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3 octobre 2022

La bonne socialisation du chat : indispensable pour son bien-être, surtout en environnement confiné

par Pascale Pibot

Temps de lecture  8 min

Les chats d'une même portée ont été socialisés l'un à l'autre pendant la période sensible et sont les plus susceptibles d'entretenir des relations sociales affiliatives à long terme (cliché Pixabay).
Les chats d'une même portée ont été socialisés l'un à l'autre pendant la période sensible et sont les plus susceptibles d'entretenir des relations sociales affiliatives à long terme (cliché Pixabay).
 

En dépit d'une période de domestication assez courte, le chat fait preuve d'une impressionnante capacité à cohabiter avec l'homme et d'autres animaux. Toutefois, la tolérance varie beaucoup selon les individus. Une revue bibliographique récente a fait le point sur les différents facteurs susceptibles d'influencer la sociabilité des chats, en particulier lorsqu'ils vivent dans un environnement confiné.

Sociabilisation et bien-être du chat domestique sont liés

La sociabilisation peut être définie comme la capacité des individus à vivre dans des groupes sociaux avec d'autres animaux et à manifester des comportements d'affiliation. L'espèce féline est considérée comme « socialement flexible », ce qui signifie qu'elle peut s'adapter à différentes formes de vie sociale mais que la vie en groupe n'est pas nécessaire à sa survie.

Le chat est passé assez rapidement d'un mode de vie sauvage et solitaire au statut d'animal de compagnie extrêmement populaire. Si les capacités sociales des individus ne leur permettent pas de s'adapter, le bien-être des chats qui vivent en association étroite avec des humains et des congénères peut cependant être compromis.

Les membres d'une même fratrie cohabitent facilement

Des chats génétiquement apparentés qui ont été élevés ensemble et qui vivent dans un environnement stable sont les plus susceptibles d'entretenir des relations sociales affiliatives à long terme. Lorsque des paires de chats sont hébergées ensemble dans une chatterie, les membres d'une même fratrie passent plus de temps à rechercher le contact physique, à se nourrir ensemble et à faire de l'allo-grooming que les paires non apparentées. Ces comportements d'affiliation sont dus au fait que les frères et sœurs de portée ont été socialisés l'un à l'autre pendant la période sensible.

L'arrivée d'un nouveau chat est déterminante

La façon dont se passe l'introduction d'un nouveau chat est généralement jugée déterminante pour les relations futures entre les chats : lorsque les propriétaires précisent que « l'arrivée ne s'est pas bien passée », plus de conflits et moins de comportements d'affiliation sont observés entre les chats du foyer.

Les méthodes graduelles d'introduction d'un nouveau chat aident à promouvoir des relations amicales ; il est recommandé de laisser les chats s'habituer d'abord à leur odeur respective avant de passer au contact visuel puis au contact physique supervisé.

Le nombre de conflits tend logiquement à augmenter avec le nombre de chats qui cohabitent mais les caractéristiques individuelles des chats peuvent jouer un rôle modérateur au sein du groupe. Dans un contexte de chatterie, le niveau de socialisation des individus composant le groupe peut en effet faire varier le niveau de stress associé avec le fait de vivre en groupe. L'âge est également un paramètre important : lorsqu'ils sont logés en groupe, le stress des jeunes chats a tendance à être plus faible que celui des chats plus âgés.

Aborder le chat prudemment

Les chats préfèrent en général interagir avec des adultes (en particulier les femmes) qu'avec des enfants, qui sont sans doute plus prompts à exprimer des comportements jugés potentiellement menaçants par les chats.

Les comportements agressifs sont favorisés si le chat est surpris par un contact intempestif. Les chats interagissent plus longtemps avec leurs propriétaires lorsqu'ils sont à l'origine des interactions mais un chat répondra volontiers à une sollicitation de son propriétaire si celui-ci est généralement réceptif aux demandes du chat.

L'humain doit être vigilant quant à la façon dont il aborde l'animal. Le chat s'approche par exemple plus volontiers d'une personne étrangère si celle-ci cligne lentement des yeux en sa direction… Caresser la région caudale du chat produit plus de comportements de gêne voire d'agressivité envers l'homme que le contact avec les régions temporales, qui entraîne facilement des comportements tels que fermeture des yeux, « pétrissage » avec les pattes, ronronnement, frottement contre la personne…

L'humeur du propriétaire a enfin son importance : un chat passe plus de temps au contact de son propriétaire si ce dernier adopte une posture et une expression faciale « heureuse » plutôt que « en colère ». Une tendance névrotique chez le propriétaire est d'ailleurs associée à des comportement agressifs et craintifs de la part du chat. Les chats de propriétaires classés comme névrosés présentent aussi plus de problèmes de santé liés au stress.

Conséquences délétères des expériences négatives

Une seule interaction aversive suffit à créer une expérience négative dont les effets seront durables chez le chat ; l'exposition répétée à des interactions aversives est a fortiori susceptible d'induire un stress chronique, nuisant au bien-être de l'animal. Les chats décrits par leurs propriétaires comme « tolérant les caresses » présentent un niveau de stress plus élevé que ceux décrits comme « aimant » ou « n'aimant pas » les caresses.

