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19 janvier 2021

La plupart des “lymphomes” des bouledogues anglais sont en fait des lymphocytoses B polyclonales

par Vincent Dedet

Temps de lecture  4 min

Tootsie est l'un des 84 bouledogues anglais qui a fourni du sang pour une étude sur les “lymphomes” survenant avec des critères particuliers dans cette race — et qui vient de découvrir qu'il ne s'agit pas d'un cancer, mais plutôt d'un syndrome de lymphocytose polyclonales à cellules B, probablement d'origine génétique (cliché : Colorado State University).
Tootsie est l'un des 84 bouledogues anglais qui a fourni du sang pour une étude sur les “lymphomes” survenant avec des critères particuliers dans cette race — et qui vient de découvrir qu'il ne s'agit pas d'un cancer, mais plutôt d'un syndrome de lymphocytose polyclonales à cellules B, probablement d'origine génétique (cliché : Colorado State University).
 

La différence est d'importance car « elle devrait permettre d'éviter que des chiens soient traités à tort pour un lymphome, voire euthanasiés » alors que leur affection n'est pas cancéreuse. C'est en ces termes que les auteurs d'une publication consacrée à un nouveau syndrome — le PBLEB, découvert en explorant une autre affection, évoquent la portée de leurs résultats.

Leucémie lymphocytaire B

Ces cliniciens, immunopathologistes et cancérologues se sont penchés sur une affection fréquente chez les blouledogues anglais : la leucémie lymphocytaire chronique à cellules B. Cette affection a été décrite chez différentes races de chien par l'équipe de la Pre Anne Avery (faculté vétérinaire de l'université du Colorado, USA) en 2016. Son diagnostic repose sur une numération lymphocytaire > 5 000/µl et la présence de CD21 sur plus de 60 % des lymphocytes (analyse en cytométrie de flux). Déjà dans cette publication sur 491 cas, les bouledogues anglais se distinguaient par  deux particularités :

  • les sujets affectés étaient particulièrement jeunes par rapport autres races (médiane à 6 ans, contre 11 ans chez les autres) ;
  • et leurs lymphocytes B avaient des marqueurs membranaires différents (CD21 fortement et CD25 faiblement exprimés).

Expansion polyclonale

La lymphocytose B s'accompagne d'une fabrication excessive d'anticorps. S'il s'agit du même anticorps (monoclonal), l'affection est plus probablement d'origine néoplasique. S'il s'agit d'une sécrétion polyclonale (non clonale), elle est plus probablement réactive (et non cancéreuse). Les auteurs indiquent qu'après leur publication initiale, l'examen de tels cas sur des bouledogues anglais « a montré, de manière anecdotique qu'ils avaient fréquemment des réarrangements des gènes d'immunoglobulines polyclonales ». Cela leur a fait suspecter que la leucémie lymphocytaire chronique à cellules B ne soit pas, en fait, d'origine néoplasique – et donc pas une leucémie. Pour explorer cette hypothèse, ils ont réalisé une étude rétrospective à partir de la base de données et d eprélèvements de leur service d'immunopathologie, sur 2010-2019.

84 cas, rétrospectivement

Ils ont identifié 84 cas  qui présentaient à la fois plus une lymphocytose et plus de 724 lymphocytes B CD21+/µl (critère pour suspecter la nouvelle affection). Sur les 73 cas disposant des résultats d'analyses appropriés, 52 (71 %) présentaient une hyperglobulinémie. L'ensemble des différents statuts cliniques sont détaillés dans l'article (anémie dans 31 % des cas, thrombocytopénie dans 10 % des cas, splénomégalie dans 56 % des cas…). Les cellules B CD21+ représentaient de 67 à 99 % de la population lymphocytaire circulante, avec de 1 174 à 378 815 cellules CD21+/μL. Ces cas ont été appariés à plusieurs groupes témoin, des prélèvements sanguins provenant de :

  • 30 chiens de race différente du bouledogue anglais, en bonne santé, comportant 59 % de femelles, âgées de 1,9 à 8,9 ans ;
  • 49 bouledogues anglais en bonne santé, dont 41 % de femelles et âgés de de 1 à 12 ans ;
  • 53 cas de leucémie lymphocytaire chronique à cellules B sur des chiens de petite race (mais pas des bouledogues anglais).

Jeunes mâles “non-clonaux”

Les cas présentaient un très faible niveau d'expression du CD25 sur les lymphocytes B (p<0,001 par rapport à chaque groupe témoin), tout comme pour le complexe majeur d'histocompatibilité de classe II. La clonalité des immunoglobulines a été évaluée pour 83 des cas, et dans 70 % il y avait pas de réarrangement clonal des gènes d'Ig. Lorsque les cas clonaux (n=25) étaient comparés aux non-clonaux (n=58), les premiers étaient significativement plus âgés (p=0,02) et moins souvent mâles (56 vs. 81 %, respectivement, p=0,03). Il n'y avait en revanche pas de différence pour le dénombrement des lymphocytes B CD21+. Ces cas se distinguaient aussi pour la proportion de lymphocytes B CD25+ (< 2% pour 76 et 48 % des cas, respectivement). Enfin, il y avait moins souvent de lymphadénopathie périphérique dans les cas non clonaux (2 %) que les cas clonaux (32 %, p=0,003). Enfin, 14 cas non clonaux avaient été suivis sans avoir reçu de traitement : « 10 se sont révélés en état stable sans traitement ». « Quatre cas ont été gérés avec des corticoïdes seuls ou avec une chimiothérapie par voie orale et ces cas ont présenté une réduction de leur comptage en lymphocyte B » alors qu'il est resté stable pour 7 des 10 cas sans traitement.

Prévenir les praticiens

« Notre étude identifie un syndrome chez les bouledogues anglais », que ces auteurs baptisent « lymphocytose polyclonale B des bouledogues anglais (PBLEB [en anglais]), affectant fréquemment les jeunes mâles et souvent associés à une splénomégalie ou des masses spléniques et à une hyperglobulinémie ». Cette dernière concerne des « IgA avec ou sans IgM et est non clonale », et le processus en cause « n'est pas néoplasique ». « C'est une information importante pour les praticiens généralistes qui pourraient voir les premiers résultats d'analyses de ces animaux » et les considérer comme atteints de leucémie. Néanmoins, les auteurs « supposent que ce syndrome commence par une affection non néoplasique, mais présente un potentiel de transformation maligne au fil du temps ». De fait, les sujets qui présentaient une affection clonale mais avec les autres caractéristiques du PBLEB étaient tous plus âgés et pourraient avoir suivi une telle évolution clinique. Enfin, les auteurs suspectent une origine héréditaire pour ce PBLEB.

Surveiller la progression

Quant au traitement, « des données limitées suggèrent qu'un sous-groupe de ces bouledogues peut maintenir un dénombrement lymphocytaire et un globulinémie stables sans besoin d'intervention thérapeutique. Mais un [autre] sous-groupe (y compris de cas polyclonaux) nécessite un traitement pour contrôler l'hyperglobulinémie et ses séquelles ainsi que la splénomégalie ». De plus, une fois le PBLEB identifié sur un sujet « il devra faire l'objet d'une surveillance régulière » pour détecter toute évolution vers la malignité.