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28 mars 2024

Leishmaniose : le chien est un réservoir infectieux pour l'homme… ou l'inverse ?

par Agnès Faessel

Temps de lecture  4 min

Le phlébotome vecteur de la leishmaniose pique plus facilement les chiens au pelage court que long, mais l'homme demeure largement plus exposé que le chien (cliché Wikimedia Commons).
Le phlébotome vecteur de la leishmaniose pique plus facilement les chiens au pelage court que long, mais l'homme demeure largement plus exposé que le chien (cliché Wikimedia Commons).
 

La leishmaniose est endémique dans le sud-est de la France. Et une équipe de chercheurs français s'est intéressée à évaluer en même temps la prévalence de la maladie chez les personnes apparemment saines y habitant, et leurs chiens, apparemment sains aussi.

Cette étude est relativement inédite, et il en ressort que le rôle de réservoir du chien pourrait être accessoire, celui de l'homme étant à évaluer.

Des propriétaires ou non-propriétaires et des chiens avec ou sans leur maître

L'étude a été menée dans le département des Alpes-Maritimes (le plus touché par la leishmaniose en France), entre 2008 et 2013 par une équipe multidisciplinaire (CNRS de Montpellier, Inserm de Nice, CHU de Nice, LVD de Sophia-Antipolis), qui publie ses résultats en libre accès dans la revue Parasite.

Seuls des individus asymptomatiques étaient inclus, et en bonne santé générale (immunocompétents). Au total, 343 résidents ont participé, ainsi que 607 chiens, testés avec leur propriétaire ou non :

  • Dans 63 foyers, seules des personnes ont été testées ;
  • Dans 96 foyers, seuls des chiens ont été testés ;
  • Dans les 213 restants, les chiens et leurs propriétaires ont été testés.

Les participants, hommes et chiens, étaient de divers âges, et également répartis par sexe.

Tous ont fait l'objet d'un ou plusieurs prélèvements de sang (sang veineux), analysés par PCR et sérologie (western blot pour le sang humain, et Elisa pour le sang canin avec un seuil à 80 UI). Les chiens présentant un titre en anticorps de 400 UI ou plus avaient été exclus car considérés comme symptomatiques.

Les deux tiers des habitants sont positifs

Les résultats montrent des proportions élevées de personnes exposées, bien supérieures à celles des chiens :

  • La séroprévalence atteint 40,2 % chez l'homme (138/343) et 9,9 % chez le chien (60/607),
  • Les PCR sont positives à 46,9 % chez l'homme (161/343) et à 18,3 % chez le chien (111/607).

En considérant tous les résultats positifs (PCR et/ou sérologie) la prévalence de la leishmaniose asymptomatique atteint 66,2 % chez l'homme (227/343) et 25,7 % chez le chien (156/607, voir tableau ci-dessous).

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Pas de lien entre propriétaires et chiens infectés

Le chien est habituellement considéré comme un réservoir de la maladie. Toutefois, au regard des prévalences chez les individus asymptomatiques, bien supérieures chez l'homme, les auteurs proposent de se poser la question du risque que représente finalement l'infection humaine pour le chien. Il faudrait pour cela évaluer leur capacité à infecter de nouveaux phlébotomes (ce qui a été établi chez le chien).

Ils signalement toutefois l'absence de lien entre chiens et personnes infectées dans une même maisonnée :

  • 10,3 % des foyers ne comptent que des chiens positifs,
  • 38,5 % ne comptent que des personnes positives,
  • Et 15 % des foyers hébergent des chiens et des personnes positifs,
  • Les 36,2 % restants sont négatifs pour tous.

Ils signalent aussi que le western blot est plus sensible que le test Elisa, ce qui a pu sous-estimer la proportion de chiens séropositifs. Néanmoins, la proportion de personnes positives par PCR est significativement plus élevée que la proportion de chiens positifs, évaluée par la même méthode cette fois.

Autre point : la durée de vie des hommes, plus longue que celle des chiens, peut aussi expliquer en partie la différence. D'autant plus que l'infection reste plus facilement asymptomatique chez l'homme que chez le chien, lequel développe plus souvent des signes cliniques.

Enfin, les leishmanies pourraient être relativement spécifiques d'espèces, bien que cette hypothèse ne soit pas validée par les résultats d'autres études.

Dans tous les cas, la détection d'un chien porteur asymptomatique motive encore davantage la prévention des piqûres de phlébotomes afin d'éviter leur contamination et la transmission aux autres membres du foyer, humains ou animaux.

Surexposition à Vence et sa région

Les participants ont été répartis par zones géographiques dans le département (13 zones). Et les résultats montrent des différences significatives dans les résultats des analyses.

  • Pour les personnes, la prévalence globale est supérieure dans les régions de Vence (elle y atteint 70,5 %) et dans la vallée de l'Estéron (78,4 %). En tenant compte des densités de population, elle est particulièrement élevée aussi dans la vallée du Paillon (60,3 %). Elle est la plus faible dans la région de Grasse (52,7 %).
  • Pour les chiens, la prévalence est supérieure aussi dans la région de Vence (28,2 %), ainsi que dans le canton de Levens (36,9 %). Elle est la plus faible à Nice (16,2 %).

Les prévalences sont également élevées dans d'autres zones, mais dans lesquelles le nombre de participants était faible (moins de 30 individus).

Des races plus à risque

Dans l'espèce humaine, l'exposition est significativement plus élevée chez les hommes que chez les femmes (prévalence de 54,6 % contre 45,4 %). La différence n'est pas significative dans l'espèce canine.

En revanche, certaines races canines apparaissent prédisposées : les chiens de berger et les chiens de chasse présentent des prévalences supérieures. Mais cela peut s'expliquer par leur mode de vie, les amenant à être plus souvent à l'extérieur, au contact des insectes vecteurs.

De même, les chiens au poil long sont moins exposés que ceux au poil court (12,2 % versus 71,8 %). Mais ces derniers sont plus facilement piqués par les phlébotomes, parce que leur pelage est moins gênant et qu'il laisse passer la chaleur corporelle et les émissions de CO2 qui attirent ces insectes.