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23 avril 2024

Mesure de la bilirubine sérique : un outil pour détecter les obstructions des voies biliaires chez le chat

par Corinne Descours-Renvier

Temps de lecture  4 min

Les chats présentant une hyperbilirubinémie sévère, voire très sévère, ont davantage de risque de souffrir d'une obstruction des voies biliaires, selon une étude rétrospective britannique récente (Crédit SbytovaMN).
Les chats présentant une hyperbilirubinémie sévère, voire très sévère, ont davantage de risque de souffrir d'une obstruction des voies biliaires, selon une étude rétrospective britannique récente (Crédit SbytovaMN).
 

Qu'est-ce qui se cache derrière une hyperbilirubinémie dans l'espèce féline ? Pour tenter d'éclairer cette question, des cliniciens universitaires britanniques ont réalisé une étude multicentrique rétrospective, qui leur permet de fournir plusieurs orientations.

Distinguer les causes d'hyperbilirubinémie

L'origine d'une hyperbilirubinémie (concentration sérique en bilirubine totale supérieure à 0,58 mg/dl, soit 10 μmol/l) est soit pré-hépatique (hémolyse), soit hépatique (dysfonctionnement hépatocytaire), soit post-hépatique (obstruction extra-hépatique). La distinction est parfois difficile à réaliser en pratique. Les auteurs s'intéressent plus particulièrement aux cas d'obstruction des voies biliaires chez le chat. Dans ce type de pathologie, la réussite du traitement chirurgical repose en effet par la rapidité du diagnostic. Même si l'échographie abdominale permet de différencier lésions hépatiques et obstruction extra-hépatique, cet examen n'est pas toujours réalisable en pratique. La mesure de la concentration sérique en bilirubine totale pourrait dans ce cas s'avérer un moyen simple d'orienter le diagnostic des praticiens.

Étude rétrospective sur plus de 200 chats

Les chercheurs ont analysé les dossiers de 216 chats présentant une hyperbilirubinémie. Ils avaient consulté entre janvier 2015 et août 2022 dans l'un des trois hôpitaux vétérinaires spécialisés en référés ayant anonymisé ces dossiers. Chez ces animaux, quatre niveaux d'hyperbilirubinémie a été distingués, à partir des données du BSAVA Manual of Feline Practice: A Foundation Manual (British Small Animal Veterinary Association; 2013) :

  •  “légère” (au-delà de 0,58 et jusqu'à 2,92 mg/dl, soit au-delà de 10 et jusqu'à 50 μmol/l),
  • “modérée” (au-delà de 2,92 et jusqu'à 5,85 mg/dl, soit au-delà de 50 et jusqu'à 100 μmol/l),
  • “sévère” (au-delà de 5,85 et jusqu'à 11,70 mg/dl, soit au-delà de 100 et jusqu'à 200 μmol/l),
  • ou “très sévère” (au-delà de 11,70 mg/dl, soit au-delà de 200 μmol/l).

Diversité des races

Dans cette étude, 139 animaux (soit 64,3 %) sont des mâles et 77 (soit 35,6 %) des femelles. L'âge moyen des chats est de 7,9 ans. Les deux tiers des cas sont des chats Européens (n = 131), éventuellement à poils longs (15). Parmi les chats de race concerns figurent avant tout le British (15), puis le Maine Coon (8), les Bengal (7), Ragdoll (7), Burmese (5), Persan (4), Tonkinois (4), Birman (3), Oriental (2), Savannah (2), Siamois (2), Sibérien (2), Balinais (1), Exotic Short Hair (1), Havana Brown (1), Munchkin (1) et Norvégien (1). Il n'y a donc pas de prédisposition raciale suspectée. La concentration sérique en bilirubine totale médiane est évaluée ici à 1,73 mg/dl (valeurs comprises entre 0,59 et 26,15 mg/dl), soit 29,5 μmol/l (valeurs comprises entre 10,1 et 447,1 μmol/l). L'hyperbilirubinémie est légère dans 68,1 % des cas, modérée dans 17,6 %, sévère dans 9,7 % et très sévère dans seulement 4,6 %.

