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29 novembre 2021

Contre les incivilités : en parler ensemble et définir des protocoles formalisés pour les gérer

par Agnès Faessel

Temps de lecture  6 min

Les réponses des vétérinaires interrogés montrent que les comportements les plus déstabilisants sont les reproches injustifiés dirigés directement contre eux ou leurs compétences. Ils peuvent provoquer une remise en cause et, s'ils se répètent, le souhait de réduire le contact avec la clientèle (cliché Pixabay).
Les réponses des vétérinaires interrogés montrent que les comportements les plus déstabilisants sont les reproches injustifiés dirigés directement contre eux ou leurs compétences. Ils peuvent provoquer une remise en cause et, s'ils se répètent, le souhait de réduire le contact avec la clientèle (cliché Pixabay).
 

Qui n'est pas confronté aux incivilités de certains clients ? Du rendez-vous qui ne se présente pas aux injures qui fusent quand vient le moment de la facture, voire au bashing sur Internet. Les clients irrespectueux ou agressifs ont toujours existé, en clientèle vétérinaire comme ailleurs. Mais le sentiment est qu'avec l'évolution sociétale, une certaine hausse des exigences du « consommateur » et le développement des réseaux sociaux, les incivilités sont devenues plus importantes, en fréquence et en gravité. Inversement, l'impact des incivilités jugées mineures pourrait être sous-estimé, alors que ces comportements augmentent le stress des équipes et peuvent affecter leur motivation ainsi que leurs performances dans le travail.

Face au manque de données sur le sujet, une étude qualitative a été menée par des chercheurs en psychologie, auprès de vétérinaires praticiens britanniques.

Triple objectif de l'étude

L'étude s'est centrée sur les seuls comportements d'incivilité envers les vétérinaires (pas dans d'autres professions). Ses objectifs sont d'évaluer la perception des praticiens quant à leurs causes et leur impact, ainsi que leur manière de prendre en charge les clients indélicats.

En effet, d'une manière générale, l'évaluation personnelle du comportement de son interlocuteur comprend l'appréciation de son potentiel effet négatif sur soi (selon ses propres valeurs), celle des réactions possibles en réponse, et enfin de l'évolution de la situation. Elle dépend évidemment de chaque individu et du contexte de survenue de l'incident. Les raisons d'une incivilité et son caractère intentionnel (volonté de blesser ou de nuire) ou non (conséquence d'une réaction émotive) influencent également la perception.

Un incident précis décrit en détail

Les 18 vétérinaires interrogés (par téléphone) exerçaient depuis 10 ans en moyenne (de 1 à 31 ans), en canine ou en mixte (un en rurale pure). Ils devaient évidemment avoir rencontré des incivilités, dont une pour laquelle ils précisaient la nature, décrivaient en détails la situation l'ayant entraînée et donnaient leur avis sur elle et sur ses conséquences immédiates. Des questions plus générales récoltaient leur opinion sur les incivilités dans leur globalité, leurs causes, leur impact à court et long terme, comment ils réagissent et s'adaptent, avec les éventuelles conséquences délétères que ces réponses entraînent. Les enregistrements étaient retranscrits de manière anonymisée.

De l'arrogance à l'affection

Les réponses montrent que les « incivilités » regroupent un large éventail de comportements regroupés en trois principales catégories :

  • Un manque de respect, dans l'attitude ou les paroles, que les répondants associent à des attentes déraisonnables, de l'impolitesse, de l'arrogance (certaines personnes sont tout simplement naturellement désagréables) ;
  • Des considérations financières (le problème survenant généralement au moment de payer), se traduisant par des accusations d'être trop cher, seulement intéressé par l'argent, des refus de payer, etc., associées à une méconnaissance des coûts des examens et des traitements, l'incapacité matérielle de payer (générant finalement un sentiment de culpabilité du propriétaire), un désaccord avec leur assurance… ;
  • Une inquiétude de la personne face à la santé de son animal, particulièrement lorsque leur lien est fort, traduite par de la colère, des cris, mais associée à une frustration par rapport au délai de guérison, l'impression d'un défaut de soins, un contexte d'urgence, une mauvaise nouvelle, de la tristesse, une phase de deuil, etc. Les clients peuvent avoir l'impression que le vétérinaire ne tient pas suffisamment compte de leur attachement à l'animal, qu'il ne lui offre pas toute l'attention nécessaire.

