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29 mars 2024

L'Anses recommande des valeurs limites d'exposition professionnelle au protoxyde d'azote

par Vincent Dedet

Temps de lecture  4 min

Le protoxyde d'azote n'est pas utilisé qu'en anesthésie (où son usage remonte à 150 ans), mais aussi dans l'industrie agro-alimentaire et dans les carburants de fusée… L'Anses vient de répondre à une saisine du ministère du Travail, de la Santé et de la Solidarité en recommandant des valeurs seuils d'exposition des professionnels à ce gaz (cliché DR).
Le protoxyde d'azote n'est pas utilisé qu'en anesthésie (où son usage remonte à 150 ans), mais aussi dans l'industrie agro-alimentaire et dans les carburants de fusée… L'Anses vient de répondre à une saisine du ministère du Travail, de la Santé et de la Solidarité en recommandant des valeurs seuils d'exposition des professionnels à ce gaz (cliché DR).
 

Pour limiter les effets négatifs du protoxyde d'azote sur la santé des professionnels qui l'utilisent, l'Anses vient de recommander de limiter à 25 ppm sur une période de 8 heures les expositions à ce gaz et, de façon plus pragmatique, à 125 ppm sur 15 minutes. Ces seuils correspondent respectivement à 45 et 225 mg de N2O par mètre cube d'air. C'est ce qui ressort d'un avis datant de février mais publié en ligne fin mars par l'Anses, et qui repose sur une expertise collective examinant les effets de ce gaz sur la santé.

Le moins possible

Malgré ces seuils proposé, l'Anses « recommande aux employeurs de mettre en place des mesures permettant de limiter au niveau le plus faible possible l'exposition au protoxyde d'azote lorsque son utilisation ne peut être évitée ». Il s'agit pour le moment d'une recommandation sans obligation réglementaire. L'Anses précise qu'il existait déjà une recommandation de limiter à 25 ppm la concentration en N2O dans l'atmosphère des locaux où il est utilisé, dans une circulaire de la Direction générale de la santé, relative à la distribution des gaz à usage médical et qui date de 1985. Toutefois cette circulaire ne concernait que le milieu de soins. Or d'une part, le N2O est utilisé dans de nombreux autres milieux professionnels hors de ce champs (vétérinaire pour commencer, mais aussi industries alimentaires : c'est le gaz utilisé dans les bombes de chantilly, comme propulseur, et c'est un additif alimentaire – E942 – ou simplement pour gonfler des ballons…) et d'autre part, une étude publiée fin 2016 par l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) a mesuré « en milieu hospitalier des concentrations parfois très supérieures aux 25 ppm recommandés et pouvant atteindre parfois plusieurs centaines de ppm ». Pour l'Anses, il y a donc bien « nécessité de disposer d'une valeur règlementaire dans le Code du travail » pour ce seuil d'exposition au N2O.

Effets indésirables

Car les effets de l'exposition au protoxyde d'azote sur la santé sont détaillés dans le document mis en ligne par l'agence (son avis fait 12 pages ; le rapport d'expertise collective qui a donné lieu à cet avis en compte 160). En un mot, ces effets du gaz hilarant ne font pas tous sourire… Un avis antérieur de l'Anses, en lien avec l'usage récréatif de ce gaz, relevait des « effets indésirables pouvant être sévères, tels que des troubles du rythme cardiaque, un risque d'asphyxie, des troubles psychiques et des atteintes neurologiques ». Car ce gaz est « très volatil et rapidement absorbé par inhalation. Il est rapidement distribué dans les tissus richement vascularisés et pénètre facilement dans le cerveau. Il est rapidement excrété sous sa forme inchangée par les poumons. Le N2O est également capable de franchir la barrière placentaire ».

Cognition, lymphocytes, fertilité ?

Les effets nerveux d'une exposition sur quelques heures sont considérés comme réversibles et sont avant tout cognitifs. Lors d'exposition chronique, différents travaux indiquent une baisse de vigilance, du temps de réaction et des troubles de l'humeur au-dessus de 25 à 50 ppm, selon les données synthétisées par les experts. Toutefois, l'exposition à ce gaz a aussi des effets hématologiques, avec en particulier une réduction des lymphocytes T auxiliaires, dose-dépendante chez les professionnels régulièrement exposés (anesthésistes). Des effets génotoxiques « faibles » ont aussi été observés pour des expositions approchant les 100 ppm. Enfin, « deux études épidémiologiques menées auprès de travailleurs sont disponibles chez l'Homme. Les résultats positifs, obtenus dans ces études, notamment concernant la diminution du taux de fécondité, ne sont pas suffisants pour conclure à un effet chez l'Homme ». Toutefois, des études animales « soulèvent des préoccupations claires quant à la fertilité des femelles exposées au N2O » d'une part, et « soutiennent des effets potentiels sur la fertilité des mâles » d'autre part.

Seuil protecteurs et méthodes de mesure

Les seuils proposés par l'Anses « vise[nt] à éviter l'altération des performances cognitives, qui est l'effet apparaissant aux concentrations les plus faibles, selon les données actuellement disponibles ». Ansi, ces seuils « devrai[en]t également protéger les professionnels des effets sur les systèmes immunitaire et hématologique, ainsi que sur le développement. En revanche, le respect de cette valeur ne permet pas d'exclure d'éventuels effets sur la fertilité en l'absence de données humaine et animale fiables ». L'avis a aussi comparé 6 méthodes de mesure de la concentration en N2O dans l'air, et en retient :

  • une pour le contrôle de l'exposition sur 15 minutes (il s'agit du « prélèvement actif sur support adsorbant suivi d'une désorption thermique et d'une analyse par chromatographie gazeuse couplée à un détecteur à capture d'électrons ou détecteur de conductivité thermique ») ;
  • et deux pour le contrôle de l'exposition sur 8 heures (« prélèvement passif sur support adsorbant suivi d'une désorption thermique et analyse par spectroscopie infrarouge ; échantillonnage passif sur un support adsorbant suivi d'une désorption thermique et d'une analyse par chromatographie gazeuse couplée à un détecteur à capture d'électrons ou détecteur de conductivité thermique »).

Enfin, l'avis rappelle que le N2O « s'accumule dans l'atmosphère avec une durée de vie d'environ 114 ans et contribue à l'effet de serre et à la destruction de la couche d'ozone ».