés en B6 (6 dans la chatterie, 11 dans la cohorte de malades). Ces sujets sont de tous âges, et il y a 41 % de femelles parmi eux ; ils se répartissent aussi de manière homogène pour la note d'état (<5, à 5 et > 5). « La plupart des chats déficients en vitamine B6 étaient dans la tranche d'âge jeune-adulte. Pour les âgés, ce sont ceux étant maigres à normaux qui étaient associés à une déficience ». Le nombre de sujets malades était limité, ne permettant pas d'établir d'associations statistiques, mais les auteurs observent que ces animaux déficients étaient avant tout atteints de maladie chronique (59 %), devant une affection aiguë (24 %) ou infectieuse (12 %).

Intelligence artificielle et arbre décisionnel

Ils ont alors confié à une intelligence artificielle la tâche d'établir un arbre décisionnel, à partir d'un apprentissage supervisé des données des 101 sujets de l'étude. Ce qui fournit un modèle indiquant que les chats présentant la probabilité la plus élevée de déficience en B6 sont :

  • les jeunes (y compris jeunes adultes) présentant une infection, aiguë ou chronique ;
  • les jeunes (y.c. adultes) en bonne santé mais en surpoids ;
  • les sujets plus âgés (de mûrs à gériatriques) ayant un état corporel maigre à optimal.

Ainsi, les auteurs n'estiment « pas déraisonnable de suggérer une supplémentation de 50 % en B6 sous forme de complexe B, ou en B6 administrée séparément, chez les chats juniors-adultes souffrant de l'une des pathologies mentionnées ci-dessus ou chez les chats sains ayant un poids corporel allant de normal à excessif ». Pour les sujets plus âgés, « un faible apport alimentaire et/ou une malassimilation liée à l'âge pourraient jouer un rôle dans l'état de déficience en B6, compte tenu des besoins énergétiques accrus et de la digestibilité compromise chez les chats âgés, ce qui est lié à une proportion plus élevée de chats âgés avec des notes d'état corporel inférieures ». Il sera intéressant de suivre les valeurs de PAR de ces animaux une fois supplémentés en vitamine B6, pour confirmer l'intérêt de ce nouveau marqueur – et de l'équation associée permettant de calculer les valeurs seuils par âge. Enfin, les auteurs relèvent que, contrairement à l'humain, il n'apparaît pas d'effet sexe dans les facteurs prédisposant à une déficience en vitamine B6 – mais chez les humains, il n'y a pas de sujets stérilisés…