Mesures préventives face aux clients réputés difficiles

Selon les auteurs, ces réponses traduisent un comportement usuel des victimes d'incivilités, qui cherchent à leur donner du sens afin de déterminer la réponse à adopter, ce qui constitue une démarche constructive.

Et en effet, en conséquence ici d'après les réponses, la réaction du praticien dépend de la cause perçue comme à l'origine de l'incivilité. Le vétérinaire peut ainsi rechercher d'où vient le comportement excessif, afin de rectifier sa propre attitude ou son discours s'il a le sentiment que ce comportement provient de l'inquiétude du propriétaire, ou bien, lorsqu'il est jugé inapproprié, s'en détacher (« rester de marbre »), continuer à faire son travail et donner des réponses de manière ultra professionnelle. Car être « professionnel » comprend de garder son calme, c'est-à-dire de canaliser ses propres émotions, ce qui est éprouvant précisent les auteurs de l'étude.

Aussi, lorsqu'un client est connu pour être « difficile », le vétérinaire prend parfois des mesures préventives de manière proactive, soit en réduisant l'échange au minimum soit, inversement, en apportant d'emblée un maximum d'informations (dans le détail des frais par exemple). Il se prépare à manifester plus d'empathie et à canaliser le client s'il est particulièrement émotif. Le cas échéant, avec d'autres personnes, les répondants disent être plus directif, plus ferme, mettant rapidement fin à l'échange dès que le ton monte, ou proposant d'aller prendre un second avis ailleurs ! Le contexte de travail peut toutefois être un frein : lors de retard dans le timing (pour ne pas l'accentuer), ou si l'on est à l'accueil, en présence d'autres clients, il est parfois complexe d'adopter le comportement que l'on souhaiterait.

Stress et perte de confiance

L'impolitesse voire la grossièreté sont jugées parmi les comportements les plus impactants pour le praticien lorsqu'elles le ciblent personnellement : sa personne ou ses compétences. Et ce d'autant plus que le travail a été fait du mieux possible et pour le bien de l'animal. À long terme, ces comportements affectent ainsi la santé mentale, génèrent du stress et une perte de confiance, pouvant aller jusqu'à un état dépressif passager ou chronique, le souhait de limiter les contacts avec la clientèle, de changer de métier.

Dans l'analyse de la situation, il convient de distinguer les causes dites « internes », liés à la personnalité de l'interlocuteur, des « externes », comme une longue attente avant d'être reçu en consultation, ces dernières favorisant les réactions constructives. Les auteurs constatent dans leur étude que les praticiens, surtout lorsqu'ils travaillent sous pression, ont tendance à imputer les incivilités à des causes internes, appréhendées de manière plus négatives.

Réconfort immédiat

Pour faire face à ces difficultés, les répondants rapportent l'importance de pouvoir parler de l'incident juste après (dans la journée) avec ses collaborateurs. Cela permet d'évacuer l'émotion et favorise le partage d'expérience sur la conduite à tenir.

Le fonctionnement de la clinique a pu être revu, comme de ménager un peu de temps entre chaque consultation. Des stratégies de protection plus personnelles sont également décrites (hobbies, pensée positive, méditation, etc.).

Ce besoin de soutien social dans le cadre professionnel est décrit comme important dans la littérature pour préserver la qualité de vie. Souvent informel, un soutien plus formalisé, émanant des organisations professionnelles par exemple, pourrait favoriser ce bien-être au travail.

Les observations de cette étude méritent bien sûr d'être évaluées de manière plus étendue. Mais à ce stade, les auteurs recommandent de fournir un environnement de travail favorable, en encourageant chacun à discuter avec le reste de l'équipe des incidents survenus, afin de se sentir soutenu, mais aussi de développer des procédures plus formalisées de gestion des clients incivils, par exemple réaffecter à d'autres praticiens les consultations qui suivent l'incident afin de laisser le temps au vétérinaire ciblé de récupérer.