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29 septembre 2022

Covid-19 : les chiens renifleurs recalés par le Haut comité de la santé publique

par Vincent Dedet

Temps de lecture  7 min

Procédé retenu en expérimentation pour la détection olfactive des odeurs de patients à Covid-19, avec cônes d'olfaction (Grandjean et coll., 2022).
Procédé retenu en expérimentation pour la détection olfactive des odeurs de patients à Covid-19, avec cônes d'olfaction (Grandjean et coll., 2022).
 

Oui, mais non… Tel est en substance l'avis du Haut comité de la santé publique (HCSP) sur l'intérêt des chiens dressés à reconnaître les patients à Covid-19 dans le dispositif national de dépistage de l'infection. Cet avis, daté du 29 juillet, vient d'être placé en ligne sur le site internet du HCSP. Ce rapport précise que la saisine date du 25 mars dernier, par la direction générale de la santé, qui souhaitait ainsi « clarifier au regard du stade de développement de cette stratégie de dépistage, la place qu'elle peut occuper dans l'arsenal ou le cas échéant les étapes qu'il lui reste à franchir ». Pour forger leur réponse, les experts ont combiné trois approches : « une analyse des performances des tests diagnostiques du Covid-19 et de leur indication, une revue de la littérature et des textes réglementaires sur le sujet, [et] la réalisation d'auditions ».

Renforcement positif

Pour le dépistage des infections virales, les chiens détectent des composés organiques volatiles « libérés en quantité très faible par les cellules infectées et caractéristiques du virus d'intérêt ». Selon les études passées en revue par le HCSP, le nombre de chiens formés au dépistage olfactif canin (DOC) varie de 2 à 21. Ils sont « de différentes races (Labradors, bergers belges, bergers allemands, malinois ou chiens de race mixte). Certains ont préalablement reçu d'autres entraînements, à la détection de matières explosives ou au sauvetage en montagne notamment ». L'échantillon le plus souvent utilisé est la sueur axillaire (recueillie sur tampon ou compresse), mais plusieurs études portent aussi sur l'urine, la salive ou encore l'haleine. « Des chiens ont également été capables de détecter la présence du virus SARS-CoV-2 dans des surnageants de culture cellulaire ». Leur « entrainement (1 à 8 semaines) est assuré par des maîtres-chiens appartenant à des équipes cynotechniques spécialisées. De façon générale, les chiens reçoivent un entrainement par renforcement positif : le chien est récompensé par de la nourriture ou un jouet quand il détecte correctement un échantillon positif ».

90 % de sensibilité

Pour la phase préliminaire (dite “expérimentale” dans le rapport), deux types de protocoles sont utilisés : celui « de choix forcé : présence d'un seul échantillon positif parmi des échantillons négatifs. Le chien sait qu'il n'a qu'une seule indication à donner. Dans d'autres études, plusieurs échantillons positifs peuvent être positionnés et ni le chien ni son maître ne savent combien d'échantillons positifs sont présents, pour mieux se rapprocher des conditions de dépistage "en vie réelle" ». Le chien marque l'arrêt face au prélèvement “positif” et est ou non récompensé selon que c'est ou non bien le cas. « Dans certains dispositifs automatisés, la récompense peut également être donnée sans intervention humaine ». Mais au bilan, les études portant sur cette phase expérimentale (source d'odeurs récoltée mais absence du patient), « les valeurs de sensibilité et de spécificité sont comprises entre 82 % et 97 % et sont le plus souvent supérieures à 90 % » (voir le tableau ci-dessous).

Principales études ayant évalué la sensibilité et la spécificité du diagnostic olfactif canin en conditions expérimentales. Les chiffres entre crochets dnas la première colonne sont le numéro de la référence dans le rapport du haut comité de santé publique (HCSP, 2022).

 

Quatre études en “vie réelle”

À mi-chemin d'une utilisation “vie réelle” des chiens, les rapporteurs citent une autre étude, où « deux chiens ont circulé dans les bureaux d'un immeuble où étaient survenus des cas groupés itératifs de Covid-19. Les deux chiens ont, indépendamment l'un de l'autre, identifié des bureaux qui avaient été occupés par des personnels qui avaient présenté une infection symptomatique à SARS-CoV-2 dans les jours (jusqu'à 4 semaines) précédent le passage des chiens ». Mais seules 4 études documentent l'intérêt du DOC  en vie réelle. Leur origine géographique reflète la diversité des équipes travaillant sur le sujet : Mexique, Colombie, Finlande et France. « Dans ces 4 études, les échantillons sont de grande taille (plusieurs centaines de sujets), la RT-PCR est utilisée comme test diagnostique de référence, et les expérimentateurs impliqués dans le DOC ignorent les résultats des tests PCR réalisés sur les prélèvements nasopharyngés ».