Une origine identifiée dans plus de 60 % des cas

Les trois principales causes d'hyperbilirubinémie identifiées parmi ces 216 cas sont :

  • les atteintes des voies biliaires (55 cas, soit 25,4 %) : cholangites/cholangiopathies (41), masse biliaire (7), cholélithiase (6) et hernie diaphragmatique (1) ;
  • les affections du parenchyme hépatique (23 cas, soit 10,7 %) : néoplasie primaire ou secondaire (13), lipidose hépatique (5), hépatite/hépatopathie (3) et fibrose hépatique congénitale (2) ;
  • et enfin la péritonite infectieuse féline (PIF) (18 cas, soit 8,3 %).

Sont également rapportés 17 cas d'atteinte du pancréas, 14 cas d'hémolyse et 9 de choc septique. Enfin, dans 80 cas (soit 37 %), l'origine de l'hyperbilirubinémie n'a pas pu être identifiée, mais des comorbidités ont été relevées chez chacun des chats concernés : traumatisme, insuffisance rénale, entéropathie...

Localisation des lésions peu informative…

Chez les 41 chats présentant une hyperbilirubinémie d'origine pré-hépatique, la concentration sérique en bilirubine totale médiane est évaluée à 1,26 mg/dl (variation de 0,64 à 9,94 mg/dl). Elle atteint 2,4 mg/dl (variation de 0,59 à 21,12 mg/dl) chez les 64 chats dont les lésions sont hépatiques et 3,92 mg/dl (variation de 0,61 à 26,15 mg/dl) chez les 31 dont les lésions sont post-hépatiques. Il n'a toutefois pas été possible de mettre en évidence de différences statistiquement significatives entre ces trois groupes. Chez les animaux pour lesquels aucune cause d'hyperbilirubinémie n'a pas pu être identifiée, la concentration sérique en bilirubine totale médiane était de 1,2 mg/dl.

… sauf en cas d'obstruction des voies biliaires !

Les auteurs distinguent par ailleurs 17 cas d'obstruction des voies biliaires (soit 7,9 %), qui ont tous été confirmés par échographie abdominale. Chez ces animaux, la concentration sérique médiane en bilirubine totale atteignait 9,69 mg/dl (valeurs comprises entre 2,22 et 26,15 mg/dl), soit 165,7 μmol/l. Elle est significativement différente de celle de leurs congénères ne présentant pas d'obstruction (1,51 mg/dl, soit 25,8 μmol/l, avec P < 0,001). Dans cette étude, une hyperbilirubinémie sévère, voire très sévère, apparaît donc liée à un risque accru d'obstruction des voies biliaires. Pour distinguer les chats présentant ou non une obstruction, les auteurs proposent de retenir 3,86 mg/dl (soit 66 μmol/l) comme valeur limite de la concentration sérique en bilirubine totale. Au-delà de cette valeur, le vétérinaire peut considérer que le chat présente une obstruction avec une sensibilité de 94,1 % et une spécificité de 82,4 %. L'imagerie médicale confirmera ensuite le diagnostic. De précédentes études privilégiaient un seuil décisionnel de 5,85 mg/dl, mais les auteurs estiment que le risque de faux négatifs serait trop élevé avec cette valeur (sensibilité de 70,6 % et spécificité de 90,5 %). Un inconvénient majeur puisque l'identification rapide des animaux atteints est primordiale pour mettre en place un traitement chirurgical !

Un risque qui augmente avec l'âge

L'âge moyen des chats atteints d'obstruction est 10,1 ans, et le risque augmente significativement avec l'âge (P = 0,04). Les chats âgés seraient donc davantage susceptibles de souffrir d'une obstruction des voies biliaires que leurs congénères. Ce facteur pourra d'autant plus orienter le diagnostic du praticien que d'autres causes fréquentes d'hyperbilirubinémie, comme la PIF ou les cholangites/cholangiohépatites non suppurées, sont plutôt observées chez les jeunes animaux.