La concentration urinaire en cortisol d'un chat est en général corrélée positivement avec le nombre de personnes vivant au foyer, ainsi qu'à la densité humaine. La sécrétion de cortisol tend également à s'élever lorsque le propriétaire déclare avoir une vie sociale très active à la maison. Une forte activité humaine au foyer crée donc sans doute un environnement plus stressant pour les chats.

Importance de la période sensible pour la socialisation

La période sensible, allant de 2 à 7 semaines, a été identifiée comme une période essentielle du développement, car elle est caractérisée par une plasticité neurobiologique importante. Ensuite, les circuits neuronaux sont moins susceptibles d'être modifiés par l'expérience. Certains chats arrivent cependant à développer des relations positives avec les humains, même si celles-ci commencent en dehors de la période sensible. Le caractère individuel du chat joue évidemment un rôle important.

Il est indispensable de faire vivre des expériences sociales positives aux chatons pendant leur développement initial à l'élevage. Les chatons manipulés régulièrement pendant la période sensible acceptent mieux le contact humain et seront mieux socialisés. La présence de la mère et de la fratrie pendant le contact avec les humains réduit l'anxiété et augmente la réceptivité des chatons.

  • Un sevrage tardif est recommandé. Les chatons séparés de leur mère après de l'âge de 12 semaines sont décrits comme étant plus « dociles et amicaux » envers les humains que si la séparation intervient avant 8 semaines. Les chatons sont alors plus susceptibles de se comporter négativement envers des humains. Leurs réactions sont principalement dictées par la peur, la tentative d'évitement et le comportement défensif.
  • En termes de socialisation interspécifique, dans le contexte d'un refuge, manipuler les chatons en respectant un programme spécifique de "socialisation et d'accoutumance" permet de limiter les comportements de peur des chats envers les personnes adoptantes. Le nombre de manipulateurs influence également le comportement ultérieur des chatons vis-à-vis des humains. Les chatons manipulés régulièrement par cinq personnes différentes (par opposition à une seule personne) tentent moins souvent de s'éloigner des humains.
  • En termes de socialisation intraspécifique, les expériences sociales des chats avec leurs congénères pendant la période sensible influencent aussi la socialisation intraspécifique. Les chatons élevés à l'écart de leur fratrie (avec ou sans leur mère) sont moins capables de jouer avec un congénère et la nature de leurs interactions sociales est plus agonistique que ludique : en présence d'un chaton inconnu, ils ont tendance à mordre, baisser les oreilles et avoir le poil hérissé. Ces chatons sortent plus souvent leurs griffes et ont du mal à inhiber leur morsure.

Sélectionner les chats sur leur sociabilité ?

La comparaison du génome du chat domestique avec celui du chat sauvage européen (F. silvestris silvestris) et du chat sauvage de l'Est (F. silvestris lybica) a mis en évidence des différences concernant des gènes intervenant dans la socialisation. Chez la souris, ces gènes sont liés à une réduction des réactions de peur, une amélioration de la mémoire, et la capacité à rechercher les récompenses.

Ces différences génétiques traduisent probablement le fait que, au cours de la domestication, la pression de sélection a favorisé les individus tolérant bien la proximité des humains. Les individus moins craintifs sont plus capables de tolérer la proximité de l'homme et de créer des interactions positives avec lui. Parmi les chats errants qui sont recueillis, ceux qui s'adaptent le mieux sont d'ailleurs ceux qui sont les plus motivés par la nourriture et qui n'ont pas peur de l'homme, même s'ils ont eu très peu d'expériences sociales antérieures.

Les hypertypes nuisent aux relations entre chats

Sélectionner les chats sur des caractères qui les aident à bien vivre avec leurs congénères doit être encouragé, afin de favoriser la cohabitation éventuelle. Malheureusement, les chats de race sont essentiellement sélectionnés sur des caractéristiques physiques et cela pourrait avoir des conséquences délétères quant à leurs capacités sociales. Par exemple, il a été suggéré que les races fortement brachycéphales, telles que les persans et l'exotic shorthair, peuvent avoir du mal à communiquer efficacement car ces chats ne produisent pas des expressions faciales clairement identifiables par leurs congénères. Ce handicap peut influencer négativement les interactions sociales entre chats.

Les liens entre la morphologie du chat et ses capacités de communication concernent aussi d'autres régions du corps. Par exemple, le munchkin a des membres très courts et une colonne vertébrale très longue, qui limitent sa capacité à modifier sa posture pour communiquer. De même, la queue très courte du chat Manx perturbe les comportements d'affiliation tels que lever verticalement la queue à l'approche d'un congénère.

Les chats sont de plus en plus sollicités pour leur soutien social et émotionnel et, du fait de notre mode de vie urbain qui continue à progresser, ils sont aussi de plus en plus obligés de vivre dans des environnements confinés. Leurs aptitudes à la socialisation doivent donc être favorisées très en amont et stimulées jusqu'à la fin de leur période d'apprentissage.