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15 janvier 2021

Piqués de leurs arachnides venimeux, ces maîtres le sont peu par eux

par Vincent Dedet

Temps de lecture  4 min

En Guyane, la matoutou (Avicularia sp.) est un commensal de l'habitat urbain. Elle a des poils urticants, mais ne mord pas ses congénères humains. Dans l'étude conduite auprès des propriétaires d'arachnides, elle est à l'origine de morsures, avec une douleur locale dans 46 % des cas (cliché Pixabay).
En Guyane, la matoutou (Avicularia sp.) est un commensal de l'habitat urbain. Elle a des poils urticants, mais ne mord pas ses congénères humains. Dans l'étude conduite auprès des propriétaires d'arachnides, elle est à l'origine de morsures, avec une douleur locale dans 46 % des cas (cliché Pixabay).
 

Leur terrarium est un concentré de matières biologiques dangereuses. Qui font au final peu de victimes humaines, selon une enquête australo-allemande publiée en ce début d'année.

Base de données

« Il y a des dizaines de milliers d'enthousiastes des arachnides », au point d'alimenter un trafic illégal intense. Cette vogue des animaux venimeux s'étend d'ailleurs, notent les deux auteurs de ce travail, aux scolopendres et – de plus longue date – aux serpents. Ces auteurs sont toutefois aussi des passionnés : présents sur les forums et abonnés à des revues spécialisées, ils ont constitué au fil du temps une base de données des envenimations subies par les maîtres d'arachnides venimeux. Pour l'élargir, ils ont mis au point un questionnaire, qu'ils ont diffusé par les mêmes médias, en Amérique du nord et en Europe. Ils obtiennent, après sélection pour la crédibilité et l'aspect complet des informations fournies, 354 cas auto-déclarés de morsure (araignées) ou piqûres (scorpions) sur 20 ans, dont seuls 6,2 % sont le fruit de ce questionnaire. L'âge de ces “victimes” variait de 12 à 64 ans (médiane à 32 ans) et les signes cliniques rapportés n'ont pas la même fréquence selon qu'il s'agit de scorpions ou d'araignées (voir le tableau ci-dessous).

Les 6 symptômes les plus fréquemment signalés lors d'envenimation par des arachnides (d'après Hauke & Herzig, 2021).

 

 

L'araignée, l'araignée…

Dans leur grande majorité, ces accidents sont des morsures d'araignée (n=296, soit 83,6 %). Pour l'essentiel, ces morsures sont le fait de mygalomorphes (Théraphosidés, 96,3 %), mais au total 7 familles d'araignées sont représentées (et 47 genres). Lorsque le sexe de l'animal était connu, il s'agissait dans 75 % des cas d'une femelle ; 80 % des victimes sont des hommes. Enfin, dans la majorité (81,3 %) des cas, il n'y avait qu'une morsure. Il n'y a eu de cas sévères (au sens « produisant des effets mettant en jeu un pronostic vital ») que pour les envenimations d'araignées, mais ils sont la minorité (n=4, soit 1,1 % des cas). A noter que des espèces considérées conne non dangereuses provoquent, en cas de morsure, des signes localisés au site de la morsure dans deux cas sur trois et des signes systémiques sans gravité dans un cas sur quatre.

Que des hommes

Les 58 piqûres de scorpions renseignées étaient issues de 8 familles et 22 genres. La famille des Buthidés est la plus fréquente (58,6 % des cas), devant celle des Scorpionidés (24,1 %). Là également, les scorpions femelles sont plus souvent à l'origine des piqûres (64 %) – toutes les personnes piquées sont des hommes (les auteurs indiquent que le sexe ratio des amateurs d'arachnides est très largement masculin). Dans trois cas sur quatre, il n'y avait qu'une envenimation. Il n'y a eu aucune envenimation sévère liée à des scorpions, mais des espèces considérées comme non dangereuses peuvent provoquer des signes systémiques (sans gravité) dans un cas sur cinq.

Interaction délibérée

Le contexte de l'incident était rarement du fait de l'animal (il s'était échappé dans 4 % des cas, ou était en train de fuir dans 6 % des cas). Le reste du temps, c'était en lien avec une « interaction délibérée » : manipulation (45 %), nettoyage (25 %), transfert (17 %), ou « activement induite » (2,5 % des cas). Reflet de ces pratiques, c'est à la main que s'est produite l'envenimation dans 85 % des cas et au bras dans 7 % des cas (à la tête dans 1,3 % des cas). Ce qui signifie qu'avec le port de gants, « la plupart de ces accidents seraient évitables ». Seule une victime sur 10 « a eu recours à une intervention extérieure » : 7,6 % sont allées à l'hôpital et 2,3 % chez le médecin.

Espèces plus “piqueuses”

Comme  ni le nombre d'espèces d'arachnides ni celui des amateurs ne sont connus, les auteurs ont estimé la fréquence des genres présents chez les amateurs à partir de ceux le plus souvent décrits dans les ouvrages spécialisés « les plus populaires ». Ils recoupent ces éléments avec la fréquence de ces genres dans leur base de données et calculent que certains d'entre eux sont plus représentés chez les cas ayant mordu ou piqué :

  • pour les araignées, ce sont des mygalomorphe des genres Pterinochilus (“araignée babouin”), Grammostola et Poecilotheria (les “pokies”). Chez les mygalomorphes, les femelles vivent plus longtemps que les mâles, sont souvent plus colorées et plus grandes ; elles sont donc plus représentées dans les terrariums ;
  • pour les scorpions, ce sont les Centruroides (Buthidé des Amériques, Caraïbes incluses, jaunes) et les Pandinus (Scorpionidé d'Afrique de l'ouest, bruns à noirs).

Peu de cas

Aucun décès n'est signalé… les auteurs n'échappent pas à une logique implacable : les accidents leurs sont fournis par les propriétaires victimes de leur animal à 8 pattes – et pour ce faire, il faut qu'ils soient vivants. Il reste, soulignent les auteurs, que si le nombre d'amateurs d'arachnides n'est pas connu, le nombre d'abonnés aux deux chaînes youtube les plus populaires sur les arachnides de compagnie comptent jusqu'à 519 000 abonnés. Au regard de ces chiffres et même si les amateurs possédant réellement des arachnides de compagnie est de quelques dizaines de milliers, « le nombre d'envenimations déclarées est faible » et, dans 90 % des cas, elles étaient évitables.