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Elanco & Proplan

19 décembre 2025

Contre l'œil sec du chat anesthésié : appliquer un lubrifiant toutes les 15 min. en per- puis postopératoire

par Agnès Faessel

Temps de lecture  5 min

D'après Haubrich et al., JFMS, 2025.
D'après Haubrich et al., JFMS, 2025.
 

Une anesthésie générale entraîne une sécheresse oculaire potentiellement délétère. On le savait. Mais la cornée des chats semble particulièrement sensible. Et selon les résultats d'une étude prospective canadienne, l'application d'un lubrifiant oculaire, bien que bénéfique, ne suffit pas à prévenir totalement l'érosion cornéenne.

42 chats et 84 yeux suivis

L'étude a été menée à l'école vétérinaire de Saskatoon, sur 42 chats placés sous anesthésie générale pour une intervention n'impliquant pas les yeux (principalement des stérilisations). Ces chats n'avaient pas d'historique de lésions ni de maladies oculaires, et un traitement susceptible d'altérer la production de larmes était un critère d'exclusion (morphiniques ou sédatifs, par exemple).

Un examen ophtalmologique complet avait été réalisé en amont de l'anesthésie, sur les deux yeux (soit 84 au total), comprenant en particulier un test de Schirmer et un test à la fluorescéine. Ces deux tests étaient répétés à l'issue de l'intervention (1 heure après l'extubation), puis toutes les heures durant 4 heures afin de mesurer l'évolution de la production lacrymale et de détecter l'existence de lésions érosives de la cornée, superficielles (sans pénétration dans la membrane basale) ou plus profondes (ulcères). Le suivi n'a pas été prolongé au-delà, car en règle générale, les chats étaient alors rendus à leurs propriétaires.

Une lubrification préventive des yeux était réalisée. Son intérêt pour limiter les lésions cornéennes liées à l'anesthésie a été démontrée, chez l'homme et chez le chien, mais pas chez le chat. Le conforter dans cette espèce était l'un des objectifs de cette étude.

Conformément aux habitudes en vigueur dans l'établissement, l'application du gel lubrifiant été commencée dès l'induction de l'anesthésie, puis répétée toutes les 15 minutes, jusqu'à l'extubation.

Diminution significative et durable des larmes

Les résultats montrent une réduction significative de la production lacrymale secondaire à l'anesthésie, dans les deux yeux (voir figure en illustration principale).

Cette diminution est durable. Elle a été observée durant les 4 heures postopératoires ici, et de manière particulièrement marquée 2 heures et 3 heures après l'extubation. Mais d'autres travaux ont montré sa persistance durant 18 heures chez le chat (et même 24 heures chez le chien).

Érosions superficielles dans un tiers des cas

Aucun cas d'ulcère de la cornée n'a été détecté. Et aucun chat n'a été amené en consultation ultérieurement pour le développement d'un ulcère.

En revanche, des érosions superficielles ont été fréquemment mises en évidence, chez 14 chats (soit un quart de l'effectif) et sur 23 yeux (soit 27,4 %) : les lésions étaient bilatérales 9 chats et unilatérales (à droite) chez les 5 autres.

Ces lésions ont été observées chez ces 14 chats dès la première mesure postopératoire (1h après la fin de l'anesthésie), et ont persisté ensuite jusqu'à la fin du suivi.

La proportion des yeux atteints est supérieure à celle rapportée chez le chien dans les mêmes conditions de traitement (lubrifications oculaires régulières), qui se situe entre 8 et 19 %. L'espèce féline apparaît donc plus sensible à ces lésions, potentiellement en lien avec une position plus frontale des yeux que dans l'espèce canine.

Impact significatif du décubitus

L'érosion cornéenne secondaire à l'anesthésie générale est multifactorielle. Sa pathogénie reste méconnue. Toutefois, outre la diminution de la production lacrymale, de nombreux facteurs liés à l'animal, à l'anesthésie et à l'intervention pourraient y contribuer, en particulier : la lagophtalmie (fermeture incomplète des paupières), la disparition du clignement des yeux ainsi que des réflexes protecteurs, la myorelaxation oculaire, la conformation du crâne (avec des yeux saillants chez les brachycéphales), la position de l'animal (qui modifie l'exposition des yeux), d'éventuels traumatismes directs, le protocole anesthésique et analgésique (molécules utilisées), la durée de l'anesthésie, le stress de l'hospitalisation…

Tous ces facteurs n'ont pas pu être évalués dans cette étude, par manque de données ou de diversité de l'échantillon (morphologie et âge des chats inclus par exemple). De même, le protocole anesthésique, et plus généralement les traitements médicaux, n'étaient pas imposés (ils étaient déterminés selon le cas et la chirurgie effectuée, sans interférence avec cette étude), ce qui limite la portée de l'analyse les concernant.

Ainsi, seuls deux facteurs significatifs ont été identifiés ici :

  • l'usage de butorphanol ou d'hydromorphone (versus méthadone) en prémédication (risque multiplié par 4,5), ce qui suggère d'étudier l'intérêt de préférer la méthadone lors de chirurgie oculaire ou de lésion préexistante ;
  • l'exposition de l'œil, en lien avec la position chirurgicale de l'animal.

En effet, les cas de lésions cornéennes bilatérales ont été quasi exclusivement observés sur les chats opérés en décubitus dorsal (8 cas sur les 9) tandis que les lésions unilatérales touchaient ceux placés en décubitus latéral (5/5), avec préférentiellement l'œil droit affecté lors de placement en décubitus gauche.

Lubrifier durant 24 heures ?

L'objectif ultime des chercheurs était de préciser le protocole de lubrification préventive à mettre en œuvre. Mais le manque de suivi des chats au-delà de 4 heures post-extubation empêche de déterminer la durée de traitement optimale (jusqu'à récupération de la production lacrymale initiale). Selon les auteurs, les connaissances actuelles amènent à conseiller de lubrifier régulièrement les deux yeux, durant l'intervention comme ici, puis jusqu'à 24 heures après le réveil.