titre_lefil
Elanco & Proplan

23 décembre 2025

L'ours en peluche, acteur de la première déconnection avec la nature ?

par Vincent Dedet

Temps de lecture  5 min

Une étude française a évalué en quoi 436 modèles d'ours en peluche se rapprochent de la réalité anatomique et des couleurs des 11 espèces et sous-espèces d'ours sur la planète. Et la réponse fait conclure aux auteurs que l'ours en peluche est probablement le premier élément induisant une déconnection de l'enfant à la nature. Illustration : LeFil avec ChatGPT.
Une étude française a évalué en quoi 436 modèles d'ours en peluche se rapprochent de la réalité anatomique et des couleurs des 11 espèces et sous-espèces d'ours sur la planète. Et la réponse fait conclure aux auteurs que l'ours en peluche est probablement le premier élément induisant une déconnection de l'enfant à la nature. Illustration : LeFil avec ChatGPT.
 

Cela ne va pas plaire au père Noël… Parce qu'il est « trop mignon pour être sauvage », l'ours en peluche est considéré par cinq chercheurs français comme le premier acteur de la déconnection des enfants avec la nature. Ils détaillent leur raisonnement dans une courte communication publiée cet automne, et proposent de revenir à une palette d'animaux en peluche plus proches de la réalité.

Chaleur, réconfort, sécurité…

« Pour de nombreux Occidentaux, le tout premier lien intime et émotionnel avec la nature ne provient peut-être pas d'une promenade en forêt, mais plutôt d'une exposition précoce à des représentations de la nature, à travers des livres illustrés, des jouets ou des animaux en peluche ». Qualifiées par la psychanalyse « d'objets transitionnels », ces peluches « offrent chaleur, réconfort et un sentiment de sécurité lors des premières rencontres de l'enfant avec le monde ». Et ce que pointent les auteurs, c'est que l'ours est le premier de ceux-ci, encore aujourd'hui. Une enquête réalisée par quatre des cinq co-auteurs auprès de plus de 11 000 Français, âgés de 3 à 92 ans et publiée cette année (l'enquête était baptisée “Mission NOUNOURS”), montre en effet que 86 % se souviennent d'avoir eu un animal en peluche pendant leur enfance. Et le premier d'entre eux est l'ours (45 %), loin devant le lapin (13 %) et le chien (7 %).

473 modèles d'ours

Pour mieux cerner la nature des relations « sensorielles et émotionnelles » à l'ours en peluche, ces auteurs français ont donc réalisé deux études. La première (réalisée auprès de 400 volontaires) montre que « la perception du confort est principalement déterminée par des caractéristiques kinesthésiques [perception consciente de la position ou des mouvements des différentes parties du corps] et olfactives, notamment la douceur et l'attrait tactile, ainsi que l'odeur de la peluche ». La seconde a exploré le seul aspect visuel, en proposant à plus de 11 000 participants des images de 436 modèles d'ours en peluche. Elle montre que les trois dimensions « beauté, confort et motivation pour les soins (…) sont fortement corrélées et statistiquement réductibles à une variable latente : le fait d'être mignon ». Et ce dernier caractère est lié à la douceur attendue (à partir de l'image) et à ses couleurs. Et là, les avis divergent : pour les adultes, les couleurs préférées sont neutres (se rapprochant plus de l'animal originel). Les enfants préfèrent des couleurs saturées, voire vives. Et les ours à gros museau et grands yeux « donnent plus envie de leur prodiguer des soins ».

Plus ou moins près des “vrais” ours ?

Et bref, « tous ne se valent pas ». Mais pour les auteurs, cela interroge : « en quoi les caractéristiques qui expliquent l'attachement émotionnel aux ours en peluche sont-elles liées à l'espèce même qu'ils sont censés représenter ? Dans quelle mesure sont-elles fidèles à leur homologue naturel ? ». Cela leur est important car « de plus en plus d'études [d'autres équipes] montrent que la proximité émotionnelle avec la nature dans la petite enfance est un facteur prédictif important des attitudes et des comportements pro-environnementaux à l'âge adulte ». Et vue la crise actuelle de la biodiversité, une attitude précoce favorable à la nature serait utile. Dans cette optique, les auteurs ont comparé les caractères morphologiques (« morphométriques », même) et de couleur, des 436 ours en peluche précités avec celles de 11 espèces et sous-espèces d'ours présentes sur la planète (y compris le grand panda). Sans réelle surprise, l'analyse en composantes principale montre que les “vrais” ours forment un groupe relativement homogène qui est distant du groupe des ours en peluche “mignons”. Et, dans le groupe des “vrais” ours, l'espèce qui se rapproche le plus du groupe “mignons” est le… grand panda.

Attentes irréalistes et naïves

Pour les auteurs, ces résultats « révèle[nt] plus qu'une simple préférence esthétique ; cela signale une divergence entre les représentations de l'ours à travers lesquelles nous tissons des liens émotionnels et les animaux réels qui existent dans la nature ». Ce qui « risque d'engendrer des attentes irréalistes et naïves vis-à-vis de la faune sauvage ». Avec l'urbanisation croissante, les modes de vie numériques et le moindre temps passé dehors, cela participe « à la perte progressive d'interactions directes et chargées de sens avec le monde vivant ». Et ce avec d'autant plus d'impact que cela survient dans l'enfance, où les effets sont « renforcés » : « lorsque les premiers modèles émotionnels des enfants concernant la nature sont dominés par des formes idéalisées, leurs points de vue ultérieurs sur la biodiversité, la conservation et le comportement animal peuvent être davantage ancrés dans des biais esthétiques et des références imaginaires que dans la réalité écologique ». Ce qui pourrait les conduire dans leur vie adulte à un « engagement [qui], bien qu'animé de bonnes intentions, peut se révéler écologiquement naïf et trompeur ».

Pour remédier à ce premier pas vers la déconnection de la nature, ils proposent aux fabricants de peluches comme aux (grand) parents de « diversifier la palette de peluches pour y inclure des formes écologiquement réalistes, des espèces aux morphologies et colorations plus fidèles à la réalité, [qui] pourrait contribuer à rétablir un certain équilibre entre le lien émotionnel et la réalité biologique. Renforcer la pertinence émotionnelle de la biodiversité grâce à des objets tangibles constitue en effet un complément simple et efficace aux actions de sensibilisation traditionnelles à la conservation ».

Toute l'équipe des rédacteurs du Fil vous souhaite de très belles fêtes de fin d'année, et…