Métro, aéroport, centre de santé

L'étude française a porté sur 335 personnes (192 asymptomatiques et 143 présentant des symptômes d'infection à SARS-CoV-2), réalisée en mars et avril 2021. Trois types de prélèvements ont été réalisés simultanément chez chaque participant, écouvillonnage nasopharyngé (deux échantillons), salive et sueur, le DOC étant réalisé sur la sueur (compresses), plusieurs jours après le prélèvement. « La sensibilité du DOC a été de 97 % (…) sur l'ensemble des sujets testés, 96 % chez les sujets symptomatiques et 100 % chez les sujets asymptomatiques. La spécificité du DOC a été globalement de 91 % (…), 83 % chez les sujets symptomatiques et 94 % chez les sujets asymptomatiques ».

L'étude colombienne comportait deux volets. Dans le premier, qui « se déroulait dans un centre de santé où se sont rendues les équipes de détection canine, les personnels soignants ainsi que des administratifs travaillant dans des bâtiments du gouvernement ont également participé, regroupés par 20 dans des "open spaces". Les chiens reniflaient n'importe quelle partie du corps et pouvaient toucher avec leur nez les mains présentées paumes ouvertes par les patients informés. Les indices de performance moyens sont les suivants : sensibilité de 95,9 %, spécificité de 95,1 % ». Le second volet s'est déroulé sur 75 jours dans le métro de Medellin, bruyant, qui a nécessité un long temps d'adaptation des animaux. Sur les 550 personnes ‘reniflées' sur la période, la sensibilité a été de 68,6 %, et la spécificité de 94,4 % .

L'étude finlandaise a concerné 303 passagers débarquant à l'aéroport d'Helsinki entre septembre 2020 et avril 2021 et ayant accepté de se soumettre aux prélèvements cutané (compresse frottée sur le front, les poignets, le cou) et nasopharyngé. Le DOC et le résultat du test RT-PCR ont été concordants chez 296/303 sujets (97,7 %). « Il y a eu 4 faux positifs du DOC (4/300), ce qui correspond à une spécificité de 98,7 % ». Comme seules trois personnes étaient positives en RT-PCR, il n' a pu être déterminé de sensibilité.

L'étude mexicaine a recruté 138 sujets présentant des signes d'infection respiratoire, dans un centre de santé, et a porté sur des échantillons de sueur et de salive. Sur les prélèvements de sueur, « la sensibilité du DOC était de 58 % à 80 % et la spécificité de 69 % à 88 % (…). Pour les prélèvements de salive, la sensibilité du DOC était de 70 % à 78 % et la spécificité de 53 % à 69 % », en lien possible avec le fait que tous les sujets étaient symptomatiques.

Deux « situations particulières »

Le bilan est plutôt favorable : le DOC est « un outil intéressant », qui « pourrait s'avérer utile dans des situations particulières », il a une« bonne sensibilité », et une « capacité à détecter les cas asymptomatiques, voire présymptomatiques ». Cependant, les rapporteurs soulignent que ces travaux présentent aussi des limites, en particulier sur la diversité des modalités d'entraînement des chiens, celle des modes de prélèvement, mais aussi le fait que « la cinétique de l'émission des composés volatiles en réponse à l'infection par le SARS-CoV-2 est totalement inconnue, tout comme la rémanence de ces composés dans les locaux de vie-chambre d'hôpital ou espaces de travail comme des bureaux », sur le coût, la variabilité des performances des chiens, le nombre limité de tests (250 par chien par jour), le besoin de ré-entraînement régulier, le modèle économique à déterminer, l'acceptabilité, etc. En l'état, deux modalités de dépistage leur semblent pouvoir être déployées : en Ehpad et en foyers pour personnes handicapées (évaluation des visiteurs) et dans les aéroports, sans préjuger « des aspects juridiques, éthiques et sociétaux ». Au-delà de ces deux cas de figure, il « n'est pas possible d'envisager actuellement une utilisation du DOC dans une stratégie de dépistage de masse et/ou en routine ». Aussi recommandent-ils « la poursuite des activités de recherche sur le DOC, ciblées notamment sur l'identification des composés organiques volatiles d'intérêt, avec l'objectif de pouvoir mieux positionner cette technologie dans l'arsenal des outils de dépistage d'infections émergentes à venir. Ces recherches pourraient permettre d'utiliser à terme des biocapteurs ou “nez électroniques